D'un côté, certaines athlètes présentant une forme de sexuation atypique sont accusées de tricher sciemment, au motif qu'elles sauraient bien qu'elles "sont des hommes". Cette accusation a en particulier été proférée massivement à l'encontre de la boxeuse Imane Khelif à l'occasion de sa participation aux JO de 2024.
De l'autre, les instances sportives internationales sont accusées de réaliser un ciblage raciste des tests à l'issue desquels elles exigent que certaines athlètes diminuent leur taux de testostérone pour être admises aux compétitions féminines. La matérialité de ce ciblage par lesdites instances serait démontrée par la sous-représentation des athlètes occidentales parmi les femmes concernées. Cette accusation est en particulier proférée dans Des sportives trop puissantes, un documentaire diffusé en juin 2024 par la chaîne franco-allemande Arte (qui présente par ailleurs les deux défauts classiques dénoncés dans mon précédent billet).
Le présent billet présente succinctement un rapport de cas, publié en 2013 dans une revue scientifique biomédicale, qui est susceptible d'éclairer de manière critique ces deux accusations. Il ne saurait évidemment être invoqué comme preuve que ces deux accusations sont systématiquement infondées. Il montre néanmoins par quels mécanismes l'une comme l'autre peuvent l'être, et par conséquent qu'on ne peut les tenir pour valides lorsqu'elles sont proférées sans preuves.
Soulignons aussi que la constitution biologique des quatre athlètes concernées par ce rapport n'est pas représentative de tous les cas conduisant de nos jours à soumettre une athlète à l'abaissement de son taux de testostérone pour être admise aux compétitions féminines. Elle correspond cependant à une configuration typique dans ce contexte, ciblée notamment par le règlement de la fédération internationale d'athlétisme, plus particulièrement mise en cause dans le documentaire précédemment cité, ainsi que par celui de la fédération internationale de natation.
Ce qui a conduit cette équipe à réaliser ces investigations
Cet article scientifique rapporte les cas de quatre athlètes de haut niveau qui avaient été référées par une fédération sportive internationale au département d'endocrinologie reproductive d'un CHU français. L'une d'elles avait été référée à la fédération internationale directement par le médecin de sa fédération nationale, une autre l'avait été par une personne qui dans le cadre d'un contrôle anti-dopage, avait observé un profil hormonal atypique dans ses urines et une hypertrophie clitoridienne, et les deux autres l'avaient été en raison d'anomalies détectées dans le cadre de l'établissement de leur Passeport Biologique de l'Athlète (ABP).
L'ABP, qui concerne aussi bien les participants aux compétitions masculines que les participantes aux compétitions féminines, est un document électronique contenant les résultats de contrôles biologiques mis en place dans le cadre de la lutte contre le dopage. Son déploiement par l'Agence mondiale anti-dopage a débuté en décembre 2009 avec un module basé sur une prise de sang, destiné à détecter l'usage d'une méthode d’amélioration du transport de l’oxygène. Il a été complété en 2014 par un module stéroïdien basé sur un échantillon d'urine, visant à détecter le recours à des agents anabolisants. Il détecte en particulier l'usage de stéroïdes androgènes anabolisants, des substances de synthèse de structure similaire à la testostérone. Il n'a en revanche pas pour objet de mesurer le taux de testostérone produit naturellement par les athlètes.
Résultat des investigations et commentaires
Les analyses ont révélé chez les quatre athlètes :
- un caryotype 46,XY (i.e. un sexe génétique - ou plus exactement chromosomique - masculin),
- la présence de deux testicules non descendus (i.e. un sexe gonadique masculin),
- un profil hormonal typiquement masculin, dont un taux basal de testostérone allant de 520 ng/dL à 640 ng/dL selon les cas (la plage normale masculine est de 260 à 1000 ng/dL environ, alors que la valeur maximale de la plage normale féminine est de 70 ng/dL environ),
- une mutation du gène SRD5A2 affectant la synthèse de la 5-alpha reductase de type 2, une enzyme qui catalyse la conversion de la testostérone en dihydrotestostérone dans certains tissus.
Le déficit en 5-alpha reductase de type 2 explique le développement atypique des organes génitaux externes, qui est ce qui a conduit ces femmes à être déclarées "filles" à la naissance. Sans ce déficit, leurs organes auraient eu une forme typiquement masculine et elles auraient été déclarées "garçons" à la naissance.
