Les attentats de Bruxelles reposent encore et toujours la même question : Sommes-nous en guerre et, dans l’affirmative, qui est l’ennemi ? La phraséologie utilisée de manière pavlovienne par le Premier ministre, depuis les premiers attentats de Paris, a pour but d’imposer comme une évidence cet axiome : nous sommes en guerre.
Mais si tel est le cas, alors Salah Abdeslam et tous les terroristes arrêtés à Paris et à Bruxelles, sont des prisonniers de guerre et ils doivent être traités comme tels en vertu de la Convention de Genève. Or ce n’est pas le cas.
Si nous sommes en guerre, alors il faut reconnaître que l’Etat Islamique est un « Etat » à qui nous avons déclaré la guerre. Or les autorités françaises continuent à l’appeler Daech pour, précisément, ne le reconnaître que comme un groupe terroriste parmi d’autres.
Si nous sommes en guerre, alors où est le front ? En Irak et en Syrie ? Mais notre seule action consiste en des bombardements marginaux, qui provoquent des dégâts dans les populations civiles. Sur le front intérieur ? La « militarisation » de nos villes est certes visible sous les traits de patrouilles de soldats en treillis, mais cela ressemble plutôt à une opération de police habillée par les militaires.
En réalité, on crée un climat de guerre, on mime la guerre, mais on ne la fait pas. Parce que la guerre n’existe pas. La guerre c’est autre chose : des bombardements quotidiens, des massacres de populations civiles, un changement total de nos conditions d’existence. C’est ça la guerre, le feu, le sang, la destruction. Nos anciens l’ont connue, en 1914, en 1940 et en Algérie, à partir de 1954.
La réalité d’aujourd’hui est qu’un groupe terroriste à caractère islamo fasciste, profite du chaos créé par les guerres d’Irak, de Syrie et de Lybie - celles-là bien réelles -, alimentées par les occidentaux, les Russes et les puissances régionales saoudienne et iranienne. Ce groupe s’est créé un espace politique en menant un conflit asymétrique dont le but est de créer les conditions d’un choc de civilisations, tout en tentant d’instrumentaliser les populations musulmanes en Europe. Il y a bien une guerre régionale en Syrie et en Irak, qui est la conséquence d’erreurs stratégiques sans cesse recommencées : le surarmement et la défense de régimes dictatoriaux au Moyen-Orient ; le soutien à l’embargo sur l’Irak, qui a engendré des centaines de milliers de morts avant la deuxième guerre en Irak , menée par une coalition occidentale ( sans la France) sous l’égide de l’OTAN ; l’intervention franco-britannique en Lybie, qui a entrainé la déstabilisation de tout le Sahel ; enfin, une politique erratique en Syrie, qui a valu abandon du peuple auquel nous n’avons pas donné les moyens de son auto-défense.
Cette hypocrisie éclate maintenant au grand jour, avec le retournement de veste de François Hollande, qui soutient désormais Assad et la Russie, mais aussi la Turquie qui bombarde les Kurdes, tout en recevant les combattantes de Kobane à l’Elysée.
Aujourd’hui, l’intensité des bombardements que nous menons avec la coalition - Depuis le 23 septembre 2014, 11 086 bombardements (7 431 en Irak et 3 655 en Syrie), qui ont causé plus de 1 000 morts civils en Irak et en Syrie - ne peut qu’élever le risque de nouveaux attentats.
Quand au « front » intérieur, l’attitude minable de la France et de l’Europe vis- à-vis des réfugiés, relayée par une rhétorique xénophobe, ne peut qu’alimenter le fonds de commerce de Daech. Plus nos Etats sont impuissants à régler les problèmes quotidiens des citoyens, plus ils se concentrent sur des missions dites régaliennes, en faisant croire qu’ils assurent la sécurité des citoyens. Malheureusement, à la lumière des attentats, nous voyons qu’il n’en est rien. Au contraire. En imposant des politiques d’austérité, ils ont détruit le système de renseignement intérieur, qui réussissait à mailler tout le territoire. Ils épuisent soldats et policiers, en créant une ligne Maginot imaginaire, sans effet sur des terroristes qui maitrisent les codes de la lutte médiatique, symbolique et sémantique.
Parler de guerre et, comme Manuel Valls, de guerre de civilisation, n’est pas seulement une erreur sémantique, mais une grave faute politique que nous risquons de payer cher dans les années à venir. Les actes islamophobes qui se multiplient, comme, par exemple, le tweet « stop à l’islam » retweeté 250 000 fois, le montrent. Chaque attentat est l’occasion d’une surenchère symbolique entre la fausse gauche et la vraie droite : une loi et une mesure symbolique. Hier, c’était la déchéance de nationalité, aujourd’hui c’est le débat sur la perpétuité. Aux Etats-Unis, Donald Trump propose le retour de la torture mais avec des pratiques plus fortes que celles avalisées en Irak et à Guantanamo. Pourquoi-pas, après tout, proposer demain le retour de la peine de mort, mais seulement pour les terroristes ? Gageons que nous n’en sommes plus loin.
La démocratie est en danger, car l’objectif n’est pas de détruire un groupe fasciste, mais de rassurer à tout prix une population tétanisée par la succession des attaques terroristes, en entretenant un climat de peur.
Les monstres sont entrés à Paris, à Bruxelles, à Bamako, à Ouagadougou, à Djakarta. Les en faire repartir, c’est aussi nous demander dans quel monde nous voulons vivre, nous, nos enfants et nos petits-enfants. C’est interpeller ceux qui limitent nos droits fondamentaux plutôt que d’assurer la cohésion de la société par de nouveaux droits. Les « irresponsables » ne sont pas ceux que l’on croit.