Le scandale dit « Panama papers » n’apporte qu’une confirmation à ce que nous savions déjà : l’impunité des paradis fiscaux permet de blanchir des centaines de milliards de dollars. 11,5 millions de documents internes, provenant du cabinet panaméen Mossack-Fonseca, ont été obtenus par le Consortium international des journalistes d’investigation et analysés par 107 médias, dont le Monde en France. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias. Les « Panama papers » nous révèlent l’incroyable étendue de ce réseau mafieux, qui va des chefs d’Etats aux riches anonymes ayant fait appel à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs et, partant, se soustraire à l’impôt.
Que nous importe la liste des voleurs qui, il faut le noter, ne concerne ni les Américains ni les Allemands, puisque les services secrets de ces deux pays ont pu « consulter » la liste auparavant ! Ce qui importe, c’est de savoir que, malgré la crise de 2008, le capitalisme mondialisé continue à détrousser les Etats et les peuples de leurs ressources. Ces listes nous apprennent pourtant deux choses : la première c’est que nul continent, nulle puissance, nul secteur d’activités n’échappe à l’évasion fiscale ; Le capitalisme financier est indivisible.
La deuxième, c’est que nous n’avons pas affaire à quelques brebis égarées, mais à un « système » où les zones grises de la mafia sont devenues la règle et non l’exception.
Rien de nouveau sous le soleil, dira-t-on. C’est vrai. A ceci près que nous savons maintenant qui fait quoi et comment. « Notre adversaire, qui n’a pas de nom, ni de visage… », ce monde de « la Finance » décrié au Bourget, a désormais beaucoup de visages, même si les vrais intérêts, ceux des fonds de pensions et des multinationales ne sont pas vraiment ciblés par les « Panama papers ».
Notre indignation ne peut en rester en l’état. Et l’on ne peut qu’être révolté par le refus du gouvernement de prendre les mesures évidentes contre la fraude fiscale. Le vendredi 4 décembre 2015, au cours des débats sur le Projet de Loi de Finances Rectificatif pour 2015, l’Assemblée nationale avait pourtant adopté un amendement capital pour la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Cet amendement 340, déposé par quatre députés socialistes et soutenu par le groupe écologiste, était inspiré par le plan en 15 actions de l'OCDE pour lutter contre les pratiques d'évasion fiscale des entreprises multinationales. Il s’agissait de créer l'obligation pour toutes les entreprises multinationales françaises dépassant une certaine taille, de publier chaque année la liste de leurs filiales, leur localisation ( y compris, et surtout, celles domiciliées dans les paradis fiscaux ), le chiffre d'affaires réalisé par chacune d'elles, l'effectif employé sur place, l'impôt acquitté et les subventions reçues du pays d'accueil. Ce « reporting » était demandé depuis des années par les organisations non gouvernementales investies dans la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale. Il devait permettre de dévoiler les montages fiscaux artificiels et d'éclairer les citoyens sur les pratiques dommageables… Le gouvernement, pris de panique, imposa deux votes successifs au parlement pour revenir sur une promesse de François Hollande et trouver un compromis bâtard quelques semaines plus tard. Résultat : il n’y a toujours pas de transparence fiscale suffisante pour connaître l’activité réelle des entreprises dans les paradis fiscaux et les impôts qu’elles paient.
De même, la fin des incitations fiscales, qui alimentent une concurrence dommageable, préjudiciable à tous, est toujours dans les limbes ; tout comme le développement d’une approche commune de taxation des multinationales au niveau européen.
Autre exemple : si un parquet spécial a bien été créé pour lutter contre la fraude fiscale, le Ministre du Budget conserve toujours le monopole du déclenchement de la procédure en matière pénale.
Quant à la séparation des activités des banques, entre dépôt et finances, nous avons là l’exemple d’un tour de passe-passe typiquement « hollandais », qui a tout changé, pour ne rien changer ! … Au final, quand on entend le Président souhaiter que des enquêtes soient menées contre les tenants des paradis fiscaux, on peut se demander, à juste titre, si ce ne sont pas encore des promesses faites pour ceux – de moins en moins nombreux – qui y croient encore.
Le monde de la finance n’a pas eu beaucoup à se plaindre de ce gouvernement. Par contre, ceux qui l’ont élu sont légitimement en colère, quand ils voient que la loi Travail soumet les salariés à encore plus de précarité. Dans ces conditions, comment ne pas lier les deux phénomènes entre eux. D’un côté, des riches bénéficiant de l’impunité la plus totale, de l’autre, l’immense majorité des populations du monde soumise à la précarité, à la pauvreté, au déclassement.
« Les Nuits debout » sont une des expressions de l’indignation qui doit maintenant se muer en une force politique de transformation, si nous ne voulons pas alimenter l’extrême droite et son fond de commerce du « tous pourris». Si le Président et son Premier ministre ont reculé, en retirant la constitutionnalisation de l’Etat d’urgence et de la déchéance de nationalité, ils vont sans doute résister un peu plus pour défendre le projet EL Khomri. Car les intérêts des lobbies financiers et patronaux qu’ils s’acharnent à défendre sont bien plus importants. Raison de plus pour engager tout ce qui est possible pour faire plier ce gouvernement au service de la finance et du Medef. La précarité et l’impunité de la finance sont les deux faces d’un même système, celui du capitalisme du désastre.
Noël Mamère
Le 05/04/2016.