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Billet de blog 8 mai 2017

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En Marche! Mais vers quoi?

Ouf, c’est terminé. Nous avons un président… Mais ça recommence, dès aujourd’hui, pour 1826 jours d’un quinquennat d’incertitudes et six semaines de campagne législative menée tambour battant.

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C’est un ouf de soulagement, parce que Marine Le Pen a finalement régressé par rapport à ses ambitions de concurrencer sérieusement son rival. Mais, n’est-ce pas un leurre ? Le parti d’extrême droite n’avait jamais recueilli autant de voix au second tour d’une élection présidentielle, ce qui a permis à la présidente du FN de jeter les bases, dès hier soir, d’une recomposition politique entre « patriotes » et « mondialistes », qui va faire du chemin dans certains esprits. Au-delà de sa saga en cours d’écriture : plus jeune président depuis Bonaparte, jeune homme parfait, chanceux, brillant, pugnace, audacieux… - pour ne citer que quelques commentaires de la presse admirative, qui lâchera et lynchera le futur locataire de l’Elysée à la première difficulté -  Emmanuel Macron est un président élu par défaut. Entre les 25 % d’abstention et les 12 % de bulletins blancs et nuls, ce sont 16 millions de Français qui ont refusé de choisir. Et combien parmi ceux qui ont voté Emmanuel Macron l’ont-ils  fait par adhésion à son projet ?

Jamais depuis les débuts de la Cinquième République, un président n’aura été aussi minoritaire dans l’opinion, dès le début de son mandat. Il peut continuer à jouer à Danton ou à Bonaparte et à transgresser les règles d’un système partidaire qui, il est vrai, a fait son temps, mais s’il ne tient pas compte de ces quatre Français sur cinq qui ne lui font pas confiance et qui lui demandent d’amender son projet, notamment sur les questions sociales, il va au devant de graves déconvenues, tant la période est grosse d’explosions et d’implosions sociales et politiques.

 Au-delà des résultats, qu’est-ce que le « macronisme » ? Si, au début d’un mandat, peu de commentateurs peuvent définir le contenu d’une politique à venir, quatre traits ont caractérisé la «  campagne d’Egypte » du «  Bonaparte des Start-upeurs » :

-       Un néo-centrisme totalement assumé, qui s’évertue à remplacer le clivage droite gauche par une sémantique fondée sur le « en même temps que ». Emmanuel Macron veut démontrer que les Français sont comme lui, et à droite et à gauche. Autant François Bayrou théorisait un centre politique voulant dépasser les anciens clivages, autant le nouveau président ne théorise rien. Au dessus de la mêlée, il veut réaliser à son profit ce que Giscard n’avait pas réussi : le rassemblement des deux Français sur trois. Qu’il ne croit pas lui même à cette gageure importe peu, puisque seule compte la prophétie auto-réalisatrice, conçue comme une réponse aux angoisses existentielles d’électeurs qui, bousculés par les mutations imposées par la mondialisation, attendent un homme providentiel leur permettant de ne pas choisir entre différentes solutions alternatives.

-       Une détermination sans faille pour appliquer un projet clair de démantèlement des acquis sociaux. Avec Jacques Attali, Emmanuel Macron était l’un des principaux artisans de la Commission de la libération de la croissance française, créée par Nicolas Sarkozy en 2008. Il fut, de fait, l’auteur du Rapport de cette Commission, qui n’a pas été mise en oeuvre par le président d’alors, mais qui a vu ses premières applications sous François Hollande, Emmanuel Macron étant devenu secrétaire général adjoint de l’Elysée puis ministre de l’Economie. Cette fois-ci, aucun doute, le nouveau président va aller vite en besogne ; par ordonnances, il va imposer la mise en pièces du Code du Travail, dès l’été, avec toutes les conséquences que ces mesures pourront avoir sur le monde salarié.

-       Un relatif libéralisme sociétal, qui peut effectivement contrebalancer la fuite en avant dans l’islamophobie, le racisme et les discriminations et apaiser le climat d’affrontement, notamment dans les quartiers populaires. Mais là aussi, il devra donner des preuves. Et jusqu’ici, à part des paroles et la relance de zones franches, comme sous Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron n’a pas fait de propositions concrètes au-delà de la promesse des 12 élèves par classe dans les ZEP . Rien, par exemple, sur le récépissé face aux contrôles aux faciès.

-       Un renforcement de la monarchie présidentielle. Contrairement à Benoit Hamon et à Jean Luc Mélenchon et, a fortiori, aux écologistes, Emmanuel Macron n’a jamais renié la Vème République. Il ne veut pas la dépoussiérer. Bien au contraire. Mais se fondre dans ses symboles, comme l’ont montré les images du Louvre. Non seulement il ne désire pas changer de République, mais tout indique qu’il veut renforcer le caractère bonapartiste des institutions créées par De Gaulle : maintien du 49. 3, gouvernement par ordonnances, état d’urgence … Tout juste pourrait-il bouger sur la proportionnelle… A condition que la droite maintenue des Républicains le lui permette ! Pour l’instant, Emmanuel Macron, c’est le changement dans la continuité d’une Vème République qui a pourtant implosé durant la campagne présidentielle.

En fin de compte, de quoi Emmanuel Macron est-il le nom ? Il ressemble un peu à un De Gaulle - le poids de l’histoire en moins – qui signa la fin du modèle français issu de la Troisième République et de l’empire français et adapta l’économie du pays aux conditions requises par les « Trente Glorieuses », en en finissant avec le poids conjugué de la paysannerie et du petit commerce. Lui s’est donné visiblement une mission : adapter le modèle français à la mondialisation financière, au libre échange généralisé, au libéralisme triomphant. Comme sous Guizot, chacun pourra devenir un milliardaire s’il sait s’adapter, du chômeur au fonctionnaire, de l’ouvrier délocalisé au jeune des quartiers populaires. Macron est le nom d’un Président qui sera le serviteur exemplaire de la globalisation.

Un vieux monde s’est écroulé sous nos yeux, mais cela n’a pas commencé le 7 mai 2017. Cet effondrement du système politique est le fruit de la transition qui a réduit les Etats nations à leur fonction régalienne : Leur rôle n’est plus la redistribution des richesses, ni le développement de services publics, ni le maintien de la protection sociale, encore moins la défense d’un environnement détruit par les grandes entreprises, dont le candidat d’en Marche est le représentant.

Le nouveau monde qui s’ouvre sera celui de la déstabilisation généralisée, où chacun sera sommé de s’adapter, quoi qu’il en coûte.

C’est pourquoi les 1826 jours du prochain quinquennat seront gros de résistances et d’alternatives. Pour reprendre les mots de Jean Ferrat, dans  sa chanson « le Bilan », en  1980 , notre rôle sera d’être vigilants : « c’est un autre avenir qu’il faut qu’on réinvente sans idole ou modèle, pas à pas, humblement… Avec nos yeux grands ouverts sur le réel, un avenir conduit par notre vigilance envers tous les pouvoirs de la terre et du ciel ».

Noël Mamère

Le 08/05/2017.

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