Y-at-il des raisons particulières pour les citoyens français musulmans à être plus motivés à participer aux primaires de la gauche de ce dimanche ?
La réponse est sans doute oui, tant ces raisons se comptent par dizaines ; quoique, elles tournent toutes autour de la présence du candidat Valls. En effet, ce dimanche ce ne sont pas uniquement deux candidats qui se présentent au deuxième tour pour désigner le prochain candidat à la présidentielle. Mais ce sont surtout deux projets de société ; deux visions de faire société ensemble, deux conceptions de la laïcité, qui vont s’affronter. Valls l’avait prédit dès février 2015 « l’islam sera un enjeu central des élections de 2017 ».
Bien entendu, certains peuvent le regretter et d’autres s’en réjouir : il n’y a pas de vote musulman au sens strict du mot ; et donc encore moins un vote communautariste qui n’est qu’une idée totalement fantasmatique et délirante. Les musulmans comme tous les autres citoyens, encore une fois que cela plaise ou non -mais c’est une réalité sociologique- votent et candidatent même, de l’extrême gauche à l’extrême droite, en passant par les différents centres.
Cependant, quand on se remémore les déclarations de Manuel Valls ces dix dernières années, y compris, si ce n’est pire, quand il est devenu premier ministre, force est de dire qu’il ne s’est pas fait beaucoup d’amis -le moins qu’on puisse dire- au sein de cette minorité nationale. Et ce n’est pas son : « Nous devons protéger nos compatriotes musulmans » qu’il répéta plusieurs fois lors de son dernier débat face à Bilal -pardon- Benoit Hamon, qui changera quelque chose.
De son zèle dans le soutien de la crèche Baby Loup, que la justice venait de condamner pour licenciement abusif d’une salariée voilée en 2008, à son invitation des musulmans à « être discrets » c l’été dernier, en passant par son ignominieuse formule « islamo-fascisme » pour qualifier l’islam de France, il faut avouer que le florilège des actions et déclarations de Valls totalement vindicatives et provocatrices sont légion.
Même en pleine campagne électorale, où on pouvait s’attendre à ce qu’il fasse des déclarations allant dans le sens de l’apaisement et le respect de cette partie de la population forte de plusieurs millions, il n’a trouvé que deux phrases qui, comble de l’ironie, ne font qu’accentuer et ancrer davantage cette relation très négative qu’il a a vis-à-vis de l’islam et des musulmans de France.
En effet, alors qu’on attendait de lui un sursaut de responsabilité et de conscience, que la France est le pays dont la devise est la liberté, l’égalité et la fraternité pour tous les citoyens sans distinction ; alors qu’on pouvait l’entendre dire dans le chapitre des questions régaliennes, que la République est forte de ses lois – La loi de séparations des églises et de l’Etat de 1905, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la constitution…etc - ; il n’en est rien hélas ! Valls nous livrait donc dans ce débat de mercredi 25 janvier le fruit de sa conception de la place des musulmans dans la république. Et on découvre en fait que le ver est déjà dans le fruit : « Moi je veux protéger nos compatriotes musulmans » dit-il et répéta quatre ou cinq fois ; « La laïcité n’est pas un glaive, mais un bouclier » ; « Moi, ma laïcité, c’est celle de Caroline Fourest, celle d’Elisabeth Badinter » crut-il nécessaire de nous préciser !!
Primo : Ce discours paternaliste, infantilisant et aux relents colonialistes, est tout simplement honteux. Les musulmans de France n’ont pas besoin de sa protection, ni de celle d’aucun homme politique. Les musulmans de France sont des citoyens comme tous les autres, ils n’aspirent à rien de plus que les autres citoyens, et ils ne s’accommoderont pas non plus d’un moins que les autres. Dans une démocratie, dans un Etat de Droit, ce sont les lois, toutes les lois de la République et rien que les lois de la République qui protègent les musulmans. Ces lois, justement, Valls en premier devrait donner l’exemple en les respectant ; et non pas dénoncer, contester, ou menacer de changer, comme il l’a fait à plusieurs reprises. Et pas plus loin que le mois d’août 2016, par exemple, quand le Conseil d’Etat a rendu son jugement et invalidé les fameux arrêtés anti burkini dont l’instigateur n’était autre -apprenions-nous par la presse- que Sarkozy, grande figure des libertés fondamentales devant son Seigneur.
Deuxio : Quand on écoute Valls nous expliquer que sa conception de la laïcité est celle de Fourest et de madame Badinter, on comprend qu’il compte toujours continuer à être le porte-parole politique d’une conception falsifiée et dévoyée de la laïcité. Valls a donc choisi de s’appuyer sur deux béquilles, qui, hélas pour lui, sont présentement les symboles même d’une double faillite : une faillite intellectuelle, celle de madame Badinter ; et une faillite morale, celle de Fourest.
Lorsqu’en septembre 2011, madame Badinter a osé déclarer : "en dehors de Marine Le Pen, plus personne ne défend la laïcité. (et de rajouter dans la foulée de la phrase) Au sein de la gauche, le combat a été complètement abandonné, si ce n'est par Manuel Valls". Son propos, souvenons-nous, avait soulevé un tollé à gauche, alors que Valls n’a soufflé mot contre cette scandaleuse conception de la laïcité. Pis-même, si je puis dire. En effet, Valls s’est fait le porte-parole, et même l’amplificateur des déclarations, pour le moins basses et misérables de madame Badinter à propos de sa conception de la laïcité, et pas plus loin que le mois d’avril dernier.
