Il faut voir le dernier Tarantino ! Le gratuit du matin me le rappelle avec force alors que je prends ma place dans le traffic, Interview du fan-cinéaste à la clé ! Télérama, fleuron de la culture de référence, vade mecum des salles des profs, s’en prend à mon surmoi professionnel, Libé, avec son “Magistral” passe par ma conscience de cinéphile de gauche, et je ne parle pas des injonctions amicales “T’as vu le dernier Tarantino ?” qu’on m’adresse comme s’il s’agissait d’un devoir… C’est l’objet visuel de type cinématographique dont il s’agit de parler actuellement… on passera à un autre ultérieurement, mais un Tarantino nouveau c’est conçu comme le Beaujolais… plus qu’un simple lancement de produit sur un marché, c’est un événement “culturel”… Tu aimes le cinéma, tu t’y intéresses, tu dois voir le film de celui qui est comme toi, un fan… C’est ton film, le film fait pour le seul plaisir immédiat… Pour le plaisir des yeux … la base de la cinéphilie… base sur laquelle il s’agit de rester campé… sans céder sur son plaisir… sans non plus élaborer une partition nouvelle… Tout le monde voit comme un trait de génie cet art de revisiter des genres, voire des oeuvres mineures… Moi j’y vois une incapacité à produire… ce n’est pas un reproche, l’art d’accomoder les restes est un art vivant et souvent très inventif… pourquoi se prendre pour un artiste quand on fait du karaoké ?
Son cinéma est un cinéma de fans pour les fans… il épuise l’analyse … Pas d’autre posture possible que celle du simple plaisir visuel de la mise en scène. Tarantino est le maître, il propose, le monde dispose, ou s’indispose, mais ne peut échapper à sa griffe… il est l’aune à laquelle les autres films de ce début d’année seront jugés… Hollywood a un artiste “romantique-rock”, et cet artiste “romantique-rock” ressemble tellement à ce qu’on aimerait conserver de l’image égotique et parfois cynique de la figure phare des industries culturelles américaines qu’il faut le maintenir au centre … D’ailleurs il a ressuscité Travolta… et il crie Vive le cinéma ! comme s’il s’agissait d’un courant Révolutionnaire…
Il dérangerait l’estabishment… ce serait un franc-tireur… il donnerait le la du cinéma contemporain ! Diantre ! Saperlipopette ! Fichtre !
Il serait le plus créatif… Spielberg va encore servir son plat humanisto-commercial habituel, Coppola s’égare dans la tête des écrivains, Scorcese fait du genre à la chaîne, Tim Burton est Tim Burton, Hollywood ronronne et fait le dos rond quand un beau français vient lui apporter ses croquettes, ses claquettes préférées, celles qui ne font aucun bruit, ne dérèglent pas les sonotones, et qu’il sourit à tout va comme un chantre de village… mais heureusement, Tarantino veille, crée, invente, propose, réveille son auditoire ventripotent… il place son film et tout doit se positionner autour de lui, Esclavagiste sort de ton trou ! pan-pan, t’es mort ! Ta cervelle s’étale sous mes bottes, ça glisse… zut ! Le western spaghetti sauvera Hollywood ! Le Spartacus des vidéo-clubs a sonné la révolte… La violence Oui ! Mais au service d’une cause éthique… Même si le mot ethique y ressemble trop au mot ethnique… Le cycle des victimes, après les juifs, les noirs américains, il reste les indiens ou les Mayas… pas les ouvriers… ni les victimes des subprimes, faut pas pousser… C’est au choix “l’enfant terrible”, le “bad boy”, le “surdoué”, il est magistral, virtuose, grandiose… il te revisite les genres mineurs et leur donne des lettres de noblesse avec maestria… en trois coup de cuiller à pot ! Après tout on est tous des films libres ! Tous pareils ! Série Z ou superproduction…
Mais non, comme Django, je m’émancipe, je n’y vais pas, après une tentative ratée, j’envisage mon désir, il est tout petit, plein de contraintes et d’obligation… il se rassure un peu en se disant qu’il va prendre ce fameux plaisir des yeux, devant la virtuosité, mais celui de l’esprit risque d’être si mince que mon désir soupire… A quoi bon ? Je veux écrire sur Tarantino, il me faut en passer par son film. C’est tout.
Ben non !
