Avertissement :
Dans ce billet, dans un souci d’allègement du texte, j’utilise les termes « communauté des neurologues » ou «neurologues ». Ils désignent l’immense majorité des membres de la profession dès lors qu’il est question de la procédure d’autogreffe de cellules souches hématopoïétiques (ACSH) et des patients-SEP en recherche d’ACSH. Les positions qui y sont décrites ne valent que dans ce contexte précis. Il existe bien entendu des exceptions, des neurologues « dissidents », ouverts à ce traitement et prêts à aider leurs patients à l’obtenir, dans leur pays ou à l’étranger. Leurs noms, très peu nombreux, figurent sur une liste internationale de neurologues « ACSH friendly » que les patients qu’ils ont soutenus recommandent pour leur compétence et leur humanité.
C’est dans le même esprit qu’il est fait référence aux « malades », aux « patients » et « patients-SEP » : ces termes désignent les personnes souffrant de sclérose en plaques qui souhaitent bénéficier d’une autogreffe. L’information sur cette procédure étant actuellement peu accessible, elles représentent une minorité de patients.
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« L'indication thérapeutique renseigne sur la maladie ou les symptômes que le médicament est capable de traiter ou de prévenir, ou encore sur le diagnostic qu'il permet d'établir. » - Ministère de la Santé et des Solidarités
Pour les patients-SEP, l’accès à l’autogreffe de cellules souches hématopoïétiques (ACSH) est organisé autour d’indications thérapeutiques qui sont formulées par des instances pluridisciplinaires au sein de sociétés savantes ou d’établissements médicaux. L’indication thérapeutique de l’autogreffe de moelle osseuse pour le traitement de la sclérose en plaques ne fait pas actuellement l’objet d’un consensus mondial. On observe au contraire une certaine hétérogénéité dans les approches : principalement circonscrite à la forme rémittente-récurrente au sein de l’espace Australie - Canada - États-Unis - Europe, l’ACSH est aussi administrée aux malades en formes progressives – primaire et secondaire[1] - au sein de l’ensemble Israël - Mexique - Russie. La variation géographique et temporelle du périmètre des indications est étroitement liée à l’état des connaissances sur les mécanismes de la pathologie et aux critères prévalant pour les prescripteurs (activité inflammatoire, progression clinique,…). L’étendue du périmètre des indications thérapeutiques, mais aussi les interprétations qui en sont faites par des professionnels de santé, ne sont bien évidemment pas neutres pour les patients dont une majorité se trouve exclue du bénéfice de l’autogreffe dans leur pays. Leur ultime chance : se rendre à l’étranger, dans des établissements aux indications moins restrictives.
A l’origine des indications thérapeutiques : les essais cliniques
On gardera utilement à l'esprit que les essais cliniques ne sont pas conduits dans le but de soigner une personne en particulier. Leur objectif premier ? Pour une population donnée, prouver une hypothèse médicale : celle de l’innocuité et de l’efficacité d’un traitement et de sa valeur ajoutée comparativement aux thérapeutiques existantes.
La « population donnée » est matérialisée par des groupes dont l’homogénéité vise à garantir la congruence des effets observés et la validité des conclusions à venir ; l’homogénéité des groupes procède de l’application de critères d’inclusion et d’exclusion des sujets candidats (sexe, limite d’âge, antécédents, etc.), qui concourent aussi à créer les conditions d’atteinte de résultats optimaux dans la perspective d’une obtention d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Par conséquent, des patients postulant à un essai clinique peuvent voir leur candidature rejetée pour ne pas remplir toutes les restrictives conditions d’inclusion, alors que le traitement étudié pourrait tout de même leur être bénéfique.
Dans le cadre de la sclérose en plaques, toutes les molécules et biothérapies développées jusqu’ici sont indiquées pour la forme rémittente-récurrente, c’est-à-dire présentant des poussées et une activité inflammatoire visible à l’IRM (activité radiologique) ; leur action est renforcée lorsque la pathologie est récente et le handicap modéré. Les critères d’inclusion dans les essais cliniques tendent donc à sélectionner les malades présentant ces caractéristiques dans la mesure où elles augurent de plus grandes chances de réponse positive au traitement.
Les études actuelles sur l’ACSH ne font pas exception à cette règle : elles ajustent leurs critères d’inclusion à ceux utilisés pour l’expérimentation des biothérapies auxquelles l’autogreffe fait directement concurrence. A quelques variations près, on rencontre principalement les conditions suivantes :
- Age : de 18 à 55 ans
- EDSS [2]: de 2 à 6
- Forme récurrente-rémittente
- Échec préalable à 1 ou 2 traitements de fond
Souffrir d’une forme progressive primaire ou secondaire est un facteur d’exclusion.
