Palais Bourdon !

Chemin du lundi 21 juillet 2025

Palais Bourdon !

Eh oui, il suffit de s’asseoir, peinard, curieux et patient, devant ce spectacle vivant, aérien, et bourdonnant, pour piger qu’il existe un petit monde bien organisé, travailleur, forcément nécessaire à notre propre existence. Au coeur des fleurs, sur le haut des tiges, des centaines de bestioles sympathiques se livrent à une danse acrobatique, ardente, à une chorégraphie sans heurts, apaisante et optimiste. Le paradis existe. Il est sous mes yeux.

Hélas,  le 8 juillet 2025, à l’Assemblée nationale, 316 bandits en herbe ont décidé de réintroduire la mort dans ce microcosme merveilleux. Ils ont adopté la loi initiée par le sieur et sénateur Duplomb, élu de Haute-Loire, un département d’altitude où pourtant tout plaide pour la sauvegarde de l’environnement. Comment des gens à priori réfléchis, et représentant le peuple, ont-ils pu voter un texte aussi nuisible à la faune, à la flore, et à nous-mêmes citoyens consommateurs ? Ont-ils vraiment obéi à leur conviction profonde ? Ont-ils cédé à la pression des groupes d’influence de l’agriculture sans limites, et des chimistes sans morale ? Sont-ils idiots, tout bêtement, ou alors intéressés à l’affaire ?

Quand je traverse la France en diagonale, depuis les Alpes jusqu’au pays breton, je me désole toujours de constater les étendues immenses de culture intensive qui défigurent et banalisent certaines régions : pas d’arbres, pas d’ombre, pas de haies, pas d’insectes ni d’oiseaux dans l’air, et parfois des nuages de produits chimiques au cul de tracteurs monstrueux… Ce n’est pas la France des paysans nourriciers. C’est celle des géants et des mafieux de l’agroalimentaire. Ce n’est pas le pays de Charles Trenet et de mes grands-parents, c’est celui détruit et abîmé laissé à nos petits-enfants : hexagone raboté, nivelé, dans lequel un syndicat agricole tout puissant règne sur une économie productiviste absurde et criminelle.

Remarquez-bien, nous contribuons également à ce désastre qui ne date pas d’hier. Le pétrole, les énergies fossiles, le machinisme, la bagnole, le flitox et les bombes à moustiques : nous avons tous donné ! Mais nous n’étions pas au jus, pas informés comme aujourd’hui, nous ne pouvions pas réellement imaginer les désastres à venir

Il y a soixante ans par exemple, sur la route des vacances, ma famille roulait en Simca break , et sur le même trajet Isère-Morbihan il fallait nettoyer plusieurs fois le pare-brise qui était maculé de milliers d’insectes. A l’époque, nous étions donc déjà des assassins en biodiversité, mais comment éviter cette nuée vivante qui traduisait la bonne santé des contrées traversées ?

Il y avait aussi, je me souviens parfaitement, beaucoup de hérissons qui payaient de leur vie le franchissement nocturne d’une départementale ou d’une nationale, notamment dans le Berry et la Brenne.  Aujourd’hui, rien, il n’y a plus d’insectes et de sang sur la glace, il n’y a presque plus de niglos écrasés, aplatis sur le macadam. Et pour cause, ils disparaissent empoisonnés plus sûrement et radicalement  par Bayer-Monsanto et autres coquins de l’agrochimie !

Cela dit, peu à peu, au cours de mes années d’éveil et d’études j’ai compris qu’il y avait entourloupe, manipulation des esprits, et profit sur la mort des petits. J’ai  eu de bons informateurs, des fous de nature, les Alain Bombard, Jacques-Yves Cousteau, Roger Frison-Roche, j’ai lu et écouté des pionniers de l’écologie, les René Dumont, Pierre Fournier, Philippe Lebreton. Ces précurseurs m’ont mis la puce à l’oreille, le nez dans le glyphosate et ça sentait mauvais ! Alors,  j’ai décidé de vivre là où ne peuvent sévir les stérilisateurs de la terre, les sorciers de la malnutrition : dans ce Vercors qui fut l’un des premiers parcs naturels régionaux de France ! Ici, dès l’origine, les agriculteurs locaux ont été associés à la création du Parc, à l’élaboration de sa charte. Si bien qu’aujourd’hui ce massif est le terrain d’une agriculture et d’un élevage respectueux de l’environnement où les circuits courts fonctionnent parfaitement bien.

Laurent Duplomb habite lui aussi un pays de moyenne montagne très beau. En effet  la Haute-Loire est riche d’une biodiversité exceptionnelle et forte d’une agriculture raisonnée avec plus de 500 exploitations certifiées biologiques.  Comment peut-il proposer un texte si ravageur ? Comment peut-il expliquer son initiative grotesque ?  Pourquoi roule-t-il pour les gros, les puissants, les rouleaux compresseurs des plaines à terre morte et gavées de chimie ? Sinon par calcul politique !

Alors je l’invite, le petit père Duplomb, à oublier ses objectifs personnels,  tristement électoralistes et, comme moi, à venir s’asseoir devant quelques plants de lavande en été. Je lui suggère d’observer la vie bruissante et zonzonnante que ses potes assassinent sans complexe, sans remords. Il retournera peut-être ensuite à Paname convaincre ses copains de la chambre basse qu’il avait été hors la  loi, celle de la nature. Et l’on pourra, pourquoi pas,  rebaptiser cette assemblée nationale en … Palais Bourdon !