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Billet de blog 17 mai 2023

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« Sur l'Adamant » un documentaire au « participe présent »

Dans son film « Sur l'Adamant », Nicolas Philibert suit le quotidien d'un centre d'accueil psychiatrique de jour situé dans un bâtiment flottant sur la Seine à Paris. Approchant la folie à travers ce qu'en disent les sujets eux-mêmes, il suit de près les activités créatives et les témoignages de patients qui nous mettent très naturellement sur les traces d'une humanité fragile et profonde.

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Illustration 1
Une patiente commente une toile dans "Sur l'Adamant"

Le film de Nicolas Philibert sur le quotidien d'un lieu d'accueil de jour psychiatrique, installé sur une "péniche" à Paris, est une bulle de fraîcheur humaine au milieu du fleuve gestionnaire qui nous submerge mais assèche le monde.

L'Adamant est un espace réel et une embarcation cinématographique sur le pont de laquelle les êtres filmés sont des "comédiens qui ne le savent même pas" comme le dit un patient (ils sont pourtant sur la Seine). Ils sont aux prises avec les profondeurs de l'âme humaine et, nous en offrant crument les paysages invisibles, ils ne semblent pas jouer à l'être. Ils le sont. C'est là, devant leurs regards et par conduction subjective du film, devant les nôtres. Leurs voix, leurs chairs, leurs attitudes, ne sont prises dans aucune des conventions du théâtre social, ils semblent être tout simplement eux-mêmes, singuliers, dans leurs formes, ce qui est à la fois un miracle et une malédiction.

La caméra de Nicolas Philibert, très tôt débusqué par une patiente à l'humour cash, qui s'inquiète du poids de son matériel, se tient, honnête et discrète, à la disposition des désirs et des peurs des patients, dont la folie est toujours admirable. Admirable de courage devant leur étrangeté, admirable de distance instaurée d'abord par des médicaments efficaces et ensuite par leur parole elle-même, vécue intensément comme une source de formules salvatrices et souvent poétiques. Admirable aussi de créativité subjective.

Il y a la douleur certes, mais il y a surtout la poésie, le dessin, la chanson, le récit et ... le calcul des recettes du café co-géré par les patients et les soignants, qui ne tombe jamais juste, il manque toujours quelque chose, mais qui permet de sentir au plus près la butée du réel de ce monde marchand. Le pari thérapeutique et surtout l'ambition humaniste du lieu tient dans ces différentes façons de donner des formes personnelles, subjectives, à partir des modes d'expressions artistiques, des contenants formels, mis à la disposition des trop-pleins et des débords informes qui les déchirent parfois et les déforment souvent. La première séquence où François G., chante la bombe humaine au bord de l'explosion, mais au bord seulement, est à ce titre une épigraphe visuelle très claire. Sur l'damant, on donne forme social au délire, à la souffrance psychique, aux pulsions mortifères, on d'efface pas le trouble, on le rend sociable dans un monde flottant. 

L'Adamant est un lieu d'expression formelle, bien encadré par des soignants solides, mais ouvert à la parole libre et à la conflictualité, où une vraie vie d'atelier artistique, avec ses réussites, ses déceptions et ses échecs, peut avoir lieu et contenir ce qui fuit de l'intérieur, comme le fait le film lui-même, très structuré et "calme", qui semble avoir trouvé dans cette forme d'attention discrète, le moyen d'aller au contact du plus profond des êtres humains filmés, témoins pour l'humanité de ce que nous sommes tous en vérité.

Loin des films de Depardon sur le même thème, plus "extérieurs" et phénoménaux, moins relationnels, qui cherchaient souvent le moment fort (avec honnêteté, talent et modestie, certes, mais sans cette profondeur), l'approche est ici douce et chaleureuse, valorisante pour les sujets filmés qui sont dans le film des sujets parlants plus que des corps regardés.

Garder cette relation verbale, ses paroles incluses dans des pratiques culturelles qui permettent aux sujets humains que sont d'abord les fous, de vivre, tout simplement, des moments subjectifs, heureux, drôles et intensément vivants, en marge des hôpitaux victimes de la logique gestionnaire, c'est ce que font à la fois ce lieu et ce film, qui caressent la folie dans le sens du poil mais sans jamais la flatter ni se flatter soi-même, et nous donnent à voir que ces fous sont les gardiens de notre humanité, la mesure de notre fragilité universelle. Ils lancent un défi à nos consciences dans ce monde où règne l'utilitarisme néolibéral, la pire des folies.

"Sur l'Adamant" ... on l'entend finalement comme un "participe présent" ... il nous aide à redevenir Adam...

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