Chemin du 4 avril 2019
Les deux couleurs de la poudre ...
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Je suis sur mon clavier et je frappe, je tabasse, je maltraite l’Azerty, je ne caresse pas les lettres, je les matraque ! Le Mac prend des coups. Il a l’habitude .
«Papa, tu tapes trop fort» criaient mes filles quand elles étaient encore à la maison ! Forcément, elles ont le doigté «tablette», la main douce et silencieuse. C’est facile pour elles. Question de génération .
J’ai commencé dans le métier avec une Olivetti portable et des touches un peu réticentes. Au canard c’était une grosse bécane, et les touches étaient encore plus résistantes. Si bien qu’aujourd’hui je défonce l’ordinateur comme un CRS démolit un gilet jaune, par habitude ! Tout cela pour vous dire, que je suis en train de répondre à quelques commentaires qui ont suivi mon billet sur les «pingouins des Glières». Je dois faire vite car j’ai des pommes de terre en chantier côté cuisine : soupe de légumes au menu.
Donc je bastonne !
J’en suis à «la grande trahison de la neige» évoquée par Malraux dans son discours des Glières en 1973, et j’écris que les maquisards ont été suivis à la trace par leurs assaillants, dénoncés par leurs pas incrustés dans le vaste paysage blanc.
Soudain, je lève la tête et stoppe nette ma frénésie digitale.
Derrière la vitre, la montagne immaculée prend des couleurs. C’est le crépuscule des dieux : une splendeur ! Le Col de l’Arc s’habille de rose, la Grande Moucherolle ressemble à une jeune mariée aux joues fardées. En ce jeudi 4 avril 2019, le Vercors résiste ! Il résiste au printemps. Il résiste à la nuit. Le panorama grandiose entre dans la pièce. Il ne demande pas la permission. Il s’impose. Comme il pénétrait dans les chalets des Glières ou dans les cabanes du Vercors : pur, dur, vierge de violence, palette d’innocence, pastel de tendresse, pinceaux de l’enfance.
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Ma pensée, alors, va à ces mômes qui sont morts rebelles au coeur du paradis terrestre, en pleine nature sauvage et splendide. Comment la barbarie peut-elle ainsi noircir la beauté à l’état brut ? Comment des hommes peuvent-ils se trucider dans un Eden originel ? Plus que les motifs ou les développements d’une guerre, c’est ce mystère qui m’a toujours posé problème : l’impensable et cruelle alliance du merveilleux et de l’odieux.
Dans la neige pastorale du Vercors en mars 1944, le joli hameau de La Matrassière a été incendié et des hommes fusillés. Dans la neige féérique des Glières en mars 1944 des gamins ont été abattus au combat, bombardés ou torturés à mort.
Les deux couleurs de la poudre : blanche flocon, et noire à canon !
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Si le Vercors et les Glières ont tant marqué les esprits et impressionnent encore ceux qui s’intéressent à ces moments de notre Histoire je crois sincèrement que la grandeur du paysage y est pour beaucoup. Mourir à vingt ans si près du ciel, dans une clairière lumineuse couronnée de grands sapins, se faire tuer par des ogres en noir alors que l’on pourrait y caresser tendrement une amoureuse aux yeux profonds, voilà la tragédie.
Je repense à Jean Prévost, l’écrivain résistant mort abattu par une patrouille allemande en sortant du Vercors, en bord de forêt, dans les eaux d’un torrent, tout près d’ici. Un de ses poème commençait ainsi :
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« Le ciel calme est beige
Et la neige
Adoucit les bords
Du Vercors »
Derrière mes carreaux, le couchant se noie peu à peu, englouti par la nuit. Les couleurs s’estompent. Le ciel calme est beige ...