Trois chocs survenant au même moment illustrent la célèbre phrase de l’écrivain Victor Serge, écrite en 1938 : « il est minuit dans le siècle » : Le choc climatique qui s’annonce malgré la Cop 21, le choc identitaire après le 13 novembre et le choc politique avec la possible victoire du FN aux élections régionales. Trois chocs et trois fractures qui ne surviennent pas par hasard, mais dont la convergence est le produit de trois décennies de crise depuis la fin de la guerre froide, qui ont bouleversé un monde structuré autour de la promesse d’un progrès illimité et d’un sens de l’histoire qui ne pouvait qu’aller vers l’amélioration de la condition humaine… Bref, un rêve qui a viré au cauchemar. Ce temps des ténèbres, que nous voudrions tant conjurer, n’est que l’expression angoissante d’une fin de cycle. L’Anthropocène, cette ère de la domination de l’homme sur la nature, a commencé il y a plus de 200 ans avec la révolution industrielle. Se prenant pour Prométhée, l’Homme a voulu, d’abord, maîtriser la nature en se dotant des outils de la démesure pour parvenir à ses fins, puis, il a uniformisé les identités culturelles, en les fondant dans une immense galerie marchande qui, de Dubaï à Paris, ne connaît plus de distinction autre que celle des marques de luxe inaccessibles à la grande majorité des populations. Alors que le monde prétend être devenu un « village », jamais ses habitants ne se sont autant barricadés derrière leurs particularités, leur couleur de peau, leurs revenus. Son occidentalisation forcée nourrit des idéologies fascistes et meurtrières qui reviennent, tels des boomerangs, frapper de plein fouet nos certitudes pétries d’un universalisme issu des Lumières, qui prétendait s’imposer à la Nature et à l’Humanité. Car le modèle de développement que produit l’occidentalisation ne se contente plus de mettre la Nature en danger, il est devenu une menace pour l’Humanité elle-même. Qui peut blâmer aujourd’hui, l’Inde, la Chine ou le Brésil, de vouloir imiter et refaire les mêmes erreurs tragiques que nous avons répétées en asservissant des peuples pour qu’ils nous permettent d’assumer l’hyper-consumérisme dans lequel nous nous complaisons aujourd’hui ? A l’instar des Etats-Unis, nous avons répété qu’il n’était pas question de toucher à notre mode de vie. Ne nous étonnons donc pas aujourd’hui que d’autres veuillent prendre part au banquet dont ils ont été privés pendant si longtemps. Voilà ce qu’est le minuit rampant : un chaos, agrégat de causes de longue date et de précipités géopolitiques, religieux, ethniques... Vouloir sacrifier le traitement des maux anciens au profit d’une optique court termiste est donc un non sens. Par exemple, les sécheresses de l’année 2010 en Syrie, qui ont provoqué une crise alimentaire et un exil de 300 OOO paysans chassés par l’aridité des terres, ont ajouté à la révolte légitime contre la dictature de Bachar. Si l’on refuse d’intégrer ces analyses dans la prise de conscience des peuples, on ne remettra pas en question ce désordre planétaire dont se nourrit inexorablement le système. Et le climat continuera à se dégrader. Et toutes les promesses de toutes les conférences mondiales n’y pourront rien. La politique des petits pas, en matière climatique comme de terrorisme, ne sert qu’à masquer l’impuissance des Etats à conjurer les périls qu’ils ont fait naître eux-mêmes en soutenant activement les entreprises du pétrole, du charbon, du nucléaire et des armements.
De l’Irak à la Tchétchénie, du Tibet à l’Afrique, les armes de destruction massive de la planète ont été fourbies, entretenues, commercialisées par de nombreux chefs d’Etat venus au Bourget pour prononcer trois minutes de banalités après s’être recueillis devant les morts du Bataclan. On frise l’indécence. Les membres du Conseil de Sécurité, ceux du G8 et du G20, ont plus responsabilités dans le chaos géopolitique du monde que, par exemple, les dirigeants des îles du Pacifique, en train de sombrer sous notre regard compatissant de spectateurs réduits à l’état de voyeurs.
Mais comme le disait Daniel Bensaïd, ce philosophe de la gauche radicale : «l’histoire nous mort la nuque ». Nous sommes face à notre destin et nous avons le choix de nos options. Cette fin des illusions peut être salutaire. Car si le gouvernement socialiste instrumentalise une stratégie du choc, dans une dérive sécuritaire inquiétante pour notre pacte démocratique - on le voit clairement avec l’Etat d’urgence, qui s’en prend aux écologistes, assimilés à des « casseurs » pour mieux les stigmatiser et les criminaliser – en face, la société civile mobilisée vit un vrai un choc de conscience, qui pourrait déboucher sur une remise en cause générale d’un système obscène devenu autophage.
En 1789, le peuple voulut des Etats-Généraux qui révélèrent le Tiers-Etat à lui même. Aujourd’hui, le Tiers-Etat est partout, dans toutes ces chaines humaines qui se sont manifestées pacifiquement d’un bout à l’autre de la planète. C’est aux peuples de la Terre que revient cette responsabilité d’organiser le soulèvement de la vie contre la mort. A eux de s’organiser pour imposer un climat de paix, de justice sociale et environnementale contre les faiseurs de guerres, quels qu’ils soient.
Noël Mamère
Le 30/11/2015.