Près du ciel...

Chemin du 21 octobre 2023

Près du ciel...

J’ai décidé d’aller marcher plus haut, de cavaler vers une France inhabitée, de galoper sur des terres célestes, des pâturages pacifiques.

C’est un choix. Celui de la fugue, de l’échappatoire et de l’oubli : fermer les écoutilles, devenir sourd aux explosions, prendre la poudre d’escampette, tourner le bouton, lâcher la prise, débrancher le wifi, couper les réseaux, arrêter la radio.

Un véritable abandon de poste !

Pour cela, il faut monter sur le Causse Méjean. Voilà un pays de grande ampleur, une étendue sans limite, jouant avec les cieux, un espace dominant de mille mètres les gorges du Tarn et de la Jonte, une petite Mongolie où des pionniers réhabilitent la race sauvage du cheval de Przewalski, où des passionnés développent un pastoralisme durable, où des meuniers restaurent un moulin à vent, font tourner les ailes du désir et alimentent en farine sublime les boulangers du secteur.

A Hures-la-Parade, c’est à dire quelques maisons groupées en nid de résistance face aux vents puissants, un type à l’accent rocailleux me parle de ce moulin magnifique qu’il met en mouvement chaque matin avec les gestes des siècles passés et la patience des anciens Caussenards.

Alors, la grande croix de bois entoilée se met à brasser l’air, la meule de pierre entame sa pression circulaire, c’est beau, c’est minéral, c’est millénaire ! Céréales anciennes, blé rouge de Bordeaux, barbu du Roussillon, mouture formidable à basse vitesse, qualités nutritives, digestives et gustatives exceptionnelles : Cervantès eût aimé !

Le Méjean, c’est le désert, la pampa, la steppe. Une terre du milieu, entre le Causse de Sauveterre au nord et le Causse Noir au sud : « 33 000 hectares, moins de 500 personnes à l’année, 1,5 habitant au kilomètre carré. » , nous explique le journal Le Monde. Soit une densité de population humaine similaire à la Laponie ! En revanche vingt mille brebis paissent sur ce biotope lozérien et fournissent le lait destiné au fromage de Roquefort.

J’ai aimé cette fugue en blé majeur. Je reviendrai. On mesure là-haut sa vraie dimension. C'est le Causse du peuple !

Mais aussi un simple prélude.

Car quelques kilomètres plus loin à vol d’oiseau, sur le tapis éthéré de l’Aubrac, les mots paix, liberté, humilité se conjuguent de manière symphonique. On y attrape les nuages, on y décroche les étoiles, on a un pied dans la tourbe et les cheveux dans l’univers. On peut signer du doigt son ancrage minuscule dans la nuée majuscule.

Attention : fausse solitude !

L’homme est observé. Et si, au Méjean les brebis ont la tête en bas, plongée dans la savane savoureuse, en Aubrac vous êtes zieuté par mille bovins placides, curieux et gentils. De fait, entre Laguiole et Malbouzon, de Nasbinals à Saint-Urcize, le troupeau a changé : c’est la vache de race locale qui a les yeux doux. Et même les gros taureaux costauds à tronche énorme, velue et furibonde, vous effraient moins qu’un Poutine ou qu’un Netanyahou.

Je vous ai déjà parlé, en février dernier, de cet Aubrac sacré où les hivers sont parfois sibériens, quand la burle siffle, souffle, et glace les pâturages, dresse des congères, congèle les routes et pétrifient les chaumières. Actuellement, il fait plus doux : octobre est blond, novembre sera rocaille. Les pèlerins de Compostelle cheminent sur ces hauteurs désolées, entre les longs murs de pierre, personnages lointains, penchés et patients, ombres chinoises émouvantes, lentes, traînantes, sur fond de nuages et de vallons dénudés.

Le dimanche, les gens de Rodez ou d’Espalion montent déguster un aligot-saucisse dans les burons isolés au bord des lacs minuscules. Les jours de semaine vous pouvez croiser trois voitures sur la route du col de Bonnecombe. Et si vous tendez l’oreille les cloches de Marchastel peuvent couvrir à chaque heure celles du cheptel.

Silence, l’Aubrac vous parle ! Ce sont des propos tendres et apaisants. Un murmure à l’oreille. Un message de sérénité et de sagesse.

C’est pourquoi il faut encourager ces escapades. Vous avez claqué la porte. Vous avez décidé de ne plus entendre la fureur, les horreurs, de ne plus subir l’Ukraine, Gazza, Arras, Bruxelles, El Amra, et Lampedusa. Vous avez accepté d’être capitulard, un peu fuyard, et de grimper vers l’air pur.

Maintenant vous marchez près du ciel. Vous vous sentez petit mais libre. C’est un choix. Exister face à l’impuissance ! Et se battre avec les moulins à vent pour des lendemains de levain paisible.

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Le moulin de la Borie : https://moulindelaborie.com/

La sauvegarde du cheval de Przewalski : https://www.takh.org/

Parc naturel régional de l’Aubrac : https://www.parc-naturel-aubrac.fr/

Vidéo sur le Méjean : https://www.youtube.com/watch?v=XO1hDz3-35U