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Billet de blog 10 octobre 2025

Le Mexique : voter sans élire

Au Mexique, le mot « accordéon » a deux significations. La première, traditionnelle, désigne un instrument de musique à vent avec un clavier, comme en France. La seconde désigne un petit document utilisé pendant les examens pour tricher et avoir les réponses à portée de main.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au Mexique, le mot « accordéon » a deux significations. La première, traditionnelle, désigne un instrument de musique à vent avec un clavier, comme en France. La seconde désigne un petit document utilisé pendant les examens pour tricher et avoir les réponses à portée de main. Il s'agit donc d'un petit document qui peut être plié, dissimulé et caché. C’est généralement une feuille de papier, mais la créativité et l'ingéniosité des tricheurs ont donné lieu à des designs plus innovants: des gommes avec des inscriptions cachées, ou encore des inscriptions à l'intérieur des masques, pendant la pandémie. Des comptes TikTok expliquent comment les fabriquer. Ce n'est pas une source de fierté.

On pourrait penser que ce type de tricherie n'a pas sa place dans une salle de classe, et encore moins lors d'un processus électoral. Cependant, la récente élection judiciaire – processus au cours duquel le pouvoir judiciaire du Mexique a été renouvelé – a également été victime de cette mauvaise pratique. Dans le cadre d'une élection, un accordéon est un « guide » qui indique à l'électeur pour qui voter. Il s'agit d'un document qui indique les candidats à cocher sur chaque bulletin de vote (il y avait entre 5 et 9 bulletins, selon la province du pays). Curieusement, les candidats figurant sur les accordéons étaient des personnalités proches du parti au pouvoir.

Cela peut être interprété de deux manières. La première est innocente et pure. Il a été indiqué que les accordéons ne constituaient pas un délit, mais qu'ils servaient simplement d'aide aux électeurs, qui votaient librement. La seconde, c'est un mécanisme d'incitation au vote. Cependant, en politique, il n'y a pas de hasard, et encore moins au Mexique.

Les résultats montrent qu'il ne s'agissait pas d'un simple guide innocent. L'élection de la Cour suprême de justice de la nation en est un bon exemple. Dans ce cas, il était possible de voter pour neuf postes (cinq femmes et quatre hommes) et 64 candidatures figuraient sur le bulletin de vote (environ la moitié de femmes et la moitié d'hommes). En utilisant des mathématiques de niveau secondaire, on peut découvrir le nombre de combinaisons possibles :

  • Sur 32 candidats masculins, il fallait en choisir 4. Considérons cela comme une loterie où il y a 4 numéros gagnants, et pour chaque case, il y a 32 numéros possibles. Nous obtenons ainsi un total de 35 960 combinaisons uniques possibles.
  • Sur 32 candidates féminines, 5 devaient être choisies. Cela nous donne un total de 201 376 combinaisons possibles.

Le nombre final est plus élevé, car la distinction par sexe rend le calcul total des combinaisons uniques plus complexe. Il faut donc multiplier ces deux facteurs, ce qui donne un total de 7,2 milliards de combinaisons. Pour mettre cela en perspective, le nombre de combinaisons pour gagner à la loterie française est nettement inférieur (19 millions).

Au Mexique, curieusement, certains ont gagné à cette loterie. Pour la Cour suprême, 100 % des gagnants figuraient dans des accordéons. Et ceux qui n'y figuraient pas ont perdu. Ce n'était pas le fruit du hasard.

