Chemin du 14 avril 2019
Pointe du Raz
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C’est la mâchoire de la Bretagne, on y claque du bec sous le noroît, on y avale de l’écume au suroît. Vu du ciel cela ressemble au maxillaire inférieur d'un ogre : une gueule ouverte sur les tempêtes, dévoreuse de coques et d’équipages. Cette bouche sans fard, habituée du ring et de l’uppercut marin, perd ses dents qui éclatent au large, sous les poings hargneux de l’océan : incisives envolées, canines déchiquetées, molaires broyées, mais dressées à jamais, en brisants extrêmes sur la Chaussée de Sein.
Des chailles aux noms rabotés par les murailles liquides : Ar Gazek, Dentock, Ar Fer, Cornoc Guen, Vaskern, Trouzyard, Men Mankik ... Autant de trolls aquatiques échevelés sous les houles barbares, dont les blairs abominables et affleurants transpercent les navires égarés.
Sur les falaises dominantes, à l’abri du déferlement titanesque, le visiteur français touche du doigt ses leçons de géographie : la pointe du Raz le renvoie à ses hautes études communales, HEC de la laïque, quand il dessinait sur cahier quadrillé cette excroissance nasale et navale regardant l’Amérique ....
Pointe du Raz : cap mythique, cap Canaveral des rêves transatlantiques, ganache agressive d’un hexagone rebelle, proue ambitieuse du navire France, râtelier ajouré rompu aux combats séculaires.
Lorsque l’on se hasarde sur les galets proches, plus bas, dans la Baie des Trépassés, et que le ciel arbore au couchant des teintes improbables, l’anse au patronyme terrible fait surgir des tronches à barbe noire, bandeau sur l’oeil et sabre au clair. Ici, des entités sont figées pour l’éternité, pirates et corsaires, têtes brûlées, cous coupés, ou naufragés étripés de galions éventrés ...
Le lieu est chargé d’un passé qui dépasse l’impasse présente de nos petites vies sans relief. Allez faire un tour, le soir, entre chien et loup, sur la pointe et sur les pieds du Raz, allez dire deux mots à ces géants sortis de la brume et de l’Histoire. Vous en reviendrez un peu hagard et secoué, mais souriants d’avoir foulé une lande, un sable, des pierres qui se racontent sans que vous les sollicitiez.
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