Qui veut la mort du principe de précaution ?
Un débat idéologique, comme seule la France aime les pratiquer, est en train de débarquer dans la campagne pour l‘élection présidentielle, déjà polluée par les questions récurrentes de l’Islam et de l’immigration. En résumé, il s’agit d’en finir avec le principe de précaution en le remplaçant par le principe d’innovation dans la Constitution. Un détail !
En fait, cette proposition de la loi dite « Sapin 2 » prouve à la fois la faiblesse de ce gouvernement face aux lobbies et sa soumission aux thèses des libéraux de droite et de gauche. Ainsi, le 11 octobre 2013, un rapport de la Commission Lauvergeon mettait en scène ce pseudo rééquilibrage entre les deux principes, en demandant l’introduction du principe d’innovation dans les politiques publiques industrielles et en insistant sur l’urgence de l’appliquer à sept secteurs, dont le stockage d’énergie et la chimie végétale. Mais, comme par hasard, l’ancienne présidente d’Areva en excluait les transports et les énergies renouvelables… Ce choix est à lui seul révélateur de ce que cache « le principe d’innovation » vu par les tenants d’une économie productiviste à tout crin. Avec l‘arrivée d‘Emmanuel Macron, son clône masculin, au ministère de l’Economie, promoteur de l’innovation comme moyen de réindustrialisation du pays, ce projet a failli apparaître en 2014 dans la loi qui porte le nom de l’ancien banquier. Adopté par les socialistes les plus pro nucléaires, comme ceux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, soutenu par la droite sénatoriale, il a été rejeté in extremis par les députés. Depuis cet échec, l’activisme des lobbyistes de l’innovation contre la précaution, a redoublé d’intensité : colloques, articles, amendements se sont multipliés. Et il apparaît en bonne place dans les programmes des candidats des primaires de droite. Ceux du PS, n’en doutons pas, s’en réclameront aussi au nom du Made in France.
Pas un jour qui passe où l’on nous explique que, sans innovation, le chômage ne pourra pas être endigué, que l’économie française risque d’être reléguée loin derrière ses concurrentes… Mais qui peut être contre l’innovation, quand elle est conçue comme la capacité d’inventer, de prendre appui sur les nouvelles technologies pour créer de nouveaux produits générateurs d’une nouvelle croissance ? En la mettant en concurrence avec le principe de précaution, les apprentis sorciers du productivisme confirment leur obsession : balayer tout ce qui pourrait freiner le « progrès » vénéré comme un dogme. C’est-à-dire qui ne se discute pas. Quand les promoteurs idéologiques de ce concept ont cru « innover » en substituant le tout-camion et autocar au fret ferroviaire, leur « innovation » est entrée aussitôt en contradiction avec l’écologie.
Faut-il encore répéter ici que le principe de précaution ne s’oppose en aucune manière à l’innovation. Au contraire. Il prône le « principe responsabilité », cher à Hans Jonas, appliqué à toute innovation industrielle ou scientifique afin de se protéger de risques tels que l’amiante, le Médiator ou les OGM, pour ne citer que les plus connus. Ceux qui veulent supprimer ce principe ne sont pas pour l’innovation, mais pour la loi de la jungle. Ils veulent une production sans contrôle préalable des risques pour l’homme et pour l’environnement. S’ils gagnaient, ce ne serait pas l’innovation qui l’emporterait mais le principe d’irresponsabilité. C’est plus qu’un débat philosophique. Il s’agit en effet de savoir si, deux siècles après le début de la révolution industrielle, l’homme peut décider de faire ce que bon lui semble sans contrôle démocratique, quitte à précipiter la planète dans le chaos. La liberté d’entreprendre n’est pas la liberté de faire n’importe quoi.
Cette offensive autour d’un principe qui se présente comme positif, moderne, émancipateur, est au capitalisme ce qu’est l’économie verte à l’écologie : un détournement des mots qui cache une régression écologique sans précédent. Ainsi, qui peut croire à la sincérité de Sarkozy, l’un des nouveaux chantres de l’innovation, quand il remet en cause la responsabilité de l’homme dans le réchauffement climatique ? Il n’est que la marionnette derrière laquelle se cachent à peine les grandes multinationales, telles Bayer et Monsanto, qui préparent l’ère de la gouvernance du monde par elles-mêmes. En fait d’innovation, il s’agit de libérer les entreprises de toutes contraintes environnementales, sociales et morales envers l’humanité et la planète.
Le principe d’innovation est une invention de la novlangue de l’économie globalisée. Il devrait s’appeler principe de destruction. Tout ce qui ne s’adapte pas à la violence ordinaire du capitalisme doit être expulsé du domaine économique. Cette logique prédatrice se pare d’atours dits « modernes », comme le développement des industries au XIXème siècle. Le machinisme apparaissait à l’époque comme un moyen qui permettrait de « civiliser » les paysans bretons ou algériens, tout en les sortant du servage et de la misère. On a vu ce qu’il en était !
Dès les années 50, Jacques Ellul avait initié un débat sur la technique qui devenait de plus en plus incontrôlable à force de s’autonomiser et qui pouvait se retourner contre le progrès humain. Depuis, les écologistes ont malheureusement baissé les bras, sans analyser au fond le nouvel industrialisme et la convergence du numérique, des biotechnologies, des sciences cognitives et des TIC, avec la logique du profit maximum. L’innovation technologique n’a pas permis ce qui pourrait, en soi, être émancipateur dans les nouvelles technologies et permettre à des communautés locales de s’approprier la chose publique et de se libérer du travail contraint.
Si nous voulons retrouver un sens au combat pour l’émancipation, il faut d’abord que nos écosystèmes écologiques et sociaux puissent souffler un peu afin de se prémunir contre la course folle des grandes entreprises. L’accélération du temps ne le permet pas.
S’il fallait rééquilibrer le principe de précaution, ce serait par un principe d’innovation sociale et démocratique. Tout le contraire de ce que proposent nous apprentis sorciers, bien empressés de retirer à Chirac l’un des seuls acquis de sa présidence : le principe de précaution.
A l’instar de la grande majorité des écologistes, je suis pour le renforcement du principe de précaution, en l’adossant à une « règle verte » qui interdirait tout ce qui accroit la dette écologique envers la nature et l’être humain, notamment la spoliation des terres, les facteurs de renforcement du réchauffement climatique et de destruction des espèces.
Le principe de précaution actuel n’a pas permis de se débarrasser de Notre- Dame-des-landes, du TAV Lyon-Turin ou de la ferme des Mille Vaches. Non seulement nous devons défendre ce principe constitutionnel mais le renforcer contre les prédateurs en garantissant les conditions d’une véritable démocratie écologique, débarrassée des lobbies.
Innover c’est d’abord protéger les humains et les éco systèmes, prévenir les risques, soutenir les expériences de souverainetés locales et citoyennes et non consentir des cadeaux aux prédateurs de la planète.
Noël Mamère
Le 3/10/2016.