Ghost song est un documentaire envoutant, une sorte d’odyssée qui mixe un réel que l’on prend en pleine face et des scènes où les personnages semblent jouer leur propre rôle. Un film déjanté, véritable œuvre de cinéma irrigué par une bande-son ciselée par Jimmy Whoo à partir des musiques de Houston. Sans doute parce que son réalisateur, Nicolas Peduzzi, connait bien les protagonistes de son film et la ville dans laquelle ils évoluent, Houston.
En 2018 était sorti Southern Belle, son premier film, le quotidien de son ex-petite-amie Taelor Ranzau, héritière du plus grand exploitant pétrolier du Sud des Etats-Unis, tombée dans la drogue, l’alcool et fricotant avec les armes. C’est durant ce tournage qu’il rencontre Will puis Alexandra qui se retrouvent aujourd’hui dans Ghost Song.
Nous sommes en 2017. Alors que l’ouragan Harvey s’apprête à lâcher un déluge sur Houston, la rappeuse et ex-cheffe de gang Alexandra (OMB Bloodbath), un fils de riche renié devenu sans-abri Will (William Folzenlogen) et Nate (Nate Nichols) se battent avec leurs démons pour survivre dans une ville qui semble dévorer aussi bien les gens que les rêves. Dans cette atmosphère suspendue à l’apocalypse, ces trois habitants des bas-fonds de la ville vont faire entendre leur colère, vont puiser toute leur énergie pour tenter d’échapper à la damnation, vont par instant se libérer du carcan du loser pour déclamer leur rage de vivre. Ghost song a quelque chose du théâtre, mais ce n’est pas de la comédie.

Il y a la musique comme mode d’expression sous toutes ses formes, comme dans ce duo de guitares où Will et son oncle règlent leurs histoires de famille lors d’une improvisation mémorable ; les règlements de compte entre gangs : Alexandra dit avoir vu vingt potes mourir en deux ans et lâche les dollars dans un club de lap dance ; les addictions aux opiacés, illustration parfaite des effets des amphétamines administrées dès le plus jeune âge aux enfants hyperactifs ; la paranoïa, les hallucinations et… le rêve américain qui forcément pourrait tout transformer en or.
Ghost song filme l’Amérique de ceux qui ne sont même pas déclassés, n’ayant jamais été classés quelque part. L’Amérique de la folie, de la fureur, de la férocité, celle d’une jeunesse d’autant plus animée par l’urgence de vivre qu’un ouragan pourrait l’emporter.
C’est ravagé et ravageur. Détraqué mais salvateur.
Sophie Dufau, journaliste à Mediapart
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Ghost song
de Nicolas Peduzzi,
1h16. Sortie en salle le 27 avril 2022
Ce film a reçu le label “Oh my doc !” créé en 2020 par France Culture, la Cinémathèque du documentaire, l’association Les Écrans, la plateforme Tënk et Mediapart afin de chaque mois soutenir la sortie en salle d’un documentaire remarquable.
Il a été présenté au festival de Cannes 2021 dans la programmation de l'ACID (association du cinéma indépendant pour sa diffusion) et a reçu en 2021 le prix du meilleur film Révolution Permanente du Festival de Sevilla à Seville (Espagne).