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Billet de blog 12 avril 2015

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Avec Game of Thrones, le gouvernement se prend les pieds dans le tapis

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Apparu sur le site très officiel Gouvernement.fr à partir de liens lancés dans les réseaux sociaux depuis des comptes du SIG (Service d'Information du Gouvernement), ce matin, une présentation de six pôles des réformes gouvernementales sous l'aspect d'un avis aux familles nobles des sept royaumes tout droit sorti de Game of Thrones. La série propose une allégorie médiévale aux nombreux échos dans la vie politique contemporaine, sorte de Prince machiavelien audiovisuel, la réalité lui donne un blanc seing en validant sa vision.

L'évocation de Game of Thrones n'est pas directe (question de droits, il aurait été difficile de faire la promotion de l'austérité en dépensant des fortunes aussi futilement ! ) mais la référence aux sept royaumes et le recours à une imagerie médiévale de carnaval paraissent suffisants pour créer l'association dans l'esprit des visiteurs.

Sa première réaction est peut-être de considérer qu'il s'agit d'un site parodique ou d'un hacking. Le front de gauche ? des fans ? Une intersyndicale ? De simples farceurs ? C'est trop gros pour être vrai...

Mais en cliquant sur chacun des articles, le visiteur s'aperçoit qu'il atterrit sur une page tout à fait classique, dans l'esthétique à la fois accueillante et officielle qui sied aux sites gouvernementaux. La réforme évoquée en première page sur le parchemin médiéval y est détaillée de manière sérieuse.

1) Portail : Article II

site "Gouvernement.fr" portail (capture du 12 avril 2015)

2) page liée à l'article :

Site "Gouvernement.fr" (page liée à l'article 2 du portail) 12 avril 2015

1) Portail Article I

Site "Gouvernement.fr" (portail) 12 avril 2015

2) page liée à l'article

Site "Gouvernement.fr" (page liée au portail) 12 avril 2015

Le dispositif semble donc officiel, il s'agit d'un coup de communication visant à créer le buzz. Un article du Parisien.fr donne la parole à son grand chambellan Christian Gravel, le directeur du SIG. « Nous avons depuis plusieurs mois une stratégie offensive autour du web social avec des références à la culture populaire qui permettent de bénéficier de leur aura» Il ajoute : «Mon équipe connaît tous les codes de la série. Je leur ai donné carte blanche afin d'amplifier la portée de notre message vers de nouveaux citoyens. En en plus cela ne coûte pas plus cher car c'est réalisé en interne.»

Cependant cette démarche n'est pas totalement assumée puisque cette page n'apparaît qu'à partir de liens extérieurs et qu'elle est introuvable pour celui qui vient de bonne foi sur le site pour s'informer des faits et gestes de Manuel Valls (vraie destination du site). Cette page n'est donc qu'un masque de carnaval destiné aux complices des auteurs, plutôt jeunes et souvent sur les réseaux sociaux...

Sur un sujet aussi épineux et chaud en ce moment puisque la loi Macron, un des fers de lance des réformes, a été vivement contestée dans la rue, par la plèbe, jeudi dernier, la démarche a tout de la diablerie, voire de la provocation. Alors qu'il prétend jouer sur les codes de la culture populaire pour se rapprocher du peuple et défendre la politique gouvernementale en l'associant à un succès mondial, le SIG ne fait que dévoiler une posture plutôt cynique. La réforme qui va demander tant d'efforts n'est qu'une décision du Prince, un acte politique féodal, ou mieux encore sa forme spectaculaire, du carnaval décidé d'en haut et qui passera bien dans cet emballage démagogique... Les réformes ? Faites-leur croire que c'est aussi cool que GoT, ils ne diront rien !

La référence à cette série nous suggère que la politique est une suite de violences, de ruses et de trahisons mises en scène pour l'agrément d'un public qui ne demande que du pain et des jeux. C'est du cinéma.

Se produit alors un effet qui n'est pas éloigné de celui que provoquait l'acte manqué des enfoirés, il y a quelques semaines. Le geste qui apparaît sérieux et direct aux yeux des sujets énonciateurs change de nature en rencontrant ses énonciataires. Une césure se laisse percevoir dans le cadre de référence utile à son interprétation. Le geste paternaliste et quelque peu démagogique se retourne en autoparodie, en acte manqué ou en lapsus. En aveu. Cynique ou candide ? C'est à chacun d'en décider.

 Et puisque la réalité dépasse l'allégorie, la référence au contexte médiéval semble être un témoignage d'un retour au Moyen-Age dans les rapports de force au sein du monde économique. Que cela se produise pour faire la promotion d'un florilège des "réformes" qui se terminent par un geste de charité n'est pas anodin. L'entrée en piste des Le Pen à un rang élevé du monde médiatique ainsi que l'expérience du vocabulaire de Nicolas Sarkozy ne sont pas étrangères à cette reconfiguration de la représentation du  politique. La violence est devenue banale, tout comme l'ambition démesurée et le clanisme.

Au-delà de la parodie graphique, ce qui est insupportable, c'est aussi la rhétorique médiévale utilisée par le SIG pour annoncer les réformes dans les articles du parchemin :

Les départements sont des "Fiefs", les élus locaux des "seigneurs" et des "vassaux", les régions des "provinces", les cocktails des conseils régionaux sont des "banquets somptueux", le "royaume" endetté est dépendant de "riches créanciers", mais le coeur du problème n'est pas atteint par cette dérision lexicale, les éléments de langages se font modernes quand il s'agit de parler de l'essentiel, il faut donc "renouer avec le sérieux budgétaire, sans verser dans l'austérité" ... pas très médiéval !

En tout cas, la déshérence d'une partie de la jeunesse est un thème assez drôle pour inspirer l'espièglerie des webmasters branchés du SIG : "Jouvençal perdu, avenir sans issu"

site "Gouvernement.fr" 12 avril 2015

A vrai dire, il faut reconnaître à ces communicants hors pair une habileté rare pour synthétiser en un seul geste une bonne partie des problèmes du monde politique actuel. Il est bien souvent une parodie de politique au service d'un vrai pouvoir économique qui ne demande qu'à se divertir un peu.

Comme disait Mel Brooks en Louis XVI dans La folle histoire du monde :

"Quoi le peuple ? mais je l'aime le peuple !" Pool ! 

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