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Billet de blog 20 février 2018

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Travailler lorsque l’on est détenu : soulagement ou exploitation ?

Fabrice Guilbaud est sociologue, maître de conférences à l’université de Picardie Jules Verne à Amiens. Il est l’auteur d’une thèse sur le travail en prison, et revient dans cet entretien sur l’ambivalente relation qu’entretiennent les personnes incarcérées avec leur statut de travailleur détenu.

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Propos recueilli par Laure Anelli, de l'Observatoire international des prisons. Dossier "Travail en prison" 6/13.

Illustration 1
© Grégoire Korganow / CGLPL

Le travail pénitentiaire peut-il être considéré comme un travail salarié ? Et les personnes détenues qui travaillent se considèrent-elles comme des travailleurs « comme les autres »?

On peut tout à fait considérer l’activité de travail qu’exercent librement les personnes détenues comme du travail salarié parce qu’il n’est pas forcé et qu’il est effectué en échange d’une rémunération. Quelques éléments de protection sociale associés au salaire sont également des marqueurs d’appartenance au salariat contemporain. Mais les hommes et les femmes détenues qui travaillent en prison sont confinés à la marge sociale et salariale, parce que l’accès à la norme salariale reste interdit par un régime juridique dérogatoire au droit du travail. Leur condition est en effet réglée par le Code de procédure pénale, qui interdit aux personnes détenues l’accès au contrat de travail classique. La qualité de personne détenue l’empêche d’être, en matière de travail, contractant·e, sujet de droit. Le droit pénitentiaire prohibe également toute forme de droit collectif. Et en cas de contestation, la sanction vient vite : on est privé de travail quelques temps (« déclassé » au moins) et éventuellement puni d’une sanction disciplinaire.

Tout cela, l’immense majorité des travailleurs et travailleuses détenues le sait. La plupart de celles et ceux qui sont en activité relativement continue depuis six mois à un an se considèrent rapidement comme travailleur ou travailleuse, mais leur condition salariale et sociale peut les amener à s’identifier à d’autres figures exploitées du salariat contemporain ou de se présenter comme un·e « esclave moderne ». On voit là comment la distance au droit commun et la faiblesse des salaires alimentent la conscience de faire partie d’un monde à part, le sentiment d’une infériorité sociale et salariale.

Vous écrivez que les détenus ont un rapport ambivalent au travail. Quel est, en dépit de conditions de travail peu reluisantes et de l’absence de statut protecteur, son intérêt pour les personnes détenues ?

Je parle d’ambivalence dans le sens où les travailleurs et travailleuses détenu·e·s peuvent critiquer ouvertement leurs conditions de travail, les salaires et la qualité du travail, tout en en étant très demandeurs. Ils et elles trouvent en effet dans le travail des ressources importantes pour résister aux conditions de détention et aux conséquences de l’enfermement. Travailler dans l’atelier, les cuisines ou les couloirs, c’est avoir la possibilité de se déplacer, de se mouvoir. Cette dimension spatiale est articulée à une dimension temporelle : au travail, le temps passe plus vite qu’en cellule ou ailleurs. Ces deux rétributions non-monétaires provoquent un attachement au travail plus ou moins intense selon la nature des activités, le temps passé en prison, le type de prison et de régime de détention. Il peut même parfois engendrer une déconnexion entre salaire et travail : certain·e·s affirment que sans travail, la vie serait bien trop difficile et qu’ils ou elles s’imaginent même travailler sans être rémunéré… tout en revendiquant parfois ouvertement, individuellement ou collectivement, de meilleurs salaires.

Comment l'administration perçoit-elle le travail ?

Le travail a plusieurs fonctions. C’est d’abord un instrument au service de la sécurité, parce qu’il vide les cellules, parce qu’il occupe, parce qu’il instaure une économie interne qui participe d’une régulation des échanges. Distribuer des salaires réduit les phénomènes de trafic, d’exploitation domestique ou sexuelle entre détenu·e·s. C’est cohérent dans la mesure où la prison reste d’abord définie par sa mission de garde, et l’on sait bien que la logique sécuritaire domine toute l’organisation.

Cela dit, la dimension plus contemporaine de la fonction d’insertion attribuée au travail, importante dans les discours et la communication de l’Administration pénitentiaire au niveau national et régional, émerge parfois aussi localement. Quasi inexistante en maison d’arrêt, cette fonction est davantage mise en avant en centre de détention. Même si, globalement, le travail reste rare : une personne sur trois en maison d’arrêt, et cinq à six sur dix en établissement pour peines ont un emploi.

L’absence de droit du travail peut-elle être vue comme un obstacle à cette mission de réinsertion ?

Oui, dans la mesure où dehors, l’expérience de travail en prison n’est souvent pas reconnue, simplement parce que les personnes libérées n’ont ni attestation ni contrat à faire valoir. On peut également considérer que c’est un obstacle au retour à la vie libre et à ses conditions parce que le travail effectué en prison n’ouvre pas droit au chômage indemnisé, et parce que le niveau de rémunération est souvent trop faible pour valider des trimestres dans le calcul des pensions en vue du passage à la retraite. Et cela est d’autant plus important à l’heure où les sorties de prison à un âge avancé et après de longues peines sont bien plus nombreuses qu’il y a vingt ou trente ans.

Le travail tel qu’il existe actuellement en prison participe-t-il réellement de la mission de réinsertion ?

Il est impossible de le dire car nous n’avons pas la moindre idée de ce que deviennent les personnes libérées, sauf si elles sont recondamnées. N’ayant pas connaissance du devenir social et professionnel des personnes libérées, on ne sait pas si le fait d’avoir travaillé en prison a une incidence sur leur parcours. Le fait qu’on ne s’intéresse au devenir des personnes détenues que lorsqu’elles reviennent vers la justice n’est qu’une preuve supplémentaire de la focalisation contemporaine sur la récidive et la sécurité. Et d’un désintérêt global pour la question sociale.

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Retrouvez les précédents articles de notre dossier "Travail en prison" :
- Travail en prison : une mécanique archaïque (1/13)
- Travail en prison : la servitude organisée (2/13)
- Inspecteur du travail en prison : un pouvoir limité (3/13)
- Comment réformer le travail en prison (4/13)
- La défense par les centrales syndicales des travailleurs détenus (5/13)

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