Bien que scandaleux, ce n'était que la partie émergée de l'iceberg. Au moins cinq autres actes et décisions ont conditionné les candidatures, les campagnes et le processus électoral en général, à savoir :

  1. La présélection des candidatures. Des comités d'évaluation ont été constitués dans chacun des trois pouvoirs de l’État : l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Ils devaient évaluer les candidats. Cependant, leur travail a été déficient. Il n'existait ni norme ni critère commun. La sélection a donc été improvisée et politique. Le seul comité indépendant du parti au pouvoir (celui du pouvoir judiciaire) a suspendu ses travaux conformément à une décision de justice, que les autres comités ont ignoré. Finalement, bon nombre des personnes sélectionnées avaient des liens évidents avec le parti au pouvoir; à savoir Morena.
  2. Découpage des circonscriptions électorales. Un principe fondamental de la démocratie est celui d'une personne, une voix, un vote. Pour déterminer cela, on trace des circonscriptions dans lesquelles un représentant (dans ce cas, un juge) est élu. La valeur du vote d'une personne doit être la même que celle d'une autre personne, même si elle se trouve à l'autre bout du pays. Or, au Mexique, un mauvais découpage administratif a corrompu ce principe. Un exemple: pour la Ville de Mexico, 11 circonscriptions judiciaires ont été créées pour 7,9 millions d'électeurs. À l'inverse, dans l'État de Mexico (une province située à proximité de la ville), 3 circonscriptions ont été créées pour 13,1 millions d'électeurs. En d'autres termes, Mexico a eu un poids six fois plus important.
  3. Campagnes. Une campagne électorale démocratique se caractérise par une large diffusion d'informations, avec de la publicité et des événements où cours desquels les candidats présentent leurs idées. Or, le cas mexicain était restrictif. Le modèle ne permettait pas d'acheter du temps d'antenne à la radio et à la télévision, et la publicité de l'Institut National Électoral portait de manière générale sur le processus électoral, ses dates et ses modalités, sans mentionner les candidatures individuelles. En raison d'autres exigences légales, peu de débats ont été organisés. De plus, le financement (public et privé) des candidats a été restreint. Ce qui a encore plus limité leurs possibilités d’action. Les candidats ne disposaient donc que de leurs propres ressources.
  4. Jour du scrutin. Le vote s'est révélé compliqué. Chaque électeur disposait de 5 à 9 bulletins de vote, chacun comportant un grand nombre d'options. Cela a conduit à un temps moyen de vote compris entre 10 et 30 minutes par personne. De plus, chaque candidature apparaissait avec un numéro et un code d'identification, au lieu d'une photo ou d'un emblème. D'autre part, certaines mesures clés de sécurité utilisées dans les élections traditionnelles ont été supprimées. Les candidats n'ont par exemple pas pu nommer de représentants dans les bureaux de vote. Il a également été décidé de ne pas comptabiliser ni marquer les bulletins restants (ceux qui n'ont pas été déposés dans l'urne), ce qui compromet leur sécurité.
  5. Participation. Le résultat d'une élection doit refléter la volonté populaire. En bénéficiant du soutien des citoyens, les élus acquièrent une légitimité. Au Mexique, seuls 13 % des électeurs se sont rendus aux urnes (87 % ont décidé de ne pas participer), et le nombre de votes nuls ou blancs a été important. Un exemple: lors de l'élection à la Cour suprême, les votes nuls et blancs ont représenté 22,84%, des suffrages tandis que le candidat ayant obtenu le plus de voix n'en a recueilli que 5,30%. Peut-on parler de volonté populaire face à un tel rejet de la procédure ?

À cela s'ajoute une mauvaise conception de la réforme judiciaire qui a conduit à cette élection. Cette réforme a affaibli le recours constitutionnel (« juicio de amparo » en espagnol) ; limité la carrière judiciaire ; réduit considérablement les conditions requises pour devenir juge et elle a licencié arbitrairement tous les juges du pays, en violation de leurs droits du travail et de l'indépendance judiciaire. Cette réforme soumet les nouveaux juges à une présélection et à une sélection politique, qu'ils devront remercier une fois en fonction. Dans ce processus, l'accordéon n'était clairement pas musical.

Miguel Angel Lara Otaola

Conseiller international du Projet d'Intégrité électorale.

Chercheur à l'Observatoire des réformes politiques en Amérique latine. #ObservatorioReformas 

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