Les formes inflammatoires privilégiées
Hors essai clinique, le bénéfice d’une ACSH peut être accordé à un malade si et seulement si il reçoit une indication thérapeutique[3]. Les indications thérapeutiques sont encadrées par les recommandations formulées par des sociétés savantes d’hématologie : Société Francophone de Greffe de Moelle Osseuse et de Thérapie Cellulaire (SFGM-TC), Société européenne de Greffe de Moelle (EBMT[4]), Société américaine de Greffe de Moelle Osseuse, etc.
Pour formuler ces recommandations, les sociétés savantes s’appuient sur les connaissances issues des études cliniques les plus récentes. Mais, à la différence des promoteurs de ces études, elles ne poursuivent pas un objectif de validation d’hypothèse médicale et de maximisation de pourcentage de réussite. En cherchant avant tout à établir toutes les situations dans lesquelles l’autogreffe peut apporter un soulagement aux malades, les sociétés savantes peuvent retenir des critères d’accès élargis en se fondant, par exemple, sur les observations réalisées lorsque les essais cliniques n’excluaient pas les formes progressives.
Ainsi, en 2017, la Société Francophone de Greffe de Moelle Osseuse et de Thérapie Cellulaire préconisait d’envisager l’autogreffe de moelle pour les personnes présentant les caractéristiques suivantes :
- Age : 18 à 65 ans
- SEP évoluant depuis moins de 10 ans
- EDSS : de 2,5 à 6 (persistance de la capacité de marche, même limitée, nldr)
- Forme rémittente-récurrente active, caractérisée par des poussées cliniques et une activité radiologique (IRM)
- Forme secondaire progressive avec poussées surajoutées
- Échec préalable à au moins 1 traitement de fond
J’ai moi-même reçu une ACSH en France, en 2017, en application de ces critères, aux exceptions près que ma maladie évoluait déjà depuis plus de 20 ans et que l’activité radiologique était à peine perceptible. Peu de temps après, un autre patient a été accepté ; il présentait certes une activité inflammatoire mais ne pouvait plus marcher. Une certaine souplesse peut donc intervenir dans le maniement des critères, et dans l’intérêt des malades.
Deux ans plus tard, en 2019, la Société européenne de Greffe de Moelle (EBMT) franchit un pas capital : pour la première fois en Europe, la forme primaire progressive n’est plus radicalement exclue d’une éventuelle indication thérapeutique, à la condition de l’existence d’une activité inflammatoire surajoutée. Cette recommandation exploite les observations effectuées lors de l’utilisation d’un traitement immunomodulateur[5] sur la forme progressive d’emblée. Ici, il s’agit moins de nouvelles certitudes médicales, dûment prouvées de manière répétée, que du chancellement du paradigme qui a jusqu’ici fondé la décision de soin.
L’ACSH : vraiment inefficace sur les formes non inflammatoires ?
Dans l’espace « Occidental » Australie – Canada - États-Unis - Europe où les formes progressives ont été écartées des essais cliniques, il n’existe pas de données récentes sur les bénéfices que les patients concernés peuvent retirer d’une autogreffe.
Toutefois, les études ayant inclus dans le passé des formes secondaires et primaires progressives parviennent aux mêmes conclusions : l’ACSH est plus efficace sur la forme rémittente-récurrente que sur les formes progressives, et davantage sur la forme secondaire progressive que la primaire progressive. (Soulignons ici que c’est sans hésitation que la discutable équivalence entre le « moins efficace » et le « pas efficace » est posée par nombre de professionnels de santé. Pour les malades, ce raccourci est d’autant moins soutenable qu’aucune alternative thérapeutique ne peut leur être proposée.)
Parmi ces études, celle conduite par une équipe russe[6] dont les résultats montrent, 4 ans post-greffe, 83,3% de stabilité pour les SEP rémittentes et 75,5 % pour les SEP progressives, primaires et secondaires confondues. Cette étude a eu la particularité d’inclure des patients avec et sans activité inflammatoire et de mettre en évidence des bénéfices pour ces deux catégories de malades. Pour les chercheurs russes, la notion d’absence d’activité inflammatoire devrait être appréhendée à l’aune des limites de l’IRM classique, qui pourrait ne pas détecter tous les niveaux d’inflammation. Ils concluent donc que la progression clinique, même en l'absence de nouvelles lésions, peut être une indication pour une autogreffe.
En outre, au-delà des statistiques, des témoignages de patients partagés sur les forums internationaux confirment le potentiel dont l’ACSH est porteuse pour les formes non inflammatoires aujourd’hui dépourvues de toute autre possibilité de traitement. Voici ici l’une de ces histoires : celle de Vicki, forme primaire progressive non inflammatoire, EDSS 6 au moment de sa greffe en 2013, revenue à un EDSS 3 en 2019.
Rareté des indications thérapeutiques, multiplication des autogreffes à l’étranger
En Occident, il existe donc des recommandations officielles destinées à guider les professionnels dans la prescription d’une autogreffe pour la sclérose en plaques. Pour autant, rapportées au nombre de patients qui souffrent des formes de la maladie ciblées par ces lignes directrice (avec activité inflammatoire), les indications thérapeutiques sont extrêmement rares.
