Eau sainte, Uri Avnery, 29 février 2016, (traduction des extraits par OE)
Il est sorti de nulle part. Littéralement.
Il fallait un nouveau directeur à la tête de la police israélienne. Le mandat du dernier était terminé ; plusieurs hauts officiers sont poursuivis pour violences sexuelles sur la personne de leurs subordonnées et l’un d'entre eux a tenté de se suicider après avoir été accusé de corruption. Le nouveau directeur devait donc venir de l’extérieur.
La décision de Benjamin Netanyahou a étonné tout le monde. Roni Alsheikh ? D’où sortait-il ?
Il ne ressemble pas à un policier, mis à part la moustache. Ses responsabilités passées n’ont absolument rien à voir avec les activités de la police. En fait, il était le directeur adjoint du Shin Beth – le service de sécurité intérieure….Sa lignée, côté paternel, est yéménite, sa mère est marocaine.
Il est le premier chef de la police à porter une kippa. Egalement, le premier qui fut colon. Nous attendions donc tous sa première prise de parole significative. Elle est venue cette semaine et elle concernait les mères qui pleurent leurs enfants.
Le deuil, affirma Alsheikh, est réellement un sentiment juif. Les mères juives pleurent leurs enfants. Les mères « arabes » (les guillemets sont de nous) non. C’est pourquoi elles laissent leurs enfants lancer des pierres à nos soldats, tout en sachant qu’ils tomberont probablement sous les balles.
Cela semble primitif ? Ça l’est parce que c’est primitif. Il est assez effrayant que le nouveau chef de la police, l’homme chargé de faire appliquer la loi et l’ordre, ait de telles idées primitives.
Il y a quelques jours, notre ministre de la Défense, Moshe Yaalon, qui contrôle un empire beaucoup plus vaste, a tenu le même discours. Le deuil arabe ne peut être comparé au deuil juif. Les Juifs, en effet, aiment la vie tandis que les Arabes aiment la mort.
Lorsque nos braves soldats (nos soldats sont braves) sacrifient leur vie pour défendre l’existence de notre nation, les terroristes arabes mènent eux des missions suicides afin d’aller au paradis. Leurs mères les encouragent. Les Arabes sont ainsi.
Tous ces supers patriotes sont trop jeunes pour se souvenir qu’autrefois, en Palestine, les mères juives encourageaient leurs fils et leurs filles à rejoindre les organisations clandestines luttant contre l’occupation britannique (une lutte pour la vie, bien sûr). Les policiers britanniques pensaient sans doute que les mères juives avaient les mêmes motivations – oubliant que, seulement quelques années auparavant, des millions et des millions de chrétiens d’Europe s’étaient enrôlés avec la bénédiction de leurs mères et s’étaient entretués. Pour la vie et la liberté…
(Fin de la partie extraits)
La kippa du nouveau commandant de la police israélienne amène Uri Avnery à rappeler certaines réalités :
- le sionisme est apparu à la fin du 19ème siècle, ses promoteurs étaient athées et ne croyaient pas en un Dieu qui aurait « exilé » les juifs (le premier ministre de la France n’hésite, pourtant, pas tweeter au dîner du CRIF : "il y a aussi la haine d’Israël, l’antisionisme qui n’est qu’un autre synonyme de l’antisémitisme" ;
- du temps de sa propre jeunesse, l’on ne parlait pas « d’état juif » mais « d’état hébreux » ;
- la « miraculeuse victoire » de l’armée israélienne en 1967 et la conquête de l'ensemble du territoire de la Palestine jusqu’au Jourdain, avec tous les lieux saints, ont donné une nouvelle impulsion au sentiment religieux.
Uri Avnery conclut en faisant remarquer : « La religion ainsi ragaillardie est étroitement liée à une idéologie d’extrême droite, ultra-nationaliste, prônant la haine des arabes. C’est la vague sur laquelle, Netanyahou – opportuniste, super nationaliste, non religieux et ne mangeant pas kasher – surfe aujourd’hui. Pratiquement, tous les jours – littéralement – de nouvelles lois et décrets à caractère nationaliste religieux apparaissent ».
Comme exemples récents de cette dérive, Uri Avnery cite :
- le projet de loi stipulant qu’en cas de doute, les juges doivent “consulter” la loi juive, la Halacha, "dont une partie a été élaborée il y a 2500 ans, et qui traite les femmes comme des êtres inférieurs et condamne les homosexuels à la lapidation » ;
- les licenciements d’enseignants réfractaires à l'idéologie dominante ;
- les manœuvres du ministre de l’Education afin de s’assurer que les « agitateurs » nationalistes et religieux aient le plus de représentants possible au sein du prestigieux Conseil de l’enseignement supérieur.
http://zope.gush-shalom.org/home/en/channels/avnery/1456503214/
Uri Avnery, quelques données bibliographiques :
Anticolonialiste, Uri Avnery défend les droits du peuple palestinien. Ecrivain et journaliste, il siégea comme député à la Knesset de 1965 à 1973, puis de 1979 à 1981.En 1993, il créa l’ONG Gush Shalom (Bloc de la paix). Symptomatique du courage et de la détermination de Uri Avnery est l’initiative qu’il prit en juillet 1982, durant la guerre du Liban, de traverser la ligne de front pour rencontrer Yasser Arafat. C'était la première fois qu'un leader de l'OLP rencontrait publiquement un Israélien en vue de discuter d'une résolution du conflit.