Chemin du 31 mai 2025
Ecologie : dans les pas de Fournier

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En 1971, sur mes chemins d'adolescent, j'ai croisé la bande à Charlie Hebdo. C'était dans l'Ain, lors de la première grande manifestation antinucléaire de France contre la centrale du Bugey en construction. Celui qui avait lancé ce combat s'appelait Pierre Fournier. Et chaque semaine je lisais avec avidité et passion les deux pages qu'il signait dans Charlie Hebdo.

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Ce type ne collait pas vraiment à l'esprit Charlie. Il avait un physique de mec sérieux, peu enclin à la déconnade, il vivait en Savoie et montait à Paris pour livrer ses articles et ses dessins avant de repartir dans sa campagne chérie. Ses papiers, illustrés par lui-même, étaient un foisonnement d'alertes contre les destructions en cours et à venir de notre environnement. Il argumentait à mort. Il était totalement crédible et inquiétant parce que chacune de ses lignes s'appuyait sur des faits, des études, des recherches authentiques. Il prédisait la dégradation de la biodiversité et la disparition des espèces animales, les effets mortels des pesticides et les pollutions agricoles appauvrissant les sols, il mettait en garde contre l'accumulation invraisemblable des déchets et l'empoisonnement des océans, en bon savoyard il contestait l'aménagement touristique outrancier des sommets, il voyait venir aussi la fonte des glaciers et les incidences climatiques dues à l'exploitation des ressources pétrolières.

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Ses dessins appuyaient le propos avec efficacité : il y avait des chantiers monstrueux, des flics partout, de l'atome en veux-tu en voilà ! Bref, je me demande pourquoi ce précurseur de l'écologie de combat est ignoré aujourd'hui, disparu, évaporé et je crois même parfaitement inconnu de la plupart des militants verts du moment. Peut-être parce que Fournier est mort jeune à 36 ans, d'une crise cardiaque, sans pouvoir mener au bout sa lutte essentielle. Une lutte qui ne se réduisait pas à des annonces et à des menaces mais qui comportait aussi une bonne dose de solutions et d'alternatives à la société de consommation mondialisée.
Alors oui, il devait emmerder pas mal de monde avec ses litanies environnementales dans une période, les années 60 et 70, coeur des trente glorieuses, où cette problématique ne paraissait pas majeure. On le traitait parfois d'illuminé ou à tout le moins on l'accusait d'exagérer le propos. A Charlie certains lui reprochaient un catastrophisme envahissant, mais pour autant le laissaient remplir ces pages du milieu.

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Car le cinglé de Fournier comme ils disaient avait quand même réussi un tour de force à lui tout seul et à travers ses deux pages centrales. Il avait si bien contesté le nucléaire civil et la construction d'une énorme centrale à quelques kilomètres de Lyon qu'en ce mois de juillet 1971 il avait réussi à drainer plus de 15 000 manifestants dans l'Ain à proximité de la centrale de Bugey en construction. Ces jeunes pour la plupart avaient marché pacifiquement vers ce chantier démarré sans débat au parlement et sans concertation publique. Fournier avait voulu donner un esprit festif à cette manifestation et pendant deux jours ce fut réellement une grande kermesse à laquelle toute la rédaction de Charlie Hebdo participa sans modération.

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Dans la foulée de cette prouesse, Pierre Fournier lança son propre journal, probablement la première revue consacrée à l'écologie en France : "la Gueule Ouverte". Ce mensuel proposant une écologie de combat et une révolution de nos modes de vie marque probablement le début du mouvement politique écologiste en France, avec la candidature deux ans plus tard de René Dumont à la présidentielle de 1974. La Gueule Ouverte était écrite en Savoie. La rédaction s'était installée dans la mairie désaffectée d'un petit village proche d'Ugine. Le journal était ensuite imprimé à Paris par les Editions du Square qui éditaient aussi Charlie hebdo. Les premiers numéros se sont vendus à 70 000 exemplaires. Mais la mort brutale de Fournier en 1973 mit un frein à l'essor du mensuel qui se recentra en région parisienne et dura malgré tout jusqu'en 1980. Les ventes se réduisirent à une dizaine de milliers d'exemplaires.

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J'étais donc présent en juillet 71 à Bugey et je ne le regrette pas 54 ans plus tard. Je suis resté fidèle à Pierre Fournier d'autant que sa dernière demeure est proche de mon domicile à la limite de la Savoie et de l'Isère. Il n'y a jamais personne devant sa tombe, il n'y a pas de fleurs. Il est relégué au bas du cimetière de Pont-de-Beauvoisin, contre le mur du fond. Tout le monde ou presque ignore que sous cette dalle sombre et triste, un lanceur d'alerte, bon pour les asticots comme il disait, nous a prévenus il y a bien longtemps des catastrophes actuelles et prochaines.
J'ai réalisé en 2010 un petit reportage en hommage à Fournier. Je vous le livre ici car il contribuera peut-être à éclairer certains sur une problématique qui ne date pas d'aujourd'hui.
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/gr00001341505/serie-l-histoire-de-l-ecologie-politique-en-rhone-alpes-ndeg1-fournier

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