Chemin du 15 octobre 2019
L’automne, comme toujours ...
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J’aime bien Apo : il a publié «Alcools» !
Guillaume Apollinaire est un faiseur d’ivresse, il distille le verbe brut, en élève les vapeurs capiteuses jusqu’au col de cygne et fait pleurer goutte à goutte l’essence poétique, la boisson rimée, dans la gorge serpentine... C’est une gnole qui ranime la tripe et charrie la mélancolie.
«Automne malade et adoré
Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies
Quand il aura neigé
Dans les vergers»
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Pour moi, ce poète est une boussole d’après l’été, une muse d’octobre, le guide des chemins enfeuillés, des amantes effeuillées, l’inspirateur des mots suaves, et des idées moelleuses.
Probablement parce qu’il a écrit «Automne malade», mais aussi Vendémiaire et Les Colchiques.
Je pense à lui au déclin du jour, lorsque le soleil «cou coupé» descend derrière la montagne, que la couleur des feuillus mordorés s’apparente à celle du breuvage malté, et que le liquide ambré, dans mon verre carré, respire la terre grasse et les frondaisons répandues.
«Pauvre automne
Meurs en blancheur et en richesse
De neige et de fruits mûrs
Au fond du ciel
Des éperviers planent
Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
Qui n'ont jamais aimé»
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En cet octobre du vingt-et-unième siècle, Guillaume aux vers conquérants serait au bord du désespoir. La saison qu’il aimait à personnaliser semble bien mal en point : l’automne 2019 arbore une tignasse filasse et blondasse chez deux flambards salaces outre Manche et outre Atlantique, il porte une moustache incolore d’apprenti dictateur dans le Bosphore, et affiche les mêmes quatre poils ridicules sous un blase d’autocrate nazifiant en Syrie voisine, sans oublier les misérables neurones de poisson rouge qui s’entrechoquent sous un crâne d’incendiaire au Brésil...
«Aux lisières lointaines
Les cerfs ont bramé»
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La guerre, «la Grande Guerre», Apollinaire est allé volontairement à sa rencontre. Il y a croisé le fer. Un éclat d’acier a transpercé son casque et pénétré son cuir chevelu. C’était dans un lieu jadis buissonnier, le Bois des Buttes, au pied du Chemin des Dames. Le poète a longtemps porté un large bandeau blanc autour de sa tête entamée. C’est une image qui reste de lui, photo d’homme miraculé aux yeux aimant la vie et caressant les tristesses, le même visage peut-être que celui de mon grand-père trois fois blessé, gazé, présent lui aussi au Chemin des Dames, revenu malgré tout, et qui m’a enseigné par son silence et sa dignité la beauté de tous les automnes. Notamment le dernier, celui de sa fin d’existence .
«Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs
Les fruits tombant sans qu'on les cueille
Le vent et la forêt qui pleurent
Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
Les feuilles
Qu'on foule
Un train
Qui roule
La vie
S'écoule»
(Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913)
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