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O. Le Cour Grandmaison

Université d'Evry-Val d'Essonne, sciences politiques et philosophie politique

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Tribune 7 octobre 2025

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Défendre les libertés publiques, avant qu’il soit trop tard

En France, les atteintes réitérées aux libertés publiques, documentées par de nombreux rapports, enquêtes et ouvrages, s’institutionnalisent et se normalisent. La défense des libertés publiques et des droits humains est l’un des combats essentiels des années à venir, et l’un des enjeux majeurs dans la perspective des élections de 2027. Par Eugénie Mérieau, Olivier Le Cour Grandmaison et Julien Le Mauff.

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La défense des libertés publiques et des droits humains est l’un des combats essentiels des années à venir, et l’un des enjeux majeurs dans la perspective des élections de 2027.

En France, les atteintes réitérées aux libertés publiques, documentées par de nombreux rapports, enquêtes et ouvrages, s’institutionnalisent et se normalisent. Depuis l’état d’urgence appliqué en 2005 pour mater les révoltes des quartiers populaires, puis en 2015, l’arbitraire n’a cessé de prospérer. De nombreuses dispositions d’exception ont été intégrées au droit commun. Entre autres preuves, les lois « Sécurité globale » et « séparatisme » de 2021 ont considérablement élargi les pouvoirs de surveillance, légalisé l’usage de drones et de caméras dites « intelligentes » sans véritable débat démocratique, tout en instaurant un climat de suspicion généralisée à l’égard des associations, des personnes de confession musulmane, racisées, et originaires des quartiers populaires.  Au sein de l’Union européenne également, la France a milité pour que certaines pratiques comme la reconnaissance faciale en temps réel échappent à une interdiction formelle, lors des négociations sur l’AI Act adopté en 2024. L’exception devient progressivement la norme, et les garde-fous démocratiques ne cessent d’être affaiblis.

À ces dispositions législatives s’ajoutent des pratiques qui témoignent d’un illibéralisme croissant. L’usage démultiplié des procédures de dissolution administrative d’associations et de collectifs, décidée unilatéralement par le ministère de l’Intérieur, vise, pour des raisons idéologiques, des associations antiracistes et des collectifs de solidarité. Beaucoup sont menacés, parfois interdits, sur le fondement d’arguments fragiles, parfois désavoués par les juridictions administratives. Une telle logique de criminalisation des engagements citoyens place la France à l’avant-poste des nations illibérales. Alors que Donald Trump annonçait récemment classer les mouvements antifascistes parmi les organisations terroristes aux États-Unis, en France, discours et pratiques visant à rendre suspectes les luttes pour les solidarités et contre les idées d’extrême-droite participent pleinement d’une stratégie politique assumée par la droite de l’échiquier politique et au sein même du gouvernement. Tous empruntent au Rassemblement national rhétorique, accusations hyperboliques, dispositions et pratiques.

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Plus encore, le dialogue avec l’extrême-droite et les gages fournis – depuis la loi immigration de 2023-2024 reprenant ses propositions, jusqu’à l’élection ces derniers jours de deux vice-présidents de l’Assemblée nationale issus du RN – ont pour principales victimes les plus fragiles, et leurs droits : restrictions d’accès aux droits sociaux, durcissement des procédures d’asile, stigmatisation des étrangers. Contre les principes républicains, les nécessités économiques et les impératifs sanitaires, la remise en question de l’aide médicale d’État (AME) est encore revenue parmi les possibles « concessions » gouvernementales qui étaient supposées permettre à Sébastien Lecornu de former un gouvernement.

Face à ces involutions, le droit d’exprimer son opposition se trouve lui-même de plus en plus souvent vidé de sa substance par l’usage disproportionné de la force, la criminalisation des mobilisations écologistes et sociales, et celle des quartiers populaires. L’adoption continue de textes sur la sécurité intérieure accentue cette spirale visant à surveiller et à réprimer toujours plus les luttes, plutôt que de réguler les puissances économiques et technologiques, et de répondre aux inégalités, aux discriminations et à la crise climatique. Les exceptions au droit commun s’étendent, y compris selon des procédures extraordinaires, comme l’illustre le Schéma national des violences urbaines récemment diffusé par le ministère de l’Intérieur, qui dispose en s’émancipant de tout environnement législatif que « la lutte contre les violences urbaines obéit à un cadre juridique et opérationnel propre, différent du maintien de l’ordre » – en d’autres mots : un cadre d’exception.

Moins dispersées qu’il n’y paraît, ces mesures obéissent à un calcul politique qui voit le « bloc central » monnayer sa survie par des alliances de circonstances reposant sur l’adoption de mesures liberticides, frappant les personnes minorisées et précarisées. Criminaliser les luttes est plus aisé que de débattre de leur légitimité, mais un tel arbitrage témoigne d’un autoritarisme grandissant.

Ce mouvement ne s’arrêtera pas de lui-même, chaque recul en appelant un autre. La banalisation des procédures exceptionnelles et l’obsession sécuritaire installent un régime qui conserve les formes de la démocratie libérale tout en la vidant de sa substance. Aux États-Unis, en Hongrie, en Italie, les garanties des droits et les contre-pouvoirs se désagrègent sous nos yeux, et montrent, de façon sinistre, à quelle vitesse une démocratie peut basculer.

Une société qui tolère des atteintes toujours plus importantes au droit d’asile, à la liberté associative, au droit de manifester ou à la liberté de la presse, consent à un avenir où la garantie des droits deviendrait inopérante pour toutes et tous. Outre les personnes racisées, pauvres, habitant·es des quartiers populaires, exilé·es, militant·es, c’est l’ensemble des citoyen·nes qui se trouvent désormais menacé·es dans l’exercice de leurs libertés les plus élémentaires, et leur capacité d’acteur·rices politiques.

Eugénie Mérieau (Université Paris-I), Olivier Le Cour Grandmaison (Université Évry-Paris-Saclay), Julien Le Mauff (Sciences Po/UCO)

Ces thèmes seront au centre des débats et tables-rondes de la 1re Journée de défense des libertés publiques et des droits humains, organisée le 11 octobre 2025 à la Bourse du Travail (Paris). Entrée libre toute la journée à partir de 9h30.