Chemin du 10 avril 2024
Voyage en pestilence
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J’ai hésité longuement, je suis parti et je suis revenu, je me suis dit :
- « il faut lire quand même ce monument, tu t’y refuses depuis toujours, tu as peut-être tort, tu ne connais pas vraiment le bonhomme, tu sais que c’est un sale type, une ordure, mais son style, hein, son style, tout le monde en parle, ils ont tous ce fameux style au bout de la langue, ils en font des gorges chaudes, alors prends-le ce bouquin, nom de Dieu, il est là sous tes yeux, à vingt centimètres, tends la main …. »
C’est vrai, le livre jauni et corné s’affichait, bien en vue, dans cette cabane littéraire à but non lucratif, posée entre église et mairie, juste sous le monument aux morts de Lans-en-Vercors, Isère ...
- « Le Vercors justement, symbole de Résistance, tu ne vas quand même pas te coucher devant un collabo notoire, ce mec était un salaud, un délateur, ce qu’il a écrit a pu faire torturer, pendre, fusiller, déporter ….
Hésitation, indécision…
- « Oui mais bon, c’est gratos mon gars, tu ne paies pas pour le lire, tu ne finances pas l’éditeur, l’acte est excusable, et puis ce Voyage là, c’était en 1932, avant les pamphlets odieux, avant les appels au meurtre, avant le nazisme déclaré, bref, prends-le, tu sauras, tu argumenteras, allez, avance la paluche, sois pas con ! »
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Alors, j’ai tiré la vitre, saisi en douce le volume défraîchi, je l’ai mis au fond du panier, sous les pommes de terre, la courge, les poireaux, les feuilles de blette, et je suis rentré comme un voleur à la maison. Louis Ferdinand Céline étouffé par les légumes d’un paysan bio à dreadlocks du Vercors sud ! Un métèque aurait écrit probablement ce plumitif raciste.
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Au début, la lecture est un peu difficile. Tu connais pas, tu t’attends à de la prose enlevée, à de la verve, de l’emphase, on a tellement bavé d’envie sur ces tournures, sur cette facture, oui, tu te prépares à de la phrase léchée, bien montée, liée, crémeuse, de la chantilly quoi : des mots qui s’aiment, s’embrassent, se caressent. Or, la page s’adresse à toi comme à un pote de bistrot. C’est du langage de comptoir, ivre, dégluti, fort en images, en éructations. Un peu comme lorsque le mec Nanard, qui est facteur à vélo, t’explique sa journée de merde devant un demi pression, ou lorsque le père François qui pisse sa copie dans le canard local te raconte l’audience du jour en correctionnelle. De l’oralité sur papier. Démonstrative. Avec des personnages de troquet, sauf qu’ici, l’histoire commence pas loin de chez la Madelon, en pleine guerre de 14, et que les canons crachent de l’obus, pas du pinard.
De l’eau bue , hihi …
Suffit ! J’ai lu quelques chapitres au coin de la nuit, et puis j’ai lâché l’affaire. J’ai mis sur stop. Point mort. Marche arrière. J’y arrive pas ! Mon lit, c’est pas le café des sports. Nulle envie de jacter avec le Bardamu, ce poilu de pacotille, ce pleutre qui jargonne et fuit la tranchée. Louis Ferdinand m’aurait traité de petit bourgeois, possiblement. Moi je lui aurais mis un bourre-pif, certainement !
D’accord, il y a des fulgurances, c’est évident, des fusées d’artifice, du métal en éclats, de la misère humaine, mais ça ne suffit pas : impossible d’oublier la lâcheté de l’écrivain, car oui Bardamu, c’est Céline, il a fait un petit peu de guerre en 14, mais après une blessure par balle au bras, il a refusé de retourner au front, il s’est fait exempter par un toubib complaisant. Impardonnable pour mézigue, petit fils d’un combattant de Verdun et du Chemin des Dames, un pépé trois fois blessé, puis gazé, et qui est reparti au mastic, lui !
Le Louis Ferdinand il n’a même pas vu les foutus boyaux, les rats, les asticots, il a fiché le camp, il s’est planqué, il s’est éloigné des combats, il a filé en Afrique pour y jouer les colons, les esclavagistes. Plus tard il se permettra sans pudeur de glauser sur les soldats français de juin 40 qui battent en retraite : « neuf mois de belote, six semaines de course à pied » !
Eh oui, les amis, c’est un embusqué qui a osé rédiger cela, et puis s’ajoutèrent, s’additionnèrent, tous les pamphlets antisémites, le copinage avec les officiers SS, les appels à la haine repris dans les journaux de la collaboration, et sur Radio Paris, le soutien à l’extermination du peuple juif, et j’en passe, et des meilleures !
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Le « Voyage » est donc resté en plan, fermé définitivement, sur ma table de chevet. Sans regrets. Avec soulagement. C’était une entité qui me surveillait de manière nocturne.
J’ai fini par le ramener à la case départ, dans sa boîte, sous le soldat debout qui, je crois bien, se marrait en coin ! Pour finir, j’ai écouté sur Radio France les dix épisodes du podcast de Philippe Collin : « Louis Ferdinand Céline, le voyage sans retour», surtout les épisodes 6 et 7 : «le cheval de Troie» , «le collaborationniste» . Et j’ai été conforté dans mon opinion : je ne lirai pas un salopard comme ce mec, ou alors cela voudrait dire que je cautionne l’ignominie.
Certes, il y a du savoir faire dans le phrasé. Mais le style c’est quoi face à l’Histoire, face aux squelettes en pyjama ? Comme le chantait Léo Ferré : « le style, c’est ton cul, c’est ton cul, c’est ton cul ! «
Or, le cul de Céline, il pue vraiment ! Et son oeuvre pareillement. Ces bouquins alignés sur les rayons du libraire, ce sont les feuilles du mal, un voyage en infamie et pestilence. Beurk et re-beurk.
A écouter :
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/serie-louis-ferdinand-celine-le-voyage-sans-retour