Chers camarades malades chroniques,
L’épidémie de Covid 19 vient de jeter nos amis valides et bien-portants dans les affres du confinement à domicile, tout en accroissant notre propre vulnérabilité.
Nous, experts contraints en isolement, invisibles et inaudibles la plupart du temps, comment pourrions-nous contribuer à soulager l’immense désarroi de nos concitoyens qui vont effleurer temporairement, pendant quelques semaines seulement, l’existence qui est la nôtre, la réalité de notre invariable quotidien ?
Camarades handicapés, comment pourrions-nous réconforter ces pauvres âmes que les mesures de confinement actuelles, absolument capitales pour sauver des vies, inquiètent et désespèrent en les privant provisoirement de leur liberté de mouvement ? Comment apaiser ces intérimaires de la claustration à laquelle ils n’auront pas même le temps de s’habituer et qu’ils oublieront presque aussitôt la menace écartée ?
Camarades, je pense que le message que nous pourrions leur adresser et qui sonnerait juste, du moins à nos oreilles, est le suivant : « C’est pour le bien de tous » et bien sûr « Ça passera ».
Car, les infections, les maladies aiguës, ça passe. Bientôt, ils reprendront le cours normal de leur vie. Le confinement rendu impératif par les risques sanitaires ne sera alors plus qu’un mauvais souvenir.
Que pensez-vous de ce message, chers camarades cloîtrés à perpétuité ? Et croyez-vous qu’il est à la portée de nos amis valides et bien-portants de survivre, en serrant les dents, à une version courte et édulcorée de notre existence recluse ? Estimez-vous que les stratégies de coping, conseils en survie mentale et autres trucs & astuces pour tromper leur ennui, largement partagés via les médias et les réseaux sociaux, leur permettront d’effectuer la révolution intérieure qui rendra supportable leur nouvelle et éphémère condition ? Pour ma part, de mon 564ème jour de captivité pour raison de santé, je veux le croire. Je veux croire qu’ils sauront trouver les ressources nécessaires au tréfonds de leur être, et que le jour où ils refermeront prestement cette tragique parenthèse n’est pas si éloigné. Je veux croire qu’ils finiront par réaliser leur chance, car leur confinement à un sens, une finalité - se protéger et protéger les autres - quand le nôtre est strictement absurde.
Camarades malades et handicapés, oui, c’est vrai, tenter de les faire bénéficier de notre longue expérience nous expose à être suspectés d’orgueil. Les plus rebelles à la leçon, les mieux informés sur notre situation, pourraient, d’un « Oh ça va, hein ! », nous signifier que nous n’avons pas si grand mérite. Après tout, n’avons-nous pas eu tout le temps de nous faire aux entraves ourdies par nos propres chairs ? N’est-il pas plus facile de subir les limites indépassables que nous impose la Nature que de se plier volontairement aux décrets officiels ? Et puis, en réalité, les mesures de restriction des déplacements ne perturbent pas vraiment notre quotidien ! Pour en entendre parler deux ou trois fois par an, ils savent que de toutes façons, hors de nos quatre murs, nous ne sommes pas attendus ; que les éclairs d’audace qui nous trimbalent à l’extérieur s’étouffent dans la tarte à la crème de l’inaccessibilité des espaces et des transports publics, de la confiscation par des valides des places réservées aux handicapés, et tout et tout. Pour ceux-là, les intolérants à la frustration, les réfractaires à la relativisation, les inconsolables du grand air pur ou pollué, les psychorigides de la liberté, c’est certain, nous ne pouvons rien. Nous sommes condamnés, avec les bien-portants et valides raisonnables, à écouter leurs craintes, plaintes, révoltes et exposés de leur douloureux cheminement intime.
Soit. Il faut savoir se faire à tout.
Pour conclure, courage à nous, camarades empêchés chroniques, car le confinement que nous endurons, lui, est sans issue. Nourri en premier lieu par nos pathologies et l’invisibilité sociale à laquelle elles nous assignent, il est aggravé par l’indifférence des politiques publiques et des comportements individuels.
Camarades malades, on ne change rien !
Amis bien-portants, faîtes comme nous : RESTEZ CHEZ VOUS !
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