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Billet de blog 11 janvier 2021

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L'homme qui parlait aux mouettes

Georges Pernoud s'en est allé. Pourtant, j'ai bien crû le rencontrer, sur la plage, il y a quelques jours ....

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Chemin du 11 janvier 2021

L’homme qui parlait aux mouettes

Illustration 1
Il nous parlait de l'eau, de là ... © Patrice Morel (janvier2021)

Un inconnu s’est approché des vagues, lentement, et il s’est mis à parler aux oiseaux. Il est resté là très longtemps. En contre-jour. Dans le soleil écarlate. C’était une ombre, un contour, un songe, une solitude, un abandon.

L’homme murmurait, immobile, et les mouettes se balançaient, paisibles.

J’ai pris la photo et je me suis dit «que vais-je écrire sur un cliché comme celui-ci» ? Il n’y a rien à dire, rien à ajouter, l’image suffit, silence ....

C’était la première semaine du premier mois, de l’an 21.

Mais le 11ème jour, en écoutant la radio, je viens d’apprendre la mort de «Bon Vent», la disparition de Pernoud, l’adieu du père à nous : le gaillard qui nous plongeait dans des fosses profondes, mais lumineuses, dans des marées d’images bleues, le gars nounours qui nous préparait à des voyages de nuit, à des sommeils liquides, à des rêves ondulants, le type un peu carré, un peu gauche du phrasé, mais adroit des mots, sincère et sympathique, le mec sans chiqué, sans blabla, le captain quoi, le maître à bord, larguez tout, machines en avant, doucement, ého les gars secouez-vous, montez sur le pont, prenez les jumelles, régalez-vous, bon voyage et bonne nuits les petits ! 

Mon fantôme qui parlait aux mouettes, ce serait donc lui ?

Et nous serions, nous autres, les goélands, les cormorans, les fous de Bassan, les macareux, les sternes, les guillemots, les aigrettes, les bécasseaux, les gravelots, les tournepierres, les pétrels, les albatros, voire quelques piafs ou volatiles plus lointains, plus exotiques, comme ceux que boy Georges nous faisait découvrir les soirs de veillée télévisée ?

Je dis oui ! Devant l’écran deux-tiers de nos années fin de siècle nous sommes nés oisillons en pleine falaise, au-dessus de flots inconnus, et nous avons appris la becquée de goût salé, l’envol timide dans l’air iodé, les figures imposées au ras des vagues et des grands sables, la voltige, les tonneaux, les vrilles, les chandelles au-dessus des bancs frétillants, nous avons plané d’émerveillement dans des traversées longue distance, sur des mers plus ou moins pacifiques, et piaillé d’enthousiasme dans le sillage toujours surprenant du bateau magnifique au nom de grec ancien.

Thalassa !

Illustration 2
© Patrice Morel (janvier2021)

Il nous donnait la pitance le Georges, dans les tempêtes furibardes, sous les vents rugissants, il nous balançait à manger et à boire sur des quais sombres et inquiétants,  dans des ports incertains, il nous faisait pénétrer dans troquets de marins, des cambuses à soudards, picorer des miettes de bonheur, avaler des instants d’éternité, il distribuait de la poésie par brassées dans tout l’hexagone, depuis un pont de bois, sous les voiles immenses d’un fameux trois mâts, il nous prenait sous son aile dans les coups de chien du Cap Horn ou du détroit de Magellan, il était debout, épaules larges et sourire permanent, tronche au large, face aux éléments, il dirigeait ses moussaillons et ses hommes d’équipage avec humilité et fermeté, il mettait le bleu de chauffe parfois dans les creux d’audience et descendait dans la salle des machines pour relancer la chaudière, il tapait aussi le carton et la bibine dans les soirées d’escale, il arrosait volontiers les succès d’estime, les rubans bleus de l’audimat !

Merci à l’homme qui parlait aux mouettes, mais aussi aux oiseaux d’altitude comme moi,  aux chocards et autres lagopèdes qui descendions volontiers des montagnes pour venir respirer l’embrun du vendredi soir à ses côtés.

Illustration 3
Il reste les images et l'immensité © Patrice Morel (janvier2021)

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