« Pierre Feuille Pistolet » : sur les routes d'Ukraine avec les réfugiés de guerre

Depuis l'invasion russe de l'Ukraine en février 2022, près de vingt millions d'Ukrainiens ont été forcés de quitter leur foyer. Maciek Hamela, producteur et réalisateur polonais, a entrepris un voyage à travers le pays pour rapatrier les Ukrainiens qui sollicitaient son aide : « dans ce film, je suis à la fois réalisateur, chauffeur, organisateur, bénévole, interprète et confident ».

Avec plus de 100 000 km parcourus, son grand Volkswagen noir, transport vers la sécurité, devient une bulle suspendue propice aux confidences. Les passagers qui ne se connaissent pas échangent leurs avis, partagent la précarité de leur situations, leurs émotions et révèlent leurs peurs et leurs espoirs.

Ces discussions prennent parfois un tour plus léger, qui contraste avec le contexte dramatique, se dérobant ainsi aux récits de guerre auxquels on pourrait s’attendre. 

« Certaines personnes montent dans la voiture sans aucun projet pour leur avenir : avec un sac rempli d’affaires personnelles et une poignée de documents en main, elles doivent faire un saut vers l’inconnu » explique le réalisateur dans le dossier de presse. « Ce sont toutes les classes sociales et toutes les générations qui voyagent à bord du van, avec des motivations toutes aussi diverses : retrouver des proches, quitter le pays, accompagner sa famille. »

Ce faisant, le film réussit à donner des voix et des visages à des réfugié·es de guerre qui auraient pu demeurer des silhouettes anonymes et former un grand récit qui documente la tragédie de l'exil forcé. « Le caractère transitoire des scènes laisse deviner un futur incertain et permet dès lors au film d’éviter un écueil récurrent du reportage de guerre : les instants de vie qu’il enregistre demeurent fragmentaires et ne semblent pas gagnés par l’illusion malsaine d’avoir su capter en un regard la totalité d’une histoire » décrypte le critique Lukas Moreau pour Critikat.

Dans sa version originale, Pierre Feuille Pistolet s'intitule In the Rearview - littéralement « dans le rétroviseur » - dispositif qui renvoie aussi bien à la mise en scène de captation de la parole, avec une caméra comme fixée au rétroviseur qui n'est pas sans évoquer Taxi Téhéran de Jafar Panahi ou encore Ten d’Abbas Kiarostami, autant qu'à ce que ces personnes abandonnent derrière elles. Comme ces paysans qui s’inquiètent de ce que vont devenir leurs vaches. Ou plus désarmant, cette petite fille dans les bras de son père qui, elle, a abandonné la parole depuis que la guerre a éclaté.

Le hors champ de la guerre

Les enfants ont une place prépondérantes dans les différentes séquences. Ils s’expriment sans filtre et leur présence vient faire dérailler le récit et le dispositif pour faire parmi les plus belles scènes du film. Comme celle qui donne finalement son titre au film, où l'on peut voir Sofia, 7 ans, emporter chaque partie de « pierre feuille ciseaux » grâce à un pistolet qui est désormais sa réalité. « Peu importe où l’on va. On veut juste mettre les enfants en sécurité » dit ainsi un des personnages et donne ainsi le sentiment clé qui prédomine.

Même si le film se concentre en grande partie sur ce poste d'observation privilégié qu'est la cabine du van, la violence de la guerre reste subtilement omniprésente en arrière-plan : longue trainée de fumée qui traverse le ciel, difficultés d’itinéraire face à des ponts effondrés, champs de mines et champs de ruines, check-points, voitures calcinées ou autres convois sans fin de véhicules militaires affleurent à travers les vitres du véhicule. 

En dirigeant sa caméra sur les passagers arrière, Maciek Hamela accorde son acte humanitaire avec une approche cinématographique humble. Le cinéaste observe avec un profond respect, tout en maintenant une juste distance et atteint son objectif : « réaffirmer notre humanité et créer un sentiment d'appartenance avec ces exilés ». 

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Retrouvez ici un riche entretien du réalisateur publié par Corentin Léotard dans Courrier d'Europe Centrale 

Pierre Feuille Pistolet de Maciek Hamela - 1h25 // Image : Yura Dunay, Wawrzyniec Skoczylas, Marcin Sierakowski, Piotr Grawender // Son : Marcin Lenarczyk, Maciek Hamela // Montage : Piotr Ogiński, Tatyana Chistova // Musique originale : Antoni Komasa-Łazarkiewicz // Production : Affinity Cine et Impakt Film, SaNoSi Productions, 435 Films // Distribution : New Story

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Ce film a reçu le label « Oh my doc ! » créé en 2020 par France Culture, la Cinémathèque du documentaire, l’association Les Écrans, la plateforme Tënk et Mediapart afin de chaque mois soutenir la sortie en salle d’un documentaire remarquable.