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Billet de blog 1 septembre 2024

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« Septembre, sans attendre », la comédie de remariage, théorie et pratique

« Septembre sans attendre » de Jonas Trueba, est ce qu'on pourrait appeler un méta-métafilm, où l'on questionne non plus le cinéma à partir de ses propres moyens, afin de produire de la théorie, mais où l'on questionne (avec humour) la théorie elle-même à partir de ses effets de feed back sur le film.

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Illustration 1
Ale et Alex dans "Septembre, sans attendre" de Jonas Trueba

Septembre, sans attendre de Jonas Trueba, est ce qu'on pourrait appeler un méta-métafilm, où l'on questionne non plus le cinéma à partir de ses propres moyens, afin de produire de la théorie, mais où l'on questionne (avec humour) la théorie elle-même à partir de ses effets de feed back sur le film. Le discours théorique est premier, initial, faire une fête de séparation, "ça ne marche que dans les films" et le récit entier repose sur la manière de dissimuler ce film pour le refonder en une réalité à laquelle croire quand tout le film à voir comme le réel de ces "gens de cinéma" est justement celui que "re-monte" la réalisatrice et dans lequel le spectateur se retrouve à la place du film lui-même, lorsqu'il est regardé et "re-monté" par la réalisatrice du film qu'il est en train de regarder.


Les deux personnages, Ale et Alex (un x de plus pour la femme) persuadés de pouvoir échapper au destin de toute comédie de remariage : se solder par un happy-end et un baiser de remariage "hollywoodien", n'échappent pas à la théorie - ils ne peuvent la séparer du film lui-même, comme W. Benjamin ne peut pas séparer le plaisir de la critique - mais ils n'y échappent pas à leur manière, après avoir entièrement "dé-monté" le genre et "re-monté" les sentiments...


C'est ce qu'il reste au fond, une énergie désirante, inthéorisable, qui est capable de toute reprise au-delà de la conscience et même au-delà de la conscience de la conscience. En bref, après les acrobaties théoriques du film, il reste la présence vivante de deux êtres très bien accordés l'un à l'autre dans le cinéma lui-même, la femme filmant l'homme. Ce sont leurs vidéos privées de vacances, où apparaissent opportunément deux monuments parisiens qui vont eux-mêmes faire peau neuve (Pompidou et Notre dame), qui les réuniront finalement. Et comme le souligne la prof de peinture de Ale, il doit inverser l'image, la mettre à l'envers, pour peindre ce qu'il voit d'Alex et non ce qu'il connaît d'elle, invitation magnifique à laisser de côté le théorique qui hante le regard des experts en image que nous devenons par habitude, pour privilégier la perception subjective. Voir le "ça" sans savoir !


Du film qui parle de lui-même on est passé au film qui parle du film qui parle de lui-même, on avance dans l'histoire du cinéma, il ne s'agit plus seulement de voir ce qu'on peut faire avec le cinéma mais de voir ce qu'on peut faire avec la théorie du cinéma, comment elle nourrit si souvent et si visiblement les films eux-mêmes, aujourd'hui.


Ici, d'ailleurs, par souci d'honnêteté, le genre de la comédie de remariage est directement évoqué par la mise en scène de l'essai de Cavell A la pousuite du bonheur, qui l'a rendu conscient de lui-même et par celui de Kirkegaard sur La reprise, le cinéma de Bergman, devenu théorie de la relation sentimentale, apparaît aussi sous la forme d'un jeu de coaching ludique pour les couples.


Les jeux d'inversion de cadrage, d'association de plans et d'échanges de place, nous amènent à la question du montage (ou "re-montage") qui est, des trois moments d'écriture du film (scénario, tournage, montage) le moment d'une écriture proprement cinématographique... comme le montrent les plans où nous sommes face à la réalisatrice et à son monteur, les regardant agir sur le film... que nous regardons.


Il est aussi intéressant de noter que la théorie est "incarnée" par Fernando Trueba, le père réel de Jonas Trueba, le vrai réalisateur du film, et que ce film qui cherche à s'émanciper de la théorie en renversant le début classique des comédies de remariage ("Ils se retrouvent et font la gueule" étant remplacé par "Ils se séparent et font la fête") finit par être rattrapé par l'éthique réconciliatrice du genre - le "père" d'un film ? - de la comédie de remariage, genre réparateur des séparations entre les sentiments et les idées (principes, pensées...) puisque l'amour comme la comédie ont pour fonction d'assembler des contraires...

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