Cela est particulièrement vrai en France, où les patients qui souhaitent recevoir une autogreffe et qui présentent l’ensemble des critères requis se heurtent tout de même à des refus. Alors que la fenêtre thérapeutique de l’ACSH est identique à celle des biothérapies de deuxième intention, moins performantes, ce sont celles-ci que les neurologues prescrivent massivement. Les recommandations n’étant que ce qu’elles sont – des conseils, des invitations, des encouragements à…–, elles peuvent faire l’objet d’autant d’aménagements qu’il existe de praticiens : le critère d’échec préalable de 1 ou 2 traitements de fond peut être arbitrairement élevé à 4 ou 5, le niveau de handicap minimum être aggravé, le critère d’activité des lésions ajouté…
Il faut bien comprendre l’enchainement catastrophique qui guette alors les malades :
- Si la biothérapie ne fonctionne pas, un handicap irréversible peut s’installer, qui réduira définitivement la qualité de vie du patient ;
- Si ce handicap progresse rapidement, le malade court le risque de se voir refuser une ACSH au chef qu’il est « trop handicapé » ;
- Si sa maladie évolue vers la forme secondaire progressive avec activité inflammatoire et qu’une autogreffe lui est accordée, ses chances de réussite seront moins élevées que si il l’avait reçue pendant qu’il était encore en forme rémittente ;
- Si sa maladie évolue vers la forme secondaire progressive sans activité inflammatoire, il se situera alors « hors cadre des indications thérapeutiques » ;
- Enfin, des effets secondaires graves des biothérapies peuvent constituer des contre-indications à une autogreffe.
Inextricable.
Conséquence de l’absence d’indication thérapeutique : chaque année, des centaines de malades occidentaux, notamment français, se rendent dans des établissements étrangers qui pratiquent des ACSH pour les formes rémittentes comme pour les progressives. Il s’agit de patients convaincus qu’il est de leur intérêt d’avoir accès le plus tôt possible à la thérapeutique qui leur offre les meilleures chances de stopper la SEP, qui maîtrisent l’anglais et ont la chance de pouvoir rassembler les ressources mentales et financières nécessaires pour recevoir ce lourd traitement loin des leurs. Ils candidatent dans des établissements situés principalement au Mexique et en Russie.
De 2009 à 2018, l’hôpital public Pirogov-Maximov, à Moscou, a greffé 1200 personnes atteintes de sclérose en plaques, parmi lesquelles 860 « patients-internationaux ». Toutes formes de SEP confondues, inflammatoires ou non, le taux de réussite est compris entre 65 à 95%. Depuis 2015, la Clinica Ruiz, à Mexico, a quant à elle cumulé 684 pratiques de greffe sur des patients internationaux. Ces centres de transplantation concentrent aujourd’hui les expériences les plus importantes d’ACSH pour les maladies auto-immunes.
En matière d’indications thérapeutiques, deux paradigmes se côtoient donc : celui d’un espace occidental acceptant de soigner, avec parcimonie, la forme de SEP sur laquelle l’ASCH est réputée être la plus efficace ; et celui de pays qui offrent à leurs ressortissants et à des patients «internationaux » la possibilité de bénéficier d’une autogreffe, aussi, pour les formes pour lesquelles elle est certes moins efficace mais représente l’unique option thérapeutique. Les praticiens de ces pays sont regardés par leurs homologues occidentaux non sans biais ethnocentrique : sur leurs pratiques jugées non-orthodoxes pèse le soupçon de l’inconséquence médicale et de l’intérêt financier. De la même façon, une propension à la crédulité et à la prise de risques inconsidérés est prêtée aux patients-SEP candidats au départ.
Et il s’agit, là aussi, d’un point de discorde entre malades de la sclérose en plaques et neurologues.
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[1] Pour davantage d’informations sur les différentes formes de sclérose en plaques, cliquer ici.
[2] Expanded Disability Status Scale. En français : Echelle de mesure du handicap. Davantage d’informations ici.
[3] En France, les indications thérapeutiques sont étudiées dans le cadre de Réunions de Concertation Pluridisciplinaire du réseau MATHEC – Maladies Auto immunes et Thérapie Cellulaire.
[4] European Society for Blood and Marrow Transplantation
[5] L’Ocrevus, anticorps monoclonal validé pour la SEP rémittente, a montré un modeste impact sur l’évolution de la SEP primaire progressive.
[6] Long-term outcomes of autologous hematopoietic stem cell transplantation with reducedintensity conditioning in multiple sclerosis: physician’s and patient’s perspectives (2015) - Jury L. Shevchenko, Alexey N. Kuznetsov, Tatyana I. Ionova, Vladimir Y. Melnichenko, Denis A. Fedorenko, Kira A. Kurbatova, Gary I. Gorodokin, Andrei A. N