Chemin du 6 décembre 2017
Une tournée pour Jojo !

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Sur mes chemins buissonniers, dans les sentes campagnardes de ma jeunesse dauphinoise, au creux des talus de mon parcours professionnel, existent des souvenirs précieux qui resurgissent parfois, sans prévenir, au gré d’une actualité, au hasard d’une rencontre, ou certain jour de deuil musical comme ce mercredi 6 décembre 2017.
Une photo ! Ma photo ! La première vraie photo de ma vie de baveux ! Un noir-et-blanc chopé à la terrasse d’un restaurant de Morestel, Isère, 38, France profonde.
Ce soir là, le samedi 11 août 1973, je suis jeune débutant au Dauphiné Libéré, agence de Bourgoin-Jallieu, et comme j’ai à peine plus de vingt ans, les cheveux longs, que je roule en 4L à slogans anti-nucléaires, que je cours volontier les petits bals de fin de semaine, que je ne crache jamais sur un verre de blanc limé, que je suis un inconditionnel des Rolling Stones, mais que je fredonne parfois «j’ai un problème je sens bien que je t’aime», on m’envoie naturellement couvrir le concert de Johnny et Sylvie, dans ce bourg de Morestel où jamais d’illustres vedettes n’ont mis les pieds, encore moins n’y ont poussé la chansonnette !
J’ai toujours aimé les coulisses. C’est le royaume du journalisme. Là où se passe la vraie vie, où l’on tape dans le mille, où l’on immortalise des instants de grâce ou d’absurdité, hors projecteurs, bord cadre.
Donc, je pars asez tôt et je me pointe vers 19 h au centre du village. Il n’y a qu’un restaurant à peu près réputé : l’Hôtel de France. Je vois du monde en terrasse, en fait à la limite de la terrasse et de la salle de restau. Bingo ! Un jeune couple à cheveux blonds est en train de dîner, pas du tout discrètement, mais quand même amoureusement, cerné par une quarantaine de zozos voulant absolument les zieuter.

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Je sors mon Rolleiflex 2.8F, vous savez l’appareil photo sur lequel il faut se pencher pour voir dedans ce qu’il y a dehors, avec les pellicules en format bobines entourées de papier qu’il faut introduire par l’arrière, matériel fourni par le journal et pas simple à manipuler quand on n’a jamais été photographe. Moi je suis de l’écrit. La photo, je n’avais pas l’habitude. Mais on te fourgue l’appareil dans les mains et tu es obligé de t’y coller si tu veux bosser dans la presse quotidienne régionale au coeur des seventies, surtout dans les villes moyennes.
Bref, je m’approche du troquet, je prends mon temps, regarde, écoute, discute avec l’entourage de Jojo, et j’attends. Le repas s’écoule. Le concert est à 21 h. En principe. Si tout se passe bien. Mais il est déjà 21h30 ! On en est au dessert, seulement. Puis vient le digestif.
C’est là que je commence à taper une photo ou deux.
Celle qui passera dans le journal montre à l'arrière-plan un serveur débouchant une bouteille grand format de Chartreuse Verte, l’alcool des moinillons de Voiron, rien que du bon, rien que de la fleur de montagne, magnum que paie en biffetons de 50 un membre de l’équipe musicale. Sylvie n’a d’yeux que pour son homme. Johnny est cool. C’est une photo des années sans soucis.
Le chanteur avalera ce soir là les deux tiers de la bouteille de liqueur, il sera sur scène vers 22H , il transpirera comme rarement, il massacrera plusieurs chansons, mais Sylvie en tenue moulante à paillettes lui sauvera la mise : «j’ai un problème, je sens bien que je t’aime ! »
Le lendemain dimanche le couple est à Colmar. Le lundi en Arles. Voyage en voiture. Tour de France rock’n roll. C’était cela les «chemins faisant» de l’idole des jeunes : chaque soir un coin de l'Hexagone, chaque jour des kilomètres avalés, et souvent la santé par les plantes !

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