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Billet de blog 5 octobre 2021

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Atteints de sclérose en plaques, nous partons à l’étranger pour y être soignés

Nous sommes 13 personnes souffrant de sclérose en plaques progressive et, avant la fin de cette année, nous aurons tous bénéficié d’un traitement par cellules souches en Allemagne. Qui sommes-nous ? Pourquoi partons-nous ? Quel protocole allons-nous recevoir ? Comment nous sommes-nous organisés pour fiabiliser notre démarche, être aidés et nous entraider ? Les réponses dans ce billet.

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Le bilan thérapeutique de cette action a été ajouté le 29/12/2023 en commentaire (n°13).

Nous sommes 13 personnes souffrant de sclérose en plaques progressive et, avant la fin de cette année, nous aurons tous reçu un traitement par cellules souches mésenchymateuses (CSM)[1] en Allemagne.

Sclérose en plaques progressive ?

La sclérose en plaques (SEP) reste une maladie méconnue – tant sur le plan physiopathologique que du grand public - et la sclérose en plaques de forme progressive l’est plus encore. Le discours médical dominant qui affirme que de nos jours « la sclérose en plaques se soigne bien », que « la recherche a beaucoup avancé » et qu’il existe « beaucoup de traitements », omet de préciser que lesdits traitements s’adressent uniquement à sa forme rémittente-récurrente. Outre le fait que l’efficacité de ces traitements est relative puisque, dans le meilleur des cas, ils ne font que ralentir l’installation de différents handicaps – moteurs, sensitifs, cognitifs –, ils n’empêchent pas la transition vers la forme secondaire progressive de la SEP, qui concerne environ 50% des personnes dont la maladie a débuté par la forme rémittente-récurrente.

Pour les formes progressives de la SEP – primaire et secondaire[2] – le silence qui règne sur le vide thérapeutique et le déficit de recherche fondamentale et clinique est d’autant plus assourdissant qu’elles touchent ou toucheront plus de 60% des malades.

Qui sommes-nous ?

Nous sommes 13 femmes et hommes, âgés de 41 à 68 ans, souffrant de formes avancées de SEP progressive. Si l’on s’en tient aux handicaps moteurs, qui sont les plus visibles, certains d’entre nous parviennent encore à marcher avec canne, béquilles ou déambulateur, d’autres ont perdu la capacité de se tenir debout, d’autres encore sont tétraplégiques et complètement dépendants, esprits lucides emprisonnés dans des corps figés.

Pour certains d’entre nous, la maladie a été stabilisée grâce à une première thérapie cellulaire pratiquée à l’étranger : autogreffe de moelle osseuse (également appelée autogreffe de cellules souches hématopoïétiques) ou greffe de cellules de cordon ; il y a parfois eu des améliorations cliniques. Pour d’autres, malheureusement, la SEP a continué à faire son ouvrage. Enfin, pour une minorité d’entre nous, le traitement par cellules souches que nous allons recevoir en Allemagne sera une première ainsi que l’unique option thérapeutique disponible en l’état actuel de la médecine.

Pourquoi nous partons

Deux essais cliniques de phase 1 et 2 respectivement conduits au Centre Tisch de Recherche sur la Sclérose en Plaques de New-York[3] et à l’hôpital d’Hadassah (Israël)[4] ont démontré l’innocuité et l’efficacité de l’utilisation de CSM dans le traitement des formes progressives de la sclérose en plaques : arrêt ou ralentissement de l’aggravation des symptômes et parfois récupération au moins partielle des déficits neurologiques grâce à l’interruption du processus de neurodégénérescence et à la remyélinisation des axones. Ces études montrent que l’action de régénération neuronale des cellules souches mésenchymateuses est potentialisée lorsqu’elles sont directement injectées dans la moelle épinière.

