Petite histoire de la résidence Karibu
Ceci est l’histoire d’une coopération réussie puis bloquée entre une administration locale et une initiative individuelle au service de la lutte contre les exclusions.
En 1985, la direction Départementale de l’action sanitaire et sociale (DDASS) d’un département de la petite couronne parisienne, responsable de la mise en œuvre du dispositif d’hébergement et d’insertion cherchait sans succès des porteurs de projet pour mettre en œuvre le tout nouveau programme « précarité pauvreté » initié par Laurent Fabius.
J’avais ouvert, à l’époque, mon domicile à de grands marginaux et vivais en habitat partagé avec eux depuis 10 ans. C’était un choix spirituel et philosophique. Mes « colocataires » étaient recrutés par petites annonces ou par cooptation. Ils s’engageaient à régler un loyer mais dans les faits se contentaient de versements sporadiques. A l’époque il n’y avait pas de RSA et la crise du logement était là, les gens avaient faim. Sans financements nos moyens de survie étaient réduits. Nous habitions à deux par chambre, chauffions au 1er décembre et prenions des repas ensemble composés essentiellement de légumes et salades.
La vie au sein de notre communauté d’habitat partagé réservait de nombreuses surprises. Certains résidents se nourrissaient de champignons, d’escargots, de pissenlits récoltés le long des voies ferrées ou de la collecte des légumes à la fermeture des marchés, un résident tenta de lancer un commerce ambulant de sandwich qui tourna court après avoir été chassé par la police, nous occupions un troisième en lui faisant fondre du goudron sur le toit pour augmenter l’étanchéité de notre terrasse. Cela dégagea une forte fumée noire qui mobilisa nos voisins et le chantier dut être interrompu L’un d’eux était représentant d’une société vendant du matériel militaire américain déclassifié aux ambassades. Il était payé au pourcentage des contrats qui ne se concluaient jamais. C’était surtout des souffrants qui ne trouvaient pas leurs places dans la société. Deux cents personnes défilèrent ainsi pour des périodes variables de quelques semaines à plusieurs années. Notre accueil bénéficiait cependant d’un bon soutien de nos voisins arméniens qui nous avaient pris en sympathie. Certains étaient apparentés au groupe Manoukian. Nous avions fait des émules et une amie prit à sa charge quelque unes de nos pensionnaires.
Le bâtiment était construit de façon précaire et finit par devenir insalubre ce qui nous poussait vers la sortie.
L’administration qui nous rencontra fortuitement, cherchait à écouler ses crédits et nous à relancer un nouveau projet de vie. Elle ne se contenta pas de nous financer elle mobilisa les contributeurs 1% migrants, Anah, collectivités, Etat dont les crédits Fabius, nous trouva une entreprise d’insertion qui fut désignée comme maitre d’œuvre. Cet engagement de tous dans un projet hors norme était dans l’air du temps encore sous l’influence de mai 68 et de l’arrivée de la gauche au pouvoir. Fut alors engagée une réhabilitation complète avec extension, qui nous permit de créer une résidence sociale accompagnée de travailleurs sociaux.

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L’accord du propriétaire de l’époque, un particulier belge généreux, membre de la mouvance Emmaüs, fut obtenu facilement. Ainsi était né l’un des tous premiers baux à réhabilitation de France qui sera institué plus tard par la loi Besson en 1990.
La première étape de ce parcours résidentiel avait été totalement informelle, la deuxième se structurait autour de travailleurs sociaux, d’une petite association et d’un conventionnement avec l’Etat.
En l’an 2000, le propriétaire privé souhaita vendre son bien et un remplaçant lui fut trouvé : un bailleur social associatif membre de la mouvance Emmaüs avec qui l’entente fut parfaite, du moins dans un premier temps.
Il aurait été logique d’acheter le pavillon, approche habituelle d’Emmaüs. Mais cumuler la gestion quotidienne et la maitrise d’une opération immobilière à long terme était une tâche trop lourde pour nous, elle correspondait à des métiers différents et demandait une disponibilité et des moyens financiers et humains dont nous ne disposions pas.
Apres la rencontre providentielle avec l’administration de 1986, était venu le temps des épreuves. Le nouveau propriétaire changea son fusil d’épaule en 2016. Il décidât de mettre fin à cette expérience pour reprendre le bien en gestion directe au nom de la nécessaire réhabilitation d’un bâtiment vieux de 30 ans mais surtout, me semble-t-il pour améliorer son ratio de fonds propres, bien nécessaire pour investir, ce que nous comprenons parfaitement.
Nous avons alors vécu une longue période difficile de conflit, qui témoigne malheureusement de la difficulté de concilier les logiques financières, d’un investisseur, fût-il bailleur social et les logiques d’animation et de développement personnel des locataires que je portais.
Nous avons failli disparaître notre subvention nous ayant été supprimées sous la pression de notre bailleur. Heureusement nous avons reçu de très nombreux soutiens tant de la part de hauts fonctionnaires qui s’intéressaient à ce que nous portions, que de nos voisins, de la municipalité…J’ai été très touché par le nombre et plus encore par la diversité de nos soutiens, de grands responsables, comme des personnes les plus humbles. Aujourd’hui les dons des amis, le soutien des partenaires et tout récemment du Conseil Départemental, compensent le fait que nous n’ayons pas récupéré nos droits.
Cette mise à l’épreuve, destinée à nous briser, nous a cependant permis de repenser notre modèle, à renforcer nos convictions, à élargir nos réseaux. L’habitat partagé est certes très minoritaire en France, quelques centaines de structures, mais est fortement développé à l’étranger, en Belgique, en Suisse, en Suède, en Allemagne. La coopération et l’alliance entre acteurs ne répond pas tant a des motifs quantitatifs de construction qui restent prioritaires qu’a des enjeux qualitatifs civiques, citoyens et humanistes essentiels pour mieux vivre ensemble. L’accompagnement des publics mérite un vrai investissement conceptuel, permettre a des adultes malmenés par la vie de redevenir des acteurs de leur vie, renforcer la compréhension du bien commun si peu comprise chez les migrants ou cette notion n’existe pas dans leurs pays. Concevoir un soutien et un accompagnement reformulé dans une forme de réciprocité dans l’échange sont des objectifs essentiels à promouvoir.
La réussite d’une politique publique se fait à tous les échelons de sa mise en œuvre, la recherche de méthode doit nous permettre d’améliorer l’efficacité dans un grand système qui ne l’est pas, qui passe par la patiente inscription dans notre territoire, aux liens indéfectibles tissés avec le temps, à la maitrise progressive des réseaux et circuits que nous apportent les systèmes experts dans lesquels nous sommes inscrits.
Les citoyens que nous sommes aspirent à s’émanciper à l’opposé des approches par le contrôle social. Notre société doit préparer un monde habitable pour les nouvelles générations à tout point de vue.
Le dialogue et la complémentarité des acteurs doivent l’emporter sur les enjeux de domination, les défis qui se dessinent à l’horizon sont majeurs, et deviennent de vraies menaces pour l’humanité. Nous avons besoin de l’alliance de tous avec tous pour les relever. Cette réflexion arrive à point nommé au moment où l’actuelle Ministre du logement, Emmanuelle Wargon, a relancé le dispositif des résidences sociales, cherchant à aplanir les obstacles qui freinent encore leur développement. Nous avons participé au groupe de travail ad hoc en suggérant l’habitat partagé et la conception partagée, thème également repris dans les prochains travaux de la Dihal sur les résidences accueil. Il y a du bonheur à se comporter comme des êtres humains.
Article diffusé auprès de l’ensembles des bailleurs sociaux par GEFILS, et ORFEOR