Chemin du 2 novembre 2023
Sentier de la paix
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Quand je sors de chez moi pour aller marcher, j’ai deux options : descendre dans le val de Lans, vaste prairie humide en berceau et parcours plan-plan pour papy peinard, ou alors grimper vers le hameau des Mercier, balcon éblouissant, ouvert sur les Alpes, mais itinéraire pentu, avec démarrage en côte et dénivelé costaud pour genoux parfaitement huilés.
Donc, c’est selon l’humeur et la forme du moment.
En cette période de Toussaint, alors que plus à l’Est, en enfer, des tyrans ont pour slogan « faites des morts », j’ai choisi de monter au ciel, et d’y chercher la vie.
L’expérience a été concluante dernièrement sur le Causse Méjean et sur l’Aubrac, espaces féériques, souvent vantés et toujours venteux, où j’ai trouvé solitude, distance et oubli (voir chemins précédents).
Mais là, tout près de ma tanière, puis-je à nouveau chasser l’idée noire, masquer l’insoutenable, et respirer l’oxygène rare ?
A voir …
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D’abord il me faut passer devant chez Mickey. Un bon vivant. Retraité tout frais. Il fait ronfler son tracteur de collection. C’est un Ford jaune citron, qui doit bien dater du plan Marshall ! Mickey a la banane. C’est positif.
Ensuite j’entre dans le sous-bois, sous le tunnel végétal. Le chemin devient gras et glissant. L’automne nous est tombé dessus d’un coup, pluie, vent, chaud-et-froid, si bien que la couleur rouille s’impose subitement, sans transition, avant que le vert ne s’éclipse.
A travers les fayards, par échappées lumineuses, la plaine s’étale jusqu’à Villard, et tout au fond, le bicorne de la Grande Moucherolle affiche sa première poudre automnale.
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Je souffle, ça grimpe !
Les chiens de chasse, ceux du voisin d’en haut, aboient violemment. Ils ont senti ma présence. C’est automatique : chaque fois que j’approche, j’en prends pour mon grade ! Je me fais engueuler pendant cinq bonnes minutes. Ils doivent savoir que j’ai la fibre écolo depuis belle lurette et qu’il n’y a pas de dialogue possible avec moi. Je joue le mépris, l’indifférence, je passe devant l’enclos, et je fredonne :
« Par dessus l'étang
Soudain j'ai vu
Passer les oies sauvages… »
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Il me file la pêche Michel ! Cette chanson me poursuit souvent. Si tous les matamores du monde rangeaient leurs fusils et se contentaient de jouir du paysage l’ONU n’existerait pas !
Sortie de forêt. Je retrouve la route, étroite et goudronnée. J’arrive aux Egauds. Devant moi la plus belle ferme du hameau, adossée à la montagne, dresse sa façade et son toit lauzé, en escalier, avec en guise de chapeau cette pierre debout qu’on appelle « la couve ».
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Puis la voie se transforme en corniche. Je progresse au-dessus des champs et des falaises verticales. Ce ruban d’asphalte, bien utile au camion du laitier, se termine aux Mercier, impasse fermière où une jeune femme a repris l’exploitation. Courageuse. Isolée. Méritante.
Depuis cette chaussé en suspend, la vue est foudroyante. On ne peut que se figer. Chartreuse et Belledonne se pavanent en majesté. La neige est tombée. Les sommets se font des cheveux, les nuées s’effilochent sur le roc. Que dire ? Rien ! Ce devrait être comme cela partout : beau, paisible, émouvant.
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Plus bas, dans l’amphithéâtre chlorophylle qui précède les arbres et les falaises, deux chamois m’observent. Figés eux aussi. Mais pas farouches. Cul blanc, petites cornes et masque brun, grassouillets, en arrêt, mais en paix.
Que veut le peuple, hein ? Pas grand chose, sinon que ce genre d’instant perché devienne perpétuel, et à la portée de tous. Ce peut-être au square, au parc, dans les jardins ouvriers ou les potagers campagnards, au paradis en quelque sorte, mais sûrement pas sur les rives du Styx, dans le tonnerre des tanks et le brasier des explosions.
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« Un vol de perdreaux
Par dessus les champs
Montait dans les nuages
La forêt chantait
Le soleil brillait
Au bout des marécages… »
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