Chemin du 17 avril 2020
Sur la route de Salina...

Agrandissement : Illustration 1

C’était un jour gris et pluvieux de l’automne 70. Pour oublier le climat, et tuer mon spleen d’étudiant, un peu aigri, un peu margi, je m’étais réfugié dans une salle de cinéma, en plein après-midi. Le Rex, rue Saint-Jacques à Grenoble. Pas grand monde. A l’affiche un Lautner. Pas ordinaire. Polar mais pas hexagonal. Californien, mexicain, je ne me souviens plus très bien, quoique tourné à Lanzarotte, face au Maroc, ce qui m’a un peu déçu par la suite quand je l’ai appris..
Sur le poster et les photos placées dans la vitrine du cinoche, il y avait une fille éclatante au sourire carnassier, une garçonne ravageuse, un brin dépouillée côté costard ! Mimsy Farmer.
Derrière elle, du soleil, du sable, une immense bagnole américaine jaune, une longue route bitumée comme aux States, un éphèbe au regard azur, Robert Walker. Tout en bas, en lettres modestes une promesse musicale signée Christophe.

Je m’étais dit : «qu’est-ce qu’il fout dans un film comme ça, le chanteur désespéré ? »
Il me plaisait déjà bien l'artisan blond constructeur de marionnettes ! En 65, il avait crié pour que sa douce revienne, si fort que des millions d’Aline lui doivent leur prénom aujourd’hui.
Et là, curieusement, il se tapait la bande originale d’un long métrage solaire et sexy. Donc, il était n’était pas seulement un interprète yéyé. Il valait mieux que ses romances à l’eau de rose.
Je ne fus pas déçu.

Agrandissement : Illustration 3

La route de Salina s’apparente à un ovni cinématographique. Et les notes, le timbre de Christophe, donnent à ce long métrage irradiant une force spirituelle que l’on n’oublie pas. En tout cas, pas moi !
Dans une atmosphère incandescente, de lumière cristalline et d’eau céruléenne, d’écrasement caniculaire et de fraîcheur maritime, la voix juvénile du dernier des Bevilacqua, pas encore éraillée par les nuits blanches, par les nocturnes enfumées, les heures confinés de recherche sonore, s’envole et plane dans la fournaise désertique, lèche les kilomètres de plage abandonnée, caresse les reins bronzés de Mimsy, plonge dans le flot amniotique et s’insinue entre les jambes longues et entremêlées des deux amoureux tragiques.
La musique astrale, liquide, sensuelle, hippie, raffinée, emporte les sens : c’est du LSD thérapeutique, Mimsy in the sky with diamonds !
https://www.youtube.com/watch?v=IULkdAz81O8
Ce film m’a illuminé. Et pourtant ce fut un bide retentissant pour Lautner.

Agrandissement : Illustration 4

Cette pellicule revient en grâce aujourd’hui.
Il est significatif qu’un Tarantino l’ait adorée. Il a même utilisé la musique de Christophe «Sunny road to Salina» dans Kill Bill. Cela ne m’étonne pas. Il y a mélange des genres et outrance dans «la route de Salina» : polar, western, road-movie, romance, crime, inceste, sang, tendresse, fétichisme ... C’est un film hallucinant d’érotisme et de romantisme, excessif et ensorcelant. Vous êtes enveloppé par une fleur vénéneuse, aspiré par la minéralité des lieux, par la pulsion des corps, vous plongez dans un rêve brûlant et dans un cauchemar sexuel, vous êtes sur la lune et une femme allonge sa peau pour la première fois en pleine Mer de la Tranquillité, elle vous prend sans scaphandre, vous la caressez, vous lévitez !
Telle était la grande planante des sixties ! Quatre vingt dix minutes en apesanteur ou en apnée. Grand merci à toi Georges, et reconnaissance éternelle mister dandy !https://www.youtube.com/watch?v=L0Gd3UbFOKg