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L'un, Manitas Del Monte, passe de l'incarnation patriarcale la plus terrible, le chef de cartel sanguinaire, à la figure de la sainteté au féminin, tout en cherchant à rester le père (secret) de ses enfants.
Il transforme son corps, d'homme en femme, s'appuyant sur la physiologie pour changer d'identité ; de Manitas, elle devient Emilia "PERE"Z (c'est bien un film français et ce patronyme n'est pas anodin dans la langue du réalisateur) et se fait la porte-voix (cf premier plan du film) et la "réparatrice" de ses propres victimes (des victimes des Cartels et, on le comprend, de la violence masculine) mais elle ne peut renoncer à vivre avec ses enfants, elle devient leur tante, mais se comporte comme un père avec eux, eux qui sentent son odeur de "papa" sans pouvoir imaginer que c'est "lui".
Elle ira jusqu'à retrouver en "lui", Manitas, la violence que son statut de femme à elle et sa transformation physique, avaient sublimée en empathie sincère...
L'autre, Aymeric, père de circonstance, devient pleinement le père de Jim, parce qu'il était avec sa mère "au moment où il est sorti" et, bien que ne voulant pas d'enfant, il reste auprès de ce petit garçon dont le père (celui de la petite graine) n'a pas voulu. Plus tard, ce dernier, Chris, devenu veuf et orphelin de ses deux filles officielles, revient auprès de Jim sans pouvoir vraiment établir le lien paternel que légitimeraient la physiologie et l'hérédité.
Le vrai père est celui que reconnaît l'enfant et Aymeric reste "The first father", titre de la chanson qu'écrit Jim adolescent, même si une manipulation de sa mère a érigé le père Biologique en seul père digne de se dire celui de Jim.

Deux films très différents et pourtant cousins, sur les remaniements culturels actuels de la fonction paternelle et la part du corps (de la physiologie) dans les identifications au père et du père.
"Emilia Perez" de Jacques Audiard, une allégorie peu psychologique mais virtuose et superbe, esthétiquement, où la musique transcende la réalité matérielle (une transe musicale joyeuse à la Jacques Demy, qui re-joue la traversée de Manitas vers Emilia ?) et l'adaptation du livre de Pierric Bailly, "Le roman de Jim", un récit naturaliste très finement mis en scène par les frères Larrieu, bouleversant et profondément ancré dans une réalité psychique à laquelle nous relie la photographie argentique, la plus physiologique des images.
Dans le premier film, le père, malgré sa transformation "en sainte" reste tyrannique et potentiellement violent parce qu'il ne peut pas révéler à ses enfants qu'il est devenu une femme (pourquoi ne pas avoir abordé cet aspect de la situation ? certes l'ex-criminel doit se cacher mais on est dans une allégorie peu réaliste et ce sont ses enfants... il y avait là une matière psychologique intéressante que la trame du thriller semble avoir condamnée), dans l'autre, il est devenu trop "saint" et laisse piteusement la maman de Jim faire croire à ce dernier qu'il l'a abandonné, afin de lui permettre d'accepter son père biologique comme père symbolique.
Dans les deux films les enfants vivent dans un monde faussé par l'incapacité des pères à leur dire la vérité sur leur lien paternel. L'un le vit secrètement l'autre accepte placidement son éviction...
Le premier, jaloux de son statut, et pas assez généreux ou honnête, en meurt, le second, en prenant conscience de la prééminence de la relation sur le statut (physiologique), en renaît.
Entre possession et dépossession, absence et présence, statut et relation, la fonction paternelle apparaît dans sa recherche d'un nouvel équilibre.