Il explique également l'absence chez elles de développement remarquable des poils dans les zones de croissance typiquement masculines (ex : lèvre supérieure, menton) malgré une pilosité pubienne et axillaire normale. En effet, le développement normal de la pilosité pubienne et axillaire ne nécessite que la présence de testostérone alors que ces aspects du développement typique masculin sont dépendants de la dihydrotestostérone : un niveau très élevé de testostérone ou une activité accrue de la 5-alpha reductase de type 1 peut masculiniser partiellement ces traits anatomiques, mais pas complètement.
Indépendamment de considérations relatives à leur morphotype osseux et musculaire, toutes les quatre présentaient des signes clairs d'une sexuation atypique pour une femme : elles ont déclaré n'avoir jamais eu de règles (aménorrhée primaire) et avoir constaté une virilisation inattendue lors de leur puberté (pilosité pubienne "excessive" ou hypertrophie clitoridienne), et elles présentaient une "absence totale de développement de la poitrine", selon les auteurs. A l'examen clinique, toutes les quatre se sont avérées présenter une clitoromégalie (clitoris de taille hors norme) accompagnée d'une fusion partielle des grandes lèvres (presque complète dans deux cas, formant ainsi un scrotum). Leur vagin ne débouchait pas sur un utérus et chez trois d'entre elles, il était profond de moins de 2,2 cm.
Cependant, aucune d'entre elles n'avait fait l'objet d'investigations médicales à la naissance ni n'avait eu recours ultérieurement à de telles investigations. Elles avaient été déclarées filles à la naissance, élevées comme telles, et à leurs yeux comme à l'état civil, elles étaient des femmes. Elles n'ont découvert cette constitution biologique qu'à l'occasion de ces analyses menées à la demande de la fédération internationale de leur sport. Selon les auteurs, cela peut s'expliquer par le fait que toutes les quatre provenaient d'une zone rurale de pays en développement, caractérisée par une offre de soins réduite.
Epilogue
Informées de ces résultats, les quatre athlètes ont souhaité conserver leur identité sociale féminine. Les auteurs leur ont alors proposé de recourir à une procédure de féminisation incluant l'ablation des testicules et la réduction du clitoris, puis la mise en place d'un traitement hormonal substitutif œstrogénique suivie d'une vaginoplastie de féminisation. Les auteurs indiquent que toutes les quatre ont accepté de recourir à cette procédure après avoir été dûment informées des conséquences, dont la baisse prévisible de leurs performances sportives en raison de la chute du taux basal de testostérone consécutive à l'ablation de leurs testicules.
Comme cela est dénoncé par une intervenante dans le documentaire cité plus haut, le consentement à une telle procédure médicale peut n'avoir été obtenu que parce que la personne concernée n'était pas pleinement consciente de toutes ses conséquences et parce qu'elle a eu le sentiment de ne pas avoir d'autre choix si elle voulait rester admise aux compétitions féminines. Il est à ce titre très surprenant que les auteurs n'écrivent pas leur avoir proposé de simplement réduire leur taux de testostérone pharmacologiquement. De manière choquante, ces auteurs (7 hommes et 3 femmes) semblent considérer qu'il va de soi qu'une femme ne peut que souhaiter avoir un clitoris de petite taille et un vagin adapté au coït hétérosexuel. Il convient cependant de souligner que ce rapport de cas date de 2013, et que depuis les instances sportives informent dûment les athlètes concernées qu'il leur suffit d'abaisser leur taux de testostérone pharmacologiquement (et de supporter les effets secondaires de ce "traitement").
Il est également profondément choquant que des femmes aient dû se soumettre à de telles observations cliniques de leurs organes génitaux simplement pour pouvoir espérer continuer à participer à des compétitions sportives. Mais là encore, il convient de noter que les règlements adoptés par les instances sportives excluent toute obligation de procéder à de telles investigations.
Le documentaire diffusé par Arte, poignant, montre combien les conséquences ont pu être dévastatrices pour des athlètes qui ont été jugées inéligibles aux compétitions internationales à moins d'abaisser leur taux de testostérone. Leur carrière sportive au plus haut niveau a été brutalement stoppée en plein vol et l'exposition médiatique de leur cas a conduit à étaler au grand jour des données médicales à caractère privé, et particulièrement sensibles. Si les tests actuels sont pérennisés, il est impératif que tout soit fait pour éviter que cela se reproduise. Il me semble qu'à cette fin, les fédérations nationales devraient a minima s'assurer que leurs athlètes sont éligibles avant de les inscrire à des compétitions internationales.
Odile Fillod