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Billet de blog 27 juin 2023

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« How to save a dead friend », portrait d’une jeunesse russe sous Poutine

Muselée par le régime de plus en plus autocratique de la « Fédération de la dépression », Marusya et Kimi filment l'euphorie, l'anxiété et le désespoir de leur jeunesse, brûlant la chandelle par les deux bouts... Capté sur une période de 12 ans, « How to save a dead friend » de Marusya Syroechkovaskaya est un cri du cœur personnel et un message d'une génération réduite au silence. Une histoire d'amour incassable dans un monde destructible qui sort en salle ce 28 juin soutenu par « Oh My Doc ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Trailer | How to Save a Dead Friend | Marusya Syroechkovskaya © visionsdureel

Muselée par le régime de plus en plus autocratique de la « Fédération de la dépression », Marusya, 16 ans, décide de rejoindre les statistiques des suicidé·es de sa génération avant la fin de l'année. C'est alors qu'elle rencontre Kimi et qu'une histoire d'amour inattendue commence entre ces deux millennials pris dans le tourbillon d’un gouvernement oppressif.

Ensemble, Marusya et Kimi filment l'euphorie, l'anxiété et le désespoir de leur jeunesse, brûlant la chandelle par les deux bouts, alimentés par la drogue et la musique. Lorsque la dépendance de Kimi menace de le faire disparaître à jamais, la caméra de Marusya devient sa dernière chance de sauver une partie de son âme fragile.

Capté sur une période de 12 ans, How to save a dead friend est un cri du cœur personnel et un message d'une génération réduite au silence. C'est une histoire d'amour incassable dans un monde destructible.

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Pour quiconque se questionne sur l’état réel de la société russe, How To Save A Dead Friend est un objet fascinant qui répond à autant de questions qu’il en pose. À la fois, journal filmé d’une histoire d’amour au-delà de la mort et plongée sidérante dans la vie de la jeunesse russe au début des années 2000, le film de Marusya Syroechkovoskaya est un documentaire générationnel qui résonne avec le chaos de l’actualité.

Illustration 2

À partir de plus de dix ans d’archives intimistes, la jeune réalisatrice d’origine moscovite tisse en parallèle la chronique d'une mort annoncée et la peinture cafardeuse de la Russie de Poutine. Pour un résultat bouleversant, tragique, plein d'espoir malgré les apparences et surtout, d'une redoutable franchise.

« Comment garder quelqu’un qui fait tout pour disparaître ? »

Le film commence avec l’enterrement de Kimi. Il neige, il fait gris. Le cercueil est scellé, une motte de terre est jetée dans le caveau. Le ciel est blanc, des flocons épais recouvrent le paysage, les murs, les tombes, les rares fleurs, les bâtiments. Archive intime qui commence par ce qui ne saurait être une fin.

Kimi est décédé dans la nuit du 4 novembre 2016. Il n’était pas seulement le mari de Marusya Syroechkovskaya, mais aussi son meilleur ami avec qui elle a traversé le meilleur comme le pire. 

Illustration 3

La réalisatrice se remémore pour AlloCiné : « il abandonnait son avenir, ses rêves, son apparence même... Il s’enfonçait de plus en plus dans l’autodestruction, et c’était difficile pour moi de voir comment la personne que j’aimais tant était en train de s’auto-détruire. Il n’acceptait aucune aide de qui que ce soit, il était impossible de lui faire comprendre, et la seule chose que je pouvais faire était d’être avec lui. Comment garder quelqu’un qui fait tout pour disparaître ? »

« Je voulais être là pour lui, mais toute cette situation me faisait aussi beaucoup de mal. Puis ma caméra m’a apporté la distance dont j’avais besoin, tout semblait irréel. Peut-être que filmer est devenu pour moi ce que la drogue est devenue pour Kimi - une évasion de la réalité, de tout ce qui n’a pas fonctionné pour nous. »

Les images tournées n’avaient pas vocation à devenir un film mais le sont devenues pour conserver la mémoire de l'amour envolé de la cinéaste qui exorcise sa rage par la création musical ou visuel. 

Illustration 4

« J’étais une adolescente déprimée, je n'en avais pas conscience, pas plus que je ne savais exprimer mes sentiments, et la caméra m’aidait tout simplement à me protéger du monde et à trouver un sens dans ce qui m’entourait, elle était comme un bouclier. À travers ce petit œil, les choses paraissaient irréelles, comme si elles se passaient ailleurs » témoigne la réalisatrice au micro d’Antoine Guillot pour l’émission Plan Large sur France Culture

Avec l’aspect disparate des images capturées sur le vif, provenant de caméras différentes, de visuels 3D et de sons provenant de toutes sortes de sources, elle travaille sa matière comme une plasticienne dans un kaléidoscope. Le but inavoué ou inconscient : se préserver.

Illustration 5

« Marusya, a un but au moins, c'est de filmer toute la journée » lâche Kimi alors que lui-même semble petit à petit s'égarer.

