Por Analía Orr[1]
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L’un des traits les plus caractéristiques de la majorité des présidents et présidentes en Amérique latine et aux États-Unis a été la concentration du pouvoir et des prérogatives entre les mains d’une institution et d’une seule personne. Cependant, la conception institutionnelle du présidentialisme prévoit un mécanisme qui permet la prééminence du pouvoir législatif sur le pouvoir exécutif en cas de désaccord sur la législation : l’insistance face au veto présidentiel.
Le veto présidentiel est la faculté qu’a le ou la présidente de rejeter une loi adoptée par le Congrès ou le Parlement. Ce pouvoir de veto constitue une part importante du pouvoir présidentiel, dans la mesure où il permet au chef de l’exécutif de participer au processus législatif en exprimant son désaccord. Néanmoins, il ne s’agit pas d’un pouvoir absolu, car il existe un mécanisme destiné à surmonter cette opposition : l’insistance législative.
Bien que la réglementation précise de ce mécanisme varie selon les pays latino-américains, il s’agit d’une possibilité institutionnelle qui requiert des majorités qualifiées pour être mise en œuvre. Ainsi, le système garantit que l’insistance ne se produise que lorsqu’un large consensus existe au sein du pouvoir législatif quant à la nécessité d’adopter une loi. Par exemple, les majorités exigées pour l’insistance législative sont la majorité absolue – la moitié plus un – dans les deux Chambres au Brésil, les deux tiers des membres présents en Argentine et au Mexique, et les trois cinquièmes des membres présents dans chaque Chambre en Uruguay.
L’exigence d’une majorité significative pour l’insistance législative est cohérente avec l’imaginaire d’un pouvoir législatif conçu comme un acteur institutionnel sur lequel repose la République, de sorte que la tendance à la concentration du pouvoir présidentiel soit tempérée. Cependant, la fragmentation croissante des systèmes partisans et des blocs parlementaires, le caractère éphémère des partis politiques transformés en fronts électoraux ou en coalitions superficielles, ainsi que la crise plus large des identités politiques traditionnelles, affaiblies par l’inefficacité gouvernementale, peuvent entraîner l’émergence de Congrès ayant de grandes difficultés à former des majorités législatives durables.
À titre d’exception à ce panorama, un revirement dans les alignements partisans au Congrès national a permis, au début du mois de septembre, qu’en Argentine soit exercée l’insistance législative face au veto présidentiel concernant la loi déclarant l’état d’urgence en matière de handicap. Cette norme permet de réviser la valeur des prestations et des pensions financées par l’État national au bénéfice de ce groupe de personnes. À la suite de cette insistance législative — la première depuis plus de vingt ans en Argentine —, le pouvoir exécutif a été contraint de promulguer la loi, bien que, par une décision discutable, il en ait suspendu l’application effective jusqu’à ce que le Congrès détermine la source de financement spécifique permettant de couvrir la réévaluation des montants, dans un pays dépourvu de budget approuvé depuis deux ans. On pourrait intituler le film : Qui a volé mon budget ?
La nouveauté de la coordination législative comme réponse au veto présidentiel — l’un des nombreux survenus durant le gouvernement de Javier Milei — a ravivé une question sur le fonctionnement institutionnel du système présidentiel : le Congrès est-il légitime à imposer la direction que prennent les politiques publiques dans les démocraties présidentialistes latino-américaines ? Notre réponse est affirmative : il l’est, parce que le pouvoir législatif est l’organe le plus représentatif des diverses expressions partisanes et territoriales, en particulier dans les pays fédéraux dont les chambres représentent les provinces ou les États de la fédération. Si la démocratie est le gouvernement du peuple, la diversité de la composition du pouvoir législatif nous conduit à penser que c’est là que réside, en grande partie, la représentation la plus effective de cette pluralité.
Le caractère rare de l’insistance législative au Mexique et en Argentine — plus fréquente au Brésil — offre peu de preuves empiriques de l’effet politique concret que la mise en œuvre de ce mécanisme institutionnel exerce sur la performance des présidents dont les vetos sont surmontés dans ces pays. Mais, d’une manière générale, l’insistance législative révèle que la capacité de négociation de l’exécutif se trouve affaiblie et remet en question son aptitude à mener à bien un programme législatif ultérieur.
L’insistance législative met également en lumière la nécessité de réviser la stratégie de négation systématique du rôle — et de la responsabilité — centrale que les pouvoirs législatifs assument dans les démocraties présidentialistes, même lorsqu’une forte concentration du pouvoir présidentiel persiste. L’établissement d’une communication ouverte, institutionnellement respectueuse et propice à la négociation — en tant que pratique politique permettant de réduire les écarts et de surmonter les désaccords — serait d’un grand secours.
Une fois de plus, nous observons que les dispositifs institutionnels fonctionnent davantage comme des structures de possibilités que comme des causes déterminantes des résultats souhaités. Dans ce cadre de possibilités, les décisions stratégiques pèsent lourd. Des présidents dotés de superpouvoirs en Amérique latine ? Pas si vite, pas toujours.
[1] Politologue, UNPSJB-CONICET, Argentine. Chercheuse à l’Observatoire des réformes politiques en Amérique latine.