Nounours du Vercors (avatar)

Nounours du Vercors

Ex journaliste de terrain et de tanière - https://www.youtube.com/@nounours.du.Vercors

Abonné·e de Mediapart

120 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 février 2022

Nounours du Vercors (avatar)

Nounours du Vercors

Ex journaliste de terrain et de tanière - https://www.youtube.com/@nounours.du.Vercors

Abonné·e de Mediapart

Rendez-nous la beauté !

« Rendez-nous la lumière, rendez nous la beauté » chante Dominique A. Ce devrait être un hymne politique, un programme électoral, une mise en demeure immédiate et révolutionnaire. Dans le Vercors nous en avons la certitude !

Nounours du Vercors (avatar)

Nounours du Vercors

Ex journaliste de terrain et de tanière - https://www.youtube.com/@nounours.du.Vercors

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chemin du 5 février 2022

Rendez-nous la beauté !

Illustration 1
Chalet à Villard-de-Lans © Patrice Morel (janvier 2022)

Depuis début décembre, sur le plateau d’altitude, nous hibernons dans une boule à neige. La poudre n’a pas fondu. Elle scintille aux premiers rayons, et les prés s’habillent de diamants. Il fait moins dix, les toits restent blancs, les cheminées fument et des milliers de perles étincellent dans les grands feuillus dénudés. Les résineux, plus austères, portent leur tunique poudrée comme dans les décorations de Noël. Tout est sublime. Je suis un môme. Je m’ébroue. La tête en haut, la tête en bas, il y a des flocons partout : magie !

Pour une fois l’hiver impose sa loi et semble fidèle à sa réputation.

Les photographes s’en donnent à coeur joie.

J’en connais qui bivouaquent de nuit sur des cimes précaires pour fixer une lune très ronde sur un sommet très pointu. D’autres randonnent à peau de phoque vers des cols inaccessibles pour figer une mer de coton noyant des vallées invisibles. Certains planquent dans des duvets douillets sous les branches givrées pour sublimer le rouge-gorge et la mésange huppée, la gélinotte des bois ou le bec croisé des sapins, le gypaète barbu, la perdrix bartavelle, le tétras lyre et le lagopède alpin.

Illustration 2
Comme dans une boule à neige ! © Patrice Morel (janvier 2022)

Les photos prises par ces couche-dehors, les images ramenées par ces rôdeurs endurants, rendent de la lumière aux réseaux sociaux, illuminent la toile.

Solitaires, ou en couple, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, ils embarquent leur matos dans les zones reculées et dévoilent l’origine du monde. Ce sont mes voisins de montagne, des passionnés dont on s’apercevra un jour qu’ils ont immortalisé le paradis quand il était là, face à nous.

Plus connus par les bouquetins que par le grand public, ils tentent parfois de vivre ainsi, en aventuriers de l’objectif. Vous les trouvez immatriculés en www, tapez leur nom et ajoutez photographe. Ils s’appellent Allain Herrault, Sandrine Booth, Guillaume Lahure, Eric Charron, Christian Boucher, Charlotte et Jean-Yves Esnault, Emmanuel Breteau, Gaétan Mahé, Lucas Melcarne, Geneviève Rouillon, Alexandre Gelin, Pierre Lonchampt, Pierre Thiaville, et j’en oublie... Cette confrérie de chasseurs pacifiques se côtoie sans vraiment se connaitre mais répond au même appel, celui de l’ensauvagement salvateur, s’astreint à la même quête, celle de la beauté primaire, et obéit aux mêmes ressorts passionnels pour la protection du vivant.

L’un d’eux, Christophe Jacrot, est même entré en photo comme en hibenation monacale. Il se consacre aux seules intempéries hivernales ; il ne vit que dans le blanc, le gris, la pluie, le froid, le gel, et trouve pitance en montagne comme en ville, en Vercors comme à New York, en Islande comme en Asie, dans la bise de Chartreuse comme dans les vents glacés de Sibérie.

Vous avez dit blizzard ?

Vous voyez, vous êtes déjà contaminé !

Illustration 3
Solitude blanche sous la falaise © Patrice Morel (janvier 2022)

En fait, tous veulent échapper au grand bazar, retourner à l’enfance, aux bonheurs simples et agrestes, approcher la vie animale, puis quitter l’île d’altitude et montrer leurs pépites au monde entier. Ce sont des Vendredi ou des Robinson accrochés à leur boîtier comme à une bouée.

Je ne suis pas photographe professionnel, et ne dispose que d’un matériel modeste. Mais comme eux j’aime livrer la nature, façon colissimo ou point relai, à mes amis et fantômes du net. Surtout quand la montagne endormie étincelle et resplendit. Il suffit alors de quelques mots ardents, d’une légende embrasée, pour que la belle frémisse, tressaille, cligne de l’oeil, comme une Cendrillon de congélateur réveillée par un baiser enflammé.

Ce genre de miracle se produit si l’on part tôt. Je sors embrumé, je mets les pieds dans la poudreuse, ou sur les plaques de glace, puis je lève les yeux vers la grande vague figée des falaises ventées, je marche, il y a toujours un moment où la photo s’impose. Les pros savent sublimer ce regard. Moi j’appuie bêtement sur un bouton, mais j’entre malgré tout dans la carte postale et l’expédie avec une petite phrase gentille. Cela fait toujours plaisir comme disait ma mémé !

Illustration 4
La maison de mère-grand © Patrice Morel (janvier 2022)

Il est là, le grand sortilège de la neige ! Il nous attendrit le cuir, nous ramène à l’émerveillement des années d’écolier, à nos dessins naïfs et féériques : une maison avec son chapeau enneigé, ses volets de couleur vive, son chemin entre les congères, un bonhomme à képi devant la porte, une carotte bien rouge pour le pif, deux branches pour les bras, et la vaste forêt derrière, mystérieuse sous les flocons.

La photo désormais remplace le crayon de couleur, et l’écran numérique se substitue au papier canson. Il y a de plus en plus de reporters vagabonds sur les sentiers reculés, dans les combes écartées, dans les clairières inhabitées.

Ils ont raison !

L’essentiel est dans leurs publications.

Il faut montrer, démontrer, révéler, exposer, prouver, insister, affirmer toujours plus fort que l’Eden existe encore, que l’Ile aux trésors est à notre porte, qu’il convient de tout faire pour empêcher les forbans de la saccager, les écumeurs de mer et les pirates d’altitude de la polluer, les sagouins forestiers et les crapules capitalistes de la détruire à jamais.

Rendez-nous la lumière, rendez nous la beauté chante Dominique A. Ce devrait être un hymne politique, un programme électoral, une mise en demeure immédiate et révolutionnaire.

https://www.youtube.com/watch?v=K6oBgyM_WHo

Illustration 5
Vers Bois Barbu, à Villard-de-Lans © Patrice Morel (janvier 2022)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.