Chemin du 28 avril 2020
Roby, sur la route de Glasgow ...

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Mai 1976. Le mois du road movie le plus excitant ! Au village, nous sommes une poignée à posséder le sésame. Le billet de la finale. Le passeport pour l’Ecosse, pour Glasgow, pour Hampden Park.
Trois voitures au départ de la Savoie. Trois voitures qui prennent la direction du Nord. Trois voitures et neuf copains qui font une halte gastronomique à l’auberge de l’Authie, à Nempont-Saint-Firmin, Pas-de-Calais, chez le footballeur international Jean Baratte, 19 buts et 32 sélections en équipe de France, 169 buts en divison 1, devenu restaurateur au bord de la route nationale 1. Disparu trop tôt. Paix à son âme.
Trois voitures qui s’engouffrent dans l’aéroglisseur à Calais, cet hovercraft débordant de vert et de supporters enfiévrés, alors que le tunnel sous la Manche n’est encore que chimère.

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Trois bagnoles, toutes écharpes dehors, autocollants sur les vitres et la carrosserie, qui s’égarent dans le Londres populaire et dont les passagers un peu bruyants sont à deux doigts de se faire... écharper !
Trois chignoles qui traversent en klaxonnant les collines chlorophylle du Yorkshire. Trois charrettes qui stoppent souvent en rase campagne, Guinness oblige. Trois carrioles finalement qui se garent tant bien que mal au centre de Glasgow devenu Saint-Etienne sur la Clyde.
Mercredi 12 mai 1976 : la légende est en route !
Et Robert Herbin pénètre derrière ses joueurs sur l’herbe grasse du stade mythique, celui qui fut le plus grand du monde avant la construction du Maracana à Rio, une enceinte de bière et whisky qui accueillit 150 000 spectateurs un jour d’Ecosse-Angleterre, en 1937.
Robert Herbin entre pour gagner, pour ramener la coupe, pour marquer l’histoire du foot français, pour rendre sa vie éternellement brillante et ensoleillée.
Il est là pour le peuple vert, et pour que les 30 000 amoureux venus à Hampden Park, en auto, en avion, et même à vélo, vivent l’un des plus beaux jours de joie qui soit. Il est là pour que la ville de la mine anthracite conserve à tout jamais une mine radieuse. Lui le gamin débarqué de Nice à 17 ans, avec sa valise, et sa bouille étonnée, gare de Châteaucreux, dans la charbonneuse capitale du Forez, veut transformer ce soir de printemps écossais en oasis de bonheur perpétuel.
Mais c’est oublier les poteaux à l’ancienne de Glasgow, le bois aux arêtes vives et non arrondies qui s’oppose par deux fois aux ballons stéphanois : le tir puissant et lointain de Bathenay qui rebondit sur la transversale, puis la reprise têtue à bout portant de Santini qui s’écrase sur la même barre maudite.

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Carrément rageant !
C’est le genre de match perdu contre le cours du jeu qui vous poignarde et dont la blessure ne guérit jamais. Robert Herbin n’a jamais cicatrisé.
Je l’ai croisé souvent par la suite. Au cours de ma vie professionnelle. Sans oser lui parler vraiment, sinon pour quelques interviews rapides. Que peut-on dire, hors micro, stylo et bloc-note rangés, à un type que l’on admire, respecte, et dont on connait le caractère ombrageux. Robby restait intimidant pour le footeux amateur que je n’ai cessé d’être.

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Roby avec un seul «b», disait-il pour prévenir le journaliste !
Robert Herbin parlait peu, mais savait plaisanter. Il usait d’un humour discret. Il avait une humeur de réserviste. Il ne flambait pas, contrairement à sa tignasse rousse que l’on voyait parfaitement depuis le plus haut des gradins de la tribune Henri Point. Cet homme convaincu et passionné essayait de rester en retrait. Il était strict et mordant, observateur et tueur sur le terrain, mais timide en société.
Animal à sang froid, introverti mais brûlant d’une flamme impossible à éteindre, il était mal à l’aise en première ligne, sous le feu des questions, pendant les conférences de presse. Mais quand les projecteurs s’éclairaient et inondaient le rectangle gazonné de Geoffroy Guichard, quand son équipe entrait dans le «chaudron», quand 40 000 poitrines entamaient le chant des «Verts», Roby, avec un seul «b» explosait intérieurement, et prenait possession des lieux.

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Lundi soir, 27 avril 2020, à l’hôpital nord de Saint-Etienne, le «coach» mais aussi le joueur, le symbole d’une ville noire devenue émeraude, est donc parti seul, sans sa dream team, fidèle à son image de «sphinx», sans mot dire, et sans maudire.
Combien sommes-nous aujourd’hui à le remercier pour nous avoir fait rêver, crier, chanter, rire et pleurer ? Des millions certainement.
Combien sommes-nous à l’avoir accompagné sur la route de Glasgow ?