Chemin du 29 novembre 2018
Territoires !

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Sous les grands fayards aux dernières feuilles accrochés, sous les sombres épicéas aux palmes blanchies, la première neige s’est transformée en sévère miroir, et le bitume en patinoire. Le chemin verglace, fuit sous les pieds : faire gaffe !
Une chute est si vite arrivée ...
Un fémur si vite fracturé ...
Une mort lente si vite programmée ...
Eh oui, madame, monsieur, ici c’est le grand vide, le désert, nous sommes à l’isolement, nous sommes abandonnés, nous sommes marginalisés, car nous habitons, oui j’ai bien entendu, nous habitons LES TERRITOIRES !
Je n’en peux plus, j’ai le souffle heurté, sur ce vicinal fuyant, dérapant, je respire mal, ce n’est pas un problème pulmonaire, j’avance, je cours presque, je vole, oui mais de fureur rentrée, de colère noire dans cet univers blanc ; je plane, je flotte sur ce paradis perdu devenu quoi, ai-je bien ouï ? Oui, devenu : LES TERRITOIRES !

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J’ai lâché le réseau social et les gilets jaunes pour le réseau buissonnier et la griserie blanche. Il le fallait : aller à pied et parler aux arbres plutôt qu’aux amis sans écorce, faire chanter les mots plutôt que les anathèmes, bref faire s’évanouir l’ire.
«Ire» : un emportement vieillot, une humeur vintage, une bile de dictionnaire, mais un terme qui me va.
L’ire, cela ramène un peu au Moyen Age, vous ne trouvez pas ? Parce qu’en ce moment, j’ai l’impression d’être une sorte de manant, de rustre, de roturier, j’ai comme le sentiment d’appartenir à une humanité rustique : celle des TERRITOIRES !
Il n’y a que des énarques, des politiciens oublieux de leurs racines, ou de méprisants nobliaux gouvernementaux pour mépriser de si haut les agrestes régions de France, les rayonnants paysages de l’hexagone, et donc évidemment mes montagnes de belle présence quotidienne.
Le cheval si doux qui cherche sa pitance sous la couche de neige serait donc un animal furieusement exotique, cette ferme allongée une masure d’opérette, ce tracteur vert un artifice cinématographique, et ce paysage grandiose, de cîmes et de virginité empli, un décor rousseauiste pour western romantique.
Autant en emporte le vent descendu de la capitale ! Il balaie d’un trait vite expédié les réalités d’un monde géographique couvrant pourtant les neuf dixièmes du pays.
Je photographie donc en ce moment une réserve d’Indiens, une nature en voie de disparition, une humanité en voie d’extinction : LES TERRITOIRES !
Amen, la messe est dite, vous pouvez sortir, il y a du blanc de Savoie au bistrot d’en face ! Voilà un peu, je pense, la source du ressentiment qui se répand et a choisi le jaune comme couleur d’expression.

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