Mais les recherches fondamentale et clinique sur les traitements par CSM sont rares. Pour la France, on peut saluer l’activité du Centre MEARY de Thérapie Cellulaire et Génique de l’AP-HP ouvert en 2018, qui est engagé dans la très complexe fabrication des Médicaments de Thérapie Innovante (MTI). Il s’agit, notamment avec la thérapie cellulaire, de réparer le vivant non pas avec les molécules chimiques que sont les médicaments, mais avec du vivant, grâce aux propriétés des cellules souches qu’il faut mieux comprendre pour apprendre à les utiliser. On peut également mentionner les importants travaux réalisés par MATHEC pour le traitement de la sclérodermie et du lupus érythémateux systémique par allogreffe de CSM dérivées de cordon ombilical. On peut aussi se féliciter du projet d’essai clinique pour le traitement des scléroses en plaques progressives par CSM du CHU de Rennes, dont le montage financier est en cours. Il s’agit d’une initiative d’autant plus remarquable que la recherche clinique sur la SEP est principalement financée, en France et ailleurs, par une industrie pharmaceutique dépourvue d’expertise et d’intérêt économique pour sortir du médicament-molécule et aller vers le médicament-cellule. Mais nous nous savons d’ores et déjà exclus de cet essai clinique, car trop handicapés.

Nous partons parce que la neurologie mainsteam ne nous offre aucune perspective thérapeutique et que le temps long de la recherche médicale, l’exigence scientifique de convergence de résultats statistiquement puissants de plusieurs études-randomisées-en-double-aveugle, sont incompatibles avec la durée et la qualité de nos vies.

Nous partons parce que nous espérons consolider les rémissions de celles et ceux d’entre nous qui les ont obtenues après s’être battus pour bénéficier d’une première thérapie cellulaire, qu’ils ont déjà dû financer eux-mêmes.

Nous partons parce que nous espérons stopper la descente aux enfers de ceux et celles d’entre nous dont la maladie continue d’implacablement consumer les fonctions motrices, sensitives et/ou cognitives.

Nous partons tous avec l’espoir de voir notre handicap reculer… un peu, beaucoup, spectaculairement, et conscients de la possibilité du pas du tout.

Nous partons parce que les souffrances que nous endurons depuis de nombreuses années et celles de nos entourages familiaux et amicaux - indéfectiblement présents mais impuissants - nous poussent, en nous inspirant d’Antonio Gramsci, à davantage cultiver l’optimisme de la volonté que le pessimisme de l’intelligence.

Le protocole de soin que nous allons recevoir

Dans les semaines qui viennent, nous bénéficierons en Allemagne du protocole israélien mis au point par le Professeur Shimon Slavin, pionnier de renommée internationale en immunothérapie et en médecine régénérative par utilisation de cellules souches mésenchymateuses. Environ 150 millions de CSM issues de cordons ombilicaux seront administrés à chacun d’entre nous par voies intraveineuse, intramusculaire et intrathécale.

Le choix de ce protocole est le résultat de plusieurs mois de recherches, de prises de contact avec des établissements français et étrangers et de consultations des rares spécialistes français de thérapie cellulaire par CSM. Ceux-ci nous ont aidés à écarter les offres aussi séduisantes que douteuses et couteuses des « boîtes à cellules souches » qui se sont multipliées au cours des dernières années, en Europe et ailleurs. Ils ont étudié le protocole du Pr Slavin qui leur a partagé ses travaux, ont échangé avec lui et en ont conclu que le traitement que nous allons recevoir est sérieux et ne comporte aucun risque. Bien sûr, ces spécialistes français ne nous encouragent pas à partir en finançant nous-mêmes un traitement dont les résultats ne sont pas garantis, comme le Pr Slavin nous en a lui-même avertis. Mais en validant la sécurité des cellules souches et de la procédure, ils ont accompli leur devoir de médecin et nous leurs en sommes reconnaissants. C’est donc pleinement éclairés que nous consentons à recevoir ce protocole et, ce faisant, à imposer notre chance, serrer notre cœur et aller vers notre risque, pour paraphraser René Char.

Notre force : des valeurs partagées

Nous sommes donc un collectif de 9 femmes et 4 hommes, éparpillés dans l’Hexagone. Nous ne sommes pas amis, nous nous connaissons à peine. Nous sommes uniquement reliés par la même pathologie et la volonté de jouer ce qui constitue aujourd’hui notre unique carte. Ce sont nos souffrances et nos déterminations individuelles à les atténuer qui nous unissent les uns aux autres.

