Chemin du 7 février 2025
Route 65

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Soixante ans déjà ! Soixante balais que j’ai écouté le bonhomme pour la première fois. Je m’en souviens bien, j’ai sorti le vinyle de la pochette, je l’ai posé sur le Radiola et j’ai été scotché, punaisé, pétrifié, anesthésié. Quand je me suis réveillé, le troubadour m’a embarqué pour la vie, on the road, again, and again, and again !
Février 2025. J’erre de travers sur un sentier de naguère. Dans le froid avec Robert. Dans l’hiver avec Zimmerman ! Dans le grand blanc avec Bobby ! Je walk man au milieu de la poudre, dans la vallée de l’éther. Je vais comme j’écoute. Regard mi-clos. Micro dans le cerveau. Les orteils dans les oreilles. Feeling, feeling. Chemin comme ça vient. Et le casque crache 1965. Il envoie le tombstone blues…
« The sun’n not yellow it’s chicken »
Pas jaune le soleil, il est volaille…
Bordel, où il a bien pu trouver ça le gazier ? il a chanté des trucs sans tête ni queue, et on était à genoux. Aujourd’hui encore je piétonne avec un blues de cimetière dans les esgourdes. Drôle de vieillesse !
Bizarre bizarre ! La musique bouscule nos moments, scande le quotidien, change la couleur du temps. Etrange, étrange ! Elle déteint aussi sur l’écriture, expulse le registre habituel, échappe au clavier classique, prend des sentiers de lumière et de fumier. Le Bob, sa guitare et sa poésie folle, franchement, c’est du fortiche, c’est le barde number one des sixties !

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Vercors 2025, il fait donc un soleil de volaille, le ciel est nickel, bleu comme un steak, et la blanche s’accroche aux sommets. Des fourmis glissent sur les chaudes pistes, les cabines suspendues se suivent en chapelet, moi j’arpente l’en-bas, l’en-dessous, l’à plat peinard, en solo et pompes 42, marque « Revolution Race », normal pour un cramé de 68… Tout autour c’est le dégel, les champs blancs fument du LSD, au virage il y a un bruit de moteur, le tracteur me pousse au fossé, sa charrette pleine de purin lâche du liquide brunâtre, il décharge le merdier dans le grand pré en pente, ça schlingue, mais c’est la country les gars, folk and rock, j’aime ça, pays de coyotes et de bobos, mix improbable et console diabolique, le big blues du Vercors néo-rural !
« How does it feel,
How does it feel,
To be on your own ?"
Et pendant ce temps le merdeux éternel me nasille « like a Rolling Stone ». Mon pas s’adapte. Pas du tout chasseur alpin. Pas du tout pas de l’oie. Papa was …J’ai la dégaine qui chaloupe.
« With no direction home
Like a complete unknown
Like a rolling stone »

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Je déambule en randonneur tranquille, sourire en coin, le long de l’ancienne voie du tram, entre Villard et Lans. Il y avait des rails ici, jadis, qui fuyaient dans la perspective, comme sur les tableaux de Bob l’artiste peintre.
Dans mes écouteurs, un podcast radio France : un very good trip, et Michka Assayas raconte son Dylan, sans lyrisme superflu, laissant la voix aigüe du bonhomme emplir nos crânes d’auditeurs libres …
Alors les pierres du chemin tambourinent sous les semelles, les barbelés du sentier dansent au cul des vaches, le Pic Saint-Michel en pince pour six cordées, les hêtres décharnés branlent du chef et se penchent sur le clavier, la bise souffle dans l’harmonica givré, franchement quelque chose se passe ici mais vous ne savez pas quoi, n’est ce pas Mister Jones ?
« But something is happening and you don't know what it is
Do you, Mr. Jones ? »

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Il dégageait quand même un drôle d’alphabet le mec Dylan : élégance, extravagance, désobéissance. Pas copiable.
J’ai toujours aimé le frisé troubadour. Depuis qu’un jour d’été, à la terrasse du Bar des Sports, dans mon village paumé, un grand hippie a débarqué, avec la tronche évaporée. Il s’est assis et s’est mis à gratter Blowin’in the wind… La semaine qui a suivi, sortie du lycée, j’ai foncé dans Chambéry, chez le disquaire de la petite rue Saint-Réal, et j’ai négocié le 45 tours « Highway 61 Revisited ».
Un vrai coup de grisou dans la carcasse : explosion, rébellion, insubordination. Pas encore 68 mais les temps changeaient ! Dissidence, résistance : le même effet que Satisfaction des Stones, et même année de sortie d’ailleurs. Même branle bas de combat. Mêmes lendemains indociles.

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C’est pourquoi, encore et toujours, mes randonnées au-dessus des nuages conservent un versant perché et solitaire, souvent bercé par l’accent enrhumé, pointu, de ce vieux compagnon de route. Et tant mieux si les générations actuelles le découvrent, jeune, génial, mystérieux, à travers le film de James Mangold , sous la dégaine du môme Chalamet. Sincèrement chapeau : on ne pouvait choisir meilleur acide que ce voyage retour vers l’autoroute 61 !

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