Quand le lundi 4 avril, Manuel Valls, premier ministre en exercice, crut opportun et important de se faire l’écho de l’interview qu’il qualifie « lumineuse » de la philosophe féministe Élisabeth Badinter, qui avait appelé samedi 2 avril dans Le Monde au boycott des marques de vêtements vendant des tenues islamiques. Voici les propos qu’il utilisa : « Ce que représente le voile pour les femmes, non ce n’est pas un phénomène de mode, non, ce n’est pas une couleur qu’on porte, non : c’est un asservissement de la femme ». Et comme toujours avec Valls, il ne s’agit pas uniquement d’un franc parler, ou d’un ton corsé, mais de la vindicte et de la stigmatisation et de rajouter donc : « Il faut faire la distinction entre ce qu’est un voile, un fichu porté par les femmes âgées, et la revendication d’un signe politique qui vient confronter la société française ». De quel droit, et au nom de quoi Valls se permet-il de définir à partir de quel âge un foulard est-il un fichu et dans quelles circonstances est-il une revendication politique ? De quel droit Valls s’autorise-t-il à faire porter à cette tradition musulmane une aussi dangereuse charge politicienne et idéologique ?
Fichu fichu ! et sacré bout de tissu, si je puis dire. En l’occurrence, ce fichu fichu ne sert pas uniquement à couvrir les cheveux de la musulmane, mais aussi et surtout dans notre pays, à dévoiler et découvrir ceux qui, comme Valls, ont un problème avec l’islam et les musulmans.
Je ne vais pas m’attarder sur la deuxième béquille, je veux dire la deuxième référence de Valls en matière de laïcité, en l’occurrence Caroline Fourest. Cette dernière, sur LCI, vient d’être dévoilée pour la deuxième fois en moins de deux ans ( la dernière fois c’était chez Ruquier) en flagrant délit de mensonge délibéré et éhonté face à des millions de téléspectateurs… Alors ne nous attardons pas sur cette « sérial menteuse », comble de la bêtise et la faillite morale, et passons à des choses sérieuses.
Revenons donc au vote de ce dimanche, et aux deux projets de société qui s’affrontent, les deux conceptions du vivre ensemble qui se font face à face, à travers Manuel Valls et Benoit Hamon.
Lorsqu’au mois de septembre 2012, Valls alors ministre de l’intérieur et portant lui-même une kippa lors d’une cérémonie, déclare -et à très juste titre d’ailleurs- que les juifs de France « peuvent porter avec fierté la kippa ! », et que cinq mois plus tard il déclare, je cite : « Le voile qui interdit aux femmes d’être ce qu’elles sont restera pour moi et doit rester pour la République un combat essentiel » ; force est de constater qu’on est loin du fameux « deux poids, deux mesures » ; mais dans la division de la société. Ce genre de déclarations, ce type de position, qui sont très répandus chez Valls, ne dressent-ils pas les citoyens les uns contre les autres ? Monter les juifs contre les musulmans ou l’inverse, ou monter les musulmans contre les citoyens de droite est une conception et gestion colonialiste de la société.
Et si je dois me tenir uniquement à ce point, en l’occurrence le respect des traditions religieuses en matière d’habillement, qui n’est pas le plus important dans un pays, ni dans une société, dans une compétition électorale -il faut le souligner avec force-, mais qui est toutefois très révélateur et significatif, je dois dire qu’en tant que citoyen musulman je voterai sans la moindre hésitation pour Benoit Hamon.
En somme je dirais que les musulmans, sans le moindre doute, préfèrent celui qui dit : « Je serai le garant de laïcité telle qu’elle a été pensée en 1905. Une laïcité qui visait à ce que ceux qui croient et ne croient pas puissent librement le faire et en assurant la neutralité de la puissance publique et de l‘Etat, ni plus ni moins » (Hamon sur FR3, le 18 décembre) ; ils préfèrent celui qui cite Briand, Jaurès et d’autres quand il parle de laïcité, que celui qui parle de Badinter et Fourest.
Les citoyens musulmans, comme tous les autres citoyens épris de respect de la dignité et mus de l’esprit de la vraie laïcité, préfèrent celui qui se déclare pour « la loi de 1905, toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905 » qui est « une loi de liberté » une loi « complète », « une des plus belles lois de la République », que la conception falsifiée et guerrière de Valls.
Faut-il s’étonner enfin « quand même ! » que les citoyens musulmans préfèrent, et de loin la position de Hamon respectueuse et correcte quand il déclare qu’une femme qui « librement, décide de porter le foulard islamique, et il en existe, peu importe ce que nous pensons », doit-être « libre de le faire » ?
Alors que Valls paternaliste, et faussement bienveillant nous rabâche la logorrhée colonialiste et néocolonialiste, civilisatrice des nations jadis, émancipatrice des citoyennes musulmanes aujourd’hui : « Il n’y a pas que la laïcité » il y a aussi « le problème de l’émancipation de la femme (comprendre musulmane). Et notre rôle n’est pas de stigmatiser (ce qu’il n’arrête pas de faire depuis des années), mais de dire à ces femmes (musulmanes), à ces jeunes filles (infantilisation oblige) qui vivent cet ordre machiste, cette régression (cet islam quoi !) : nous sommes là pour vous aider, nous sommes avec vous pour vous aider à vous émanciper. »
Et dire que nous sommes en 2017, que l’homme qui parle ainsi s’adresse à une société où les musulmans et les musulmanes, sont certes une minorité ; mais une minorité comprise entre 5 et 7 millions de citoyens et citoyennes.
J’aurais vraiment honte, très honte d’être un musulman ou une musulmane, dans un pays où le candidat à la présidentielle véhicule cette conception de la France d’aujourd’hui et de demain.
Pr. Noureddine AOUSSAT