Pas cette fois, je cale ! Je n’entendrai pas le doux cliquetis des gouttelettes de sang projetées sur la fleur de coton blanc… De toute façon, je sais que je le verrais un jour, c’est obligatoire… on voit les films de Tarantino, ils ont acquis un tel niveau de notoriété qu’il est impossible de ne pas les voir… même par hasard, sans le vouloir… ils passent et repassent sous nos yeux comme un chat qui cherche une caresse…
Tarantino c’est l’affect à l’état pur, il griffe, il tord, il déforme mais il aime, ce qu’il fait au cinéma, au cinéma des pauvres et des déclassés, c’est par amour du cinéma qu’il le fait… Au temps des cinéastes cinéphiles qui élaboraient un discours critique sur le fond d’amour qu’ils éprouvaient pour le “7 ème art”, et passaient à l’acte ensuite en inventant ou en exprimant (si on préfère l’expressivité à l’inventivité) leur propre propos au-delà d’une esthétique, Tarantino, lui, a inauguré le temps des fans, fondé sur le seul plaisir des yeux… et l’imitation… voire la mastication… C’est une cinéphilie de fan, de jouisseur, de pur esthète… du karaoké visuel… Il a beau ajouter un grain de politique, une motivation ethnique à la traditionnelle vengeance comme ressort narratif, le fan parle au fan… en fan… tète mon grand c’est du bon sang de méchant… et surtout ne te prends pas la tête… tète… je prends le micro pour que tu chantes à ton tour !
Depuis Reservoir Dogs, où il était au sommet de son art, installé dans un genre qu’il ne détournait pas à son seul profit, Tarantino ne cesse de répéter, de sketch violent en sketch drôle, dans un mouvement d’avant en arrière qui interdit toute évolution profonde… des cycles virtuoses, des boucles, des jeux, des figures… une mastication du téton prodigue des films de niches oubliés, mais pas de vrai récit où l’on retrouverait quelque chose du monde dont il nous parlerait… Dans une discussion nourrie avec Jonathan Nossiter sur sa page Facebook, un grand critique et cinéaste qui appartient à la génération des cinéphiles en salles, déclare, avant de voir Django : “Ce que cherche T c’est un bien-dire cinématographique. Il ne se soucie que de ça, d’être fidèle à ce qu’il a pris de ce qui l’a fait jouir dans ce cinéma trash et bas de gamme dont il est abreuvé, mais moi je trouve que c’est ça la vraie cinéphilie et puis, c’est sans doute un sale gosse et mal embouché, que la coke rend en plus un peu parano, possible (je n’en sais rien), mais il n’a jamais fait un film formaté: il a imposé son format.” Jonathan Nossiter qui avait initié la discussion en dénonçant le cynisme de Tarantino, lui répond : “Ensuite, tu parles de “la vraie cinéphilie” chez lui ? Mouais….la regurgitation de listes et de citations, sans critères et sans distinctions morales, anticipe le net dans son indifférence entre l’utile et l’inutile, le “rempli” et le vide. Ceci est tellement post moderne que je me réfugie dans les cavernes antiques où du moins, une ombre est une ombre.”
Cette évocation de la cinéphilie et du plaisir est l’argument réccurrent chez tous ceux qui en parlent, bien embêtés d’en tirer quelque chose à partager, les journalistes et les critiques, subjugués, se contentent souvent d’évoquer sa virtuosité qui a elle seule emporte l’adhésion… Comme le montre de manière emblématique cette remarque promotionnelle de Jean-Marie Pottier sur Slate.fr : “Mais heureusement, Django Unchained n’est pas qu’un prétexte à dissertations politiques: comme les films précédents de Tarantino, c’est aussi un immense plaisir de mise en scène, nourri comme toujours de nombreuses références. Un acte de croyance dans le cinéma, ce médium qui, dans Inglourious Basterds, pouvait tuer Hitler, et ici dans Django Unchained, peut libérer un esclave de ses oppresseurs.”
Un cinéma karaoké, qui peut avoir son intérêt, certes, mais qui se place paradoxalement comme un acte de création, selon les principes romantiques de l’art, alors qu’il en est plutôt l’exact inverse, ou plutôt le successeur, acte d’expression pure, sur les bases exogènes d’une autre oeuvre, Tarantino joue sur les deux tableaux… il soigne son marketing d’artiste maudit (pas par ses banquiers) tout en servant ce qui se fait de plus karaoké… Il enjoint, se sert de l’autorité culturelle du métadiscours apparent pour se doter des lettres de recommandations des institutions culturelles, et il propose aussi un pur plaisir visuel de la citation, voire du plagiat (imitation) qui est le propre du Karaoké…
Au retour du film, le cinéaste et critique reprenait, finalement, laissant le dernier mot (provisoire) du débat à l’inventeur Nossiter : “Après avoir vu Django Unchained, je récuse tout ce que j’ai dit plus haut. Il y a bien quelque chose de pourri au royaume de Tarantino. Et ça marche de moins en moins bien.”
Alors, répondre ou non à l’injonction Tarantino ?