« Les couleurs s’atténuent, moins saturées, les coupures s’allongent. Et Kimi disparaît peu à peu dans l’obscurité. Quand vous perdez un proche, quelqu’un qui vous connaissait bien, une partie de votre histoire disparaît avec lui. Il ne reste plus qu’à ramasser les souvenirs restants avant qu'ils ne deviennent de la poussière numérique », confie la cinéaste.

La franchise du propos est sans égal, notamment dans la scène où Kimi s'effondre devant la caméra lors de son cinquième séjour en hôpital psychiatrique : « tout le monde sait que la Russie est pour les dépressifs ». La bande son est rock, que ce soit la musique de Joy Division ou celle que joue Marusya elle-même. Ce romantisme punk imprègne tout le film de notes à la fois nostalgique et électrisante.

Un plaidoyer du mal-être ignoré des jeunes russes

Comme autant de scansion du temps qui passe et qui rythme le film, la sempiternelle cérémonie des vœux du nouvel An... On voit ainsi défiler les présidents russes dans une série d'émissions officielles de la télévision pour délivrer leurs messages à la population.

Illustration 6

Vladimir Poutine lui-même, bien sûr, qui - dans un élan d'ironie devenu encore plus grinçant a posteriori - adresse à la nation ses vœux sur « les valeurs de la gentillesse et de la compassion ». Ou encore, ces images d’aout 2007 où la Russie plante via un robot son drapeau à plus de 4 000 mètres de profondeur dans les eaux de l’arctique sous la banquise pour en prendre symboliquement possession.

Cet arrière-plan densifie et complexifie le propos du film tout comme ces images des manifestations de soutien à Anna Politkovskaïa ou ces défilés de victoires suite au succès de l’équipe de football lors de l’Euro 2008.

Alors que les rêves autoritaires de la Russie s'installent, Marusya et Kimi passent à l'âge adulte. En tournant la caméra sur eux-mêmes, ils capturent une « jeunesse dans le chaos » et tissent un véritable plaidoyer d'un mal-être ignoré. « Timour était mort mais il n’était pas le premier de nos amis à disparaître, Liocha avait sauté d’un toit, Ilia s’était jeté sous une voiture, Natacha avait fait une overdose, Kirill s’était pendu, Stass s’était explosé, Lena avait fait une overdose » dit la cinéaste en voix off, égrenant la liste des des proches disparus. « Les années 2000 se sont évaporées dans une sorte de bad trip ».

Avec tant d’événements qui semblent entachés de désespoir - où l'institution psychiatrique dans laquelle Kimi est enfermé file la métaphore d'un pays, la Russie, duquel on ne peut sortir - l'effet est paradoxalement stimulant et provocateur. Comme dans le travail photographique de Nan Goldin, The Ballad of Sexual Dependency, pendant Américain de la même pièce, Marusya se met au centre d’un monde extrême, avec comme principe actif, l’amour, la beauté, le désir face à ce que les États refusent de comprendre : drogue, violence, mort.

Ce qui empêche le film de sombrer dans un pessimisme absolu, c'est la façon dont se montre le lien durable de tendresse et de confiance entre le jeune couple, même lorsque la vie éreinte… 

Illustration 7

Comme lorsque Marusya effleure sur une tablette une photo de Kimi, et qu'affleure alors une reprise électronique de Love Will Tear Us Apart de Joy Division, hymne personnel du couple, qui ont baptisé leur premier chat Ian en hommage à Ian Curtis, icône tragique aux pensées suicidaires...

Brutal, vif, électrique, le film comporte des moments d'une beauté saisissante « tandis que le monde extérieur, autrefois si séduisant, devient de plus en plus violent... » Pour Laurence Houot, journaliste Culture pour France TV « How to save sonne comme le cri de colère d'une génération qui paie cher le prix d'une transition impossible. Mais il est aussi un cri d'amour, et une démonstration fulgurante de liberté. Celle que s'est autorisée cette jeune réalisatrice en consignant caméra au poing, jour après jour, le journal de sa vie, de son amour, et de son pays, pour en faire un film d'une force exceptionnelle ».

Un film, coup de cœur d’ « Oh my Doc ! » qui ne donne qu’une seule envie une fois la lumière revenue dans la salle : le revoir pour mieux appréhender tous les messages qu’il a à nous délivrer…

Illustration 8

How to save a dead friend  de Marusya Syroechkovaskaya - 1h43min / Montage Qutiba Barhamji / Coproduction Sisyfos Film Production, Docs Vostok & Folk Film / Distributeur : La Vingt-Cinquième Heure / Sortie en salle le 28 juin

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Illustration 9

Ce film a reçu le label “Oh my doc !” créé en 2020 par France Culture, la Cinémathèque du documentaire, l’association Les Écrans, la plateforme Tënk et Mediapart afin de chaque mois soutenir la sortie en salle d’un documentaire remarquable.

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