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Le vrai du faux d'Armel Hostiou est une pépite de cinéma hors piste à petits moyens mais grandes questions. Un film mineur qui soulève des questions majeures, une oeuvre minimaliste aux profondeurs abyssales. S'appuyant sur le principe de la sérendipité, ce méta-documentaire suit le fil de sa propre réalisation sous la forme d'une enquête qui croit savoir ce qu'elle recherche : le lien entre une image et la réalité, et finit par trouver ce qu'elle ne cherchait pas, du moins consciemment : le rapport forcément complexe entre l'Europe post-coloniale et l'Afrique en cours d'émancipation.
On est au Congo, ex-colonie belge, le français qui est presque la langue exclusive du film, est celle de l'ancien colonisateur, elle est en soi une trace de ce rapport qu'on reconnaît occasionnellement à la manière de prononcer les "huit", et le cinéaste, candide, baigne dans cette brume post-coloniale qui opacifie les relations humaines sans les condamner... au faux.
Ce film monté comme une lubie soudaine, est pour le spectateur comme pour le cinéaste en amont, un laboratoire clandestin (ou tout au moins discret) où les interrogations sur la vérité des représentations s'intègrent à celles qui portent sur le rapport post-colonial. Et c'est l'histoire d'une dépossession collective vécue à l'échelle d'un petit Narcisse parisien parti à la recherche de son image perdue dans Kinshasa, personnage candide que le cinéaste incarne avec humour et distance.
ça démarre vite, Armel Hostiou découvre sur Facebook un faux profil à son nom, localisé à Kinshasa, avec des photos de lui et une ribambelle de jeunes actrices virtuelles dans sa liste d'ami(e)s. Seul possesseur de son image et de son nom, du moins le croit-il, le cinéaste demande la fermeture de ce "faux" compte. Facebook refuse, ce compte lui semble "vrai". Le vrai (cinéaste) du faux (compte) se met en branle et part pour Kinshasa.
Commence alors une errance cinématographique qui peine à constituer un film mais réussit à intriguer le spectateur. La mégalopole africaine est tumultueuse, nocturne, encombrée, les hôtes d'Hostiou, un couple de jeunes qui tient une résidence pour artistes, sont eux aussi intrigants, Peter est passionné, étrangement passionné, par cette histoire et Sarah, ironique, demande à Armel Hostiou le vrai s'il n'est pas le faux. Sont-ils des comédiens payés par le cinéaste ? De vraies personnes ? Ce sont en tout cas des personnages.
De tentative en tentative, sans qu'on sache exactement ce que le film cherche vraiment et avec le sentiment qu'il peut rompre à tout moment, devenir un film de vacances ou plonger dans le vide de l'abandon, Armel Hostiou crée des îlots de fiction dans son documentaire, en mettant en place d'abord une fausse projection de son film le plus connu à ce jour, Une histoire américaine, (fausse parce que ne visant qu'à attirer l'imposteur) et ensuite un faux casting.
C'est alors que le véritable objet de la recherche apparaît. Pour ce faux casting le cinéaste a la bonne idée de demander aux jeunes femmes convoquées de raconter deux histoires, une vraie et une fausse, sans lui indiquer le vrai du faux. Trois récits face à la caméra arrivent alors dans ce film devenu fiction documentaire et charrient les blessures de ces femmes congolaises, domination masculine et perte d'identité, larmes et traumas venant poinçonner certains récits du sceau du réel. Mais le vrai sort peut-être du faux, on ne le saura jamais. Cette petite fenêtre sur les dégâts du rapport de domination se referme trop vite, mais on entrevoit le sujet. Ensuite le cinéaste décidément bien épaulé par ses hôtes va atteindre l'imposteur grâce à une troisième mise en scène ; Sarah se présente au faux Armel Hostiou comme une jeune actrice à la fois attirée par lui et désireuse de faire du cinéma. Le piège fonctionne.
Le film devient alors fascinant car Hostiou s'en laisse déposséder par le jeune homme, mi-voyou mi-artiste, qu'il arrive à approcher, doit payer pour une interview, suivre jusqu'à sa maison familiale dans la brousse, avec lequel il participe aussi à un rituel et dont il apprend beaucoup sur son propre rapport à l'exotisme.
Cromix Onana Genda Cristo, c'est son nom, est un vrai personnage de film de rue, drôle, piquant, gouailleur, organisé dans la débrouille et fin orateur, il est rappeur et guide Hostiou dans le labyrinthe des faux semblants culturels. Il a manifestement une connaissance de la domination et du mensonge bien plus fine et expérimentée que l'expérimentateur qui dirige la caméra qui les filme et, c'est vrai, joue habilement au candide pour faire sortir la vérité et suivre son objectif... sortir de ce film-voyage d'une manière honorable.
Semblant quêter la fermeture de ce faux compte, ce que seul Cromix (ou ses amis hackers) peut effectuer, il découvre une économie parasite, inversion du rapport de force nord-sud, dans laquelle "Armel Hostiou", son être social, est un produit d'appel, rangé dans la catégorie des "jeunes cinéastes" (il a tout de même 46 ans). Il sert manifestement de figure au créneau marketing "cinéma d'auteur français" mais d'après Cromix n'est pas le meilleur produit dans leur cheptel.
A la suite du cinéaste (le vrai), on ne considère plus tout à fait Cromix comme un imposteur mais on le voit comme un recycleur de notoriété dans une économie de la seconde main à laquelle est habituée l'ancienne colonie belge. Faussement naïf, il explique qu'il fait "rêver" les jeunes femmes qui veulent faire du cinéma et leur demande 10 dollars pour les inscrire au casting du film d'Armel Hostiou, qui ne sera jamais réalisé. C'est le prix d'une place de cinéma pour un rêve peut-être plus crédible et plus concret (plus vrai parce que dans le réel ?) que celui que propose le vrai cinéaste dans son économie. Et il ne vend pas de pop-corn au prix des huîtres.
L'arnaque est cruelle mais Hostiou ne la juge pas, il ne vise pas la justice mais ce que lui procurera cette rencontre et la possession exclusive de son identité numérique, nom et photo et ce qu'il a trouvé, cette économie brumeuse sur les mythes du rêve européen, de la notoriété, de l'imaginaire, est à voir comme une sorte d'imitation en mode mineur de la société du spectacle européenne.
Hostiou organise même un vrai-faux casting avec Cromix à partir de l'idée encore vague de faire un vrai film, peut-être pour réparer et faire mentir le menteur, sûrement pour expérimenter la chose, et il filme les candidates qui le reconnaissent derrière la caméra. Cromix nie alors, continue à certifier devant ses "clientes" incrédules, que le filmeur blanc n'est pas Hostiou, tenant tête à la réalité.
Débusqué, le cinéaste s'arrête alors, net, il sait qu'il n'y aura pas de film derrière ce casting, y a t il cru ? S'est-il laissé emporter par les séductions du virtuel ? En tout cas, devant le regard caméra des jeunes filles qui le reconnaissent puisque c'est sa propre image qui figure sur le faux compte, il ne peut plus participer à ce qui apparaît comme une escroquerie, une limite éthique est atteinte, il se réapproprie son identité.
Comment sortir de ce film à pièges narcissiques (pour lui comme pour les jeunes femmes venues au casting) ? Hostiou, réalisateur de clips et cinéaste expérimental, filme alors le meilleur côté de Cromix, le rameur, dans un clip final où la parole du rappeur donne une clé d'interprétation au film et le fait retomber sur ses pattes et tenir debout.