A quoi ça sert de parler quand on n’a rien à dire ?
Plus François Hollande parle, plus il prêche dans l’indifférence générale. Le président n’est plus le sujet. Ce bavard est devenu un ectoplasme tant ce qu’il dit n’a plus d’importance. Sa dernière interview l’a transformé en faire-valoir des quatre Français invités sur un plateau désuet et de la journaliste Léa Salamé. L’ancien président du Conseil General de la Corrèze, usé par quatre années de zigs-zags erratiques, était réduit à ânonner une langue de bois de conseiller ministériel, répondant par des chiffres et des sigles aux interrogations de Français qui n’en peuvent plus de ses atermoiements, de sa synthèse de synthèses, de sa « normalité » toute entière tournée vers l’impossible reconquête du pouvoir. Ce vol au-dessus de la réalité a confirmé ce que tous, nous savions déjà : Le roi est nu. Il est impuissant. Il n’a rien à dire. Il est à lui seul le résumé de la crise de représentation politique qui ronge notre pays depuis des décennies. Simplement, par la magie des institutions, il peut régner encore un an, se raccrochant à la moindre embellie lui permettant d’espérer reconquérir sa place. Ce ne sera bien évidemment pas le cas tant la situation lui échappe, tant il a lui même creusé le fossé entre deux gauches devenues irréconciliables.
Nuit debout : 1. Hollande : zéro
Le personnage a paru d’autant plus décalé que la jeunesse mobilisée sur les places rebelles continue d’organiser, avec « Nuit Debout », la première ZAD sociopolitique de France. Une ZAD est une « Zone à Défendre » contre un Grand Projet inutile et imposé. La ZAD de la Place de la République s’insurge contre le projet de la France néolibérale et néoconservatrice d’une gauche de droite sponsorisée par le Medef. Le fossé qui sépare le bouillonnement des Places, devenues des Agoras démocratiques et le néant des Palais du pouvoir, est béant.
A Nuit Debout on réinvente la politique, ses codes, ses procédures, sa rhétorique, son récit, son programme. A l’Elysée et à Matignon, on l’enterre. Nuit debout est devenue une ruche pollinisatrice de tous les mouvements issus de la société française. Un formidable espace de libération de la parole s’est formé quasi spontanément, tout en s’accompagnant de pratiques sociales. Ici on met en place une grainothèque, là on ouvre un atelier boxe. On travaille et on écoute. Le mouvement essaime de plus en plus en banlieue parisienne et en régions.
Bien sûr, la question de la violence se pose. Elle ne sera pas simple à résoudre pour le mouvement, car elle ne se réduit pas à quelques provocateurs. Un certain nombre de « casseurs » se retrouvent aussi sur la Place. Ils en font partie intégrante. Ce paradoxe exprime tout simplement la colère d’une partie de la jeunesse, qui ne trouve aucun débouché à sa frustration par rapport à une classe politique qui a fait son temps. Cela exprime aussi les limites de la situation actuelle : Comment trouver un débouché politique institutionnel à un mouvement dont les éléments fondateurs sont la défiance, la méfiance et le ressentiment par rapport à la vieille politique des partis et des cadres de médiation traditionnels qui n’encadrent plus rien ? Ce « soulèvement de la vie », pour reprendre l’expression de Maurice Clavel sur l'après Mai 68, est à mille lieues des apprentis sorciers qui touillent indéfiniment la marmite de la présidentielle. Et ce ne sont pas les gesticulations du premier secrétaire du PS, créant avec ses affidés la « Belle alliance Populaire » qui y changera quelque chose.
Nuit Debout cristallise la volonté politique d’en finir avec une vision éculée du jeu politique. Ce qui s’y joue est porté par deux commissions emblématiques du mouvement :
- D’abord la réécriture de la Constitution par ceux d’en-bas. La Cinquième République bloque tout renouvellement. Il doit passer par une Constituante qui redonne le pouvoir au peuple face aux lobbies qui s’en sont accaparés indument. Le dernier épisode en date le prouve. Le gouvernement vient de détricoter la loi sur la transition énergétique en renonçant à réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité. Cet ultime reniement souligne, une fois de plus, que ceux qui nous gouvernent ne sont plus que le cache sexe de la main invisible des lobbies du nucléaire, du bâtiment, des industries pharmaceutiques, de l’agro alimentaire, des promoteurs et des banques.
- - Le deuxième enjeu, c’est l’invention d’une société de la post- croissance. Qu’est ce que le travail aujourd’hui ? Peut-on perdre sa vie à la gagner ? Comment dépasser la société d’ubérisation et de précarité qui nous est promise, par le revenu de base ou le salaire universel ?
C’est autour de ces deux enjeux et de la question du cosmopolitisme, comme contre position à l’identitarisme, que se construira ou non une nouvelle force politique, mettant au rancart la fausse gauche, la vieille droite, les anciens et les nouveaux fascistes.
Mais il faut d’abord redresser la tête et engranger un début de victoire. C’est tout l’enjeu du bras de fer contre la loi El Khomri, dont les débats commenceront fin avril au Parlement. La convergence des luttes, objectif et pratique de Nuit Debout, doit s’exprimer à travers un élan commun avec les invisibles, ceux qui sont au chômage, comme ceux qui sont fragilisés ou isolés dans leurs entreprises.
Il faut passer de la Nuit Debout à Jour et Nuit Debout. La troisième phase du mouvement se profile. Elle commencera à partir du 26 avril, début du préavis de grève des cheminots, jusqu’au 1er mai, en passant par le 28 avril, nouvelle journée contre la loi Travail.
A Nuit Debout, les averses sont encore présentes, empêchant parfois de trouver la voie de la « démocratie réelle maintenant » dont ce mouvement se réclame. Mais comme l’affirme le dicton populaire : en avril ne te découvre pas d’un fil. En mai fait ce qu’il te plait.
Paris-Bègles , le 48 mars 2016.