Au sein de notre collectif, dont WhatsApp et Jisti Meet ont été les principaux outils d’échanges, il y a eu mutualisation des énergies et des capacités : connaissances en biologie, compétences en décryptage de publications scientifiques, en journalisme, en communication, en gestion de projet, maîtrise de l’anglais, mobilisation de réseaux et d’un outil associatif permettant la défiscalisation de dons. Les niveaux d’implication ont été variables ; ils ont été étroitement liés à la diversité des bagages personnels et à l’agressivité de la maladie qui a amené certains à devoir abandonner, par intermittence ou définitivement. L’une de nos valeurs centrales, dont le partage a été l’incontournable condition pour rejoindre notre groupe, c’est la solidarité. Nous l’avons érigée en principe : notre « principe de solidarité » a formulé que, dans la mesure où notre nombre nous permettait d’obtenir une réduction de 15% du prix du traitement grâce à l’économie d’échelle résultant de la grande quantité de CSM produites, chacun s’engageait, en fonction de ses moyens financiers, à reverser une fraction de l’économie réalisée afin de combler la partie du budget qui pourrait venir à manquer à des membres. Peu d’entre nous sont encore en capacité de travailler et ce serait une lapalissade que de rappeler que les montants de l’AAH ou des pensions d’invalidité ne permettent, dans la majorité des cas, que de subsister. Il a fallu économiser mois après mois, solliciter l’aide de l’entourage proche, faire appel à la générosité de donateurs, prendre un crédit bancaire, vendre une voiture,… et cela n’a pas toujours suffit.

La solidarité a donc été au cœur de notre démarche, et avec elle la confiance dans le respect de la parole donnée, sans qu’aucune garantie ne soit exigée. Et cela a fonctionné : ajoutés aux efforts déployés par chacun des membres de notre collectif et par leurs entourages, les dons effectués par certains d’entre nous permettront à deux de nos compagnons de s’envoler aussi vers l’Allemagne.

S’agissant de l’inclusion des patients dans notre collectif et de l’affectation des dons, ce qui a radicalement différencié nos décisions de celles de la plupart des professionnels de santé, c’est qu’elles ont été fondées sur des valeurs et non sur de robustes statistiques. Les statistiques constituent des informations précieuses sur l’efficacité observée d’un traitement sur une groupe homogène de patients traités en situation expérimentale, mais elles ne peuvent en aucun cas prédire de manière certaine comment l’organisme d’un sujet particulier répondra à une thérapie. La statistique, quand elle est rigoureusement maniée, apporte des connaissances sur des faits passés ; lorsqu’elle est orientée vers l’avenir, elle exprime seulement des probabilités, des « chances », et c’est dans cette incertitude mathématique que s’enracine notre détermination.

Notre aventure collective n’a pas pour vocation de contribuer à l’édification de la connaissance médicale, bien que le Pr Slavin a mis en place un protocole de suivi neurologique sur la cohorte auto-constituée que nous formons. Notre seule ambition est de permettre à chacun d’entre nous de tenter sa chance pour une vie meilleure.

Ahmet, Alicia, Daniel, David D., Fanny, Farid, Iseult, Julie, Karin, Laurence, Martine, Noëlle, Prisca.

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[1] Une cellule souche mésenchymateuse (CSM) est une cellule souche adulte que l'on trouve principalement dans la moelle osseuse. Elle peut également être isolée à partir d'autres tissus, comme le sang de cordon, le sang périphérique, la trompe de Fallope, le foie et les poumons fœtaux. Multipotente, elle peut donner naissance à n’importe quel type de cellules de l'organisme : cartilage, os, tendons, muscle, etc. Les CSM ont une grande capacité d'auto-renouvellement tout en maintenant leur capacité à se donner naissance à plusieurs types cellulaires.

[2] Pour davantage de précisions sur les formes de SEP, le lecteur est invité à consulter d’autres billets de ce blog dans lesquels ce sujet a été déjà largement abordé.

[3] https://www.thelancet.com/journals/ebiom/article/PIIS2352-3964(18)30051-3/fulltext

[4] https://academic.oup.com/brain/article/143/12/3574/6012789?login=true

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