Chemin du 23 juillet 2019
Cherchez la petite bête !

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La colère nous gagne, nous submerge, nous révolte : les insectes disparaissent, les pesticides empoisonnent nos terres, l’eau est polluée, la pluie pisse sale et acide, l’air devient irrespirable, l’agriculture demeure intensive, la déforestation se fait ravageuse, et rien ne change. Les peuples de cette planète sont soumis aux faiseurs de fric dont la rapacité est insatiable. Les gouvernants, au mieux sont des pleutres, au pire d’infâmes profiteurs qu’il faudra bien un jour juger et condamner. Ils se soumettent à ce que l’on baptise pudiquement les marchés, alors qu’un marché, hein, un petit marché de village ou de quartier, c’est festif, joyeux, coloré, amical, et cela sent bon le melon, la pêche de vigne, la tomate grappe, le fenouil, les herbes et la lavande.
Tiens, la lavande justement ! J’en ai planté l’an dernier devant chez moi. Et j’ai eu grandement raison : elle me calme, elle me rassure, elle parfume mes humeurs belliqueuses, elle se peuple de petits amis bourdonnants et pas méchants, elle vit, elle s’agite, elle est hospitalière, en deux mots elle tue l’angoisse !

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Quand on se pose devant ces buissons de duvet mauve, un jour de chaleur, en montagne, qu’un vent léger balance doucement les tiges odorantes, la fureur disparaît et quelque part, au plus profond de soi, une forme d’espoir remonte à la surface. La méditation, le yoga, le chamanisme sont à la mode, mais la zénitude commerciale ne pourra jamais rivaliser avec l’observation simple et bon marché de la nature à nos pieds.
Des centaines de petites vies s’affairent autour de ma lavande, partagent le butin, font du potin, butinent, lutinent, se gorgent de vie, se gargarisent d’essences et d’arômes essentielles, s’enivrent à la source, c’est bien mieux que chez Dior ou Guerlin, c’est plus puissant que chez Chanel ou Mugler, visuellement cela ressemble à du Philippe Decouflé, Albertville 1992, un manège enchanteur, ça monte, ça descend, ça se cache, ça revient en lumière, chevaux de bois et chaises volantes, chenilles et toboggan un carrousel étourdissant qui prouve que la nature, même amputée, nous survivra fiévreusement et frénétiquement.

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Il y a là les petites abeilles noires ; je soupçonne qu’elles proviennent des deux ou trois ruchers mis en place récemment par des voisins proches. Le ballet des butineuses dure de l’aube au crépuscule. On y passerait des heures en contemplation. Il y a peu de lavande ici, à mille mètres, dans le Vercors, et c’est un tort : elle prend bien, elle se sent forte, elle drague à mort les bestioles, c’est une envoûteuse de premier ordre. J’irai probablement dire à ma voisine, apprentie apicultrice, qu’elle ne s’étonne pas : son miel montagnard aura probablement un léger parfum de Provence.
Il y aussi les papillons. C’est la première fois que j’en vois autant. Ils semblent attirés par les épis violets. Le plus fréquent est baptisé «la Belle Dame». C’est un migrateur qui vient d’Afrique. Il est capable de voyager sur des centaines de kilomètres. Je suis flatté qu’il prenne pension quelques jours cet été à ma table d’hôtes. Il fait bon ménage avec Maya et ses copines. C’est un petit nerveux mais l’huile essentielle de lavandin semble le calmer !

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Il y a enfin le petit clown à ailes noires et points rouges : la zygène de la filipendule ! Un loustic à particules qui voudrait nous épater et nous faire croire à une noblesse de robe mais dont le vol un peu balbutiant, un coup dans le zig, un coup dans le zag, traduirait quelque forme de biture à la lavande vraie ! Cet insecte est rutilant mais prudence, le rouge signifie «pas touche». De fait, la zygène prévient son prédateur éventuel : je suis un sanguin Coco, tu m’agresses, je te crache au visage et te liquide au cyanure. A bon entendeur ...Conclusion : la nature sera toujours la plus forte. Elle a l’habitude du combat. Elle reprend le dessus. Nous croyons la dompter. Elle va nous enterrer. Mieux vaudrait donc faire «ami-ami» avant que l’effondrement promis ne survienne et que les catastrophes climatiques ne s’enchaînent. Si vous avez la tentation de sortir le fusil, tentez la plantation ! Prenez de la graine, et faites comme moi : lavande, roses, fleurs de prairies, asseyez-vous, regardez, respirez, lâchez tout !

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