Laicité: ce qui manque aux politiques publiques pour réussir
- 23 oct. 2020
- Par olivier chazy
- Blog : Le blog de olivier chazy
La communauté musulmane condamne unanimement l'assassinat du professeur Samuel Paty mais reste divisée dans son interprétation.
Les uns refusent de considérer que les actes terroristes récents se réclamant de l’islam ont un lien avec leur religion. Ils se disent "abasourdis, anéantis".
Les autres considèrent la violence comme une dérive intégriste de l’islam, et s’en désolidarisent.
La question est brulante : il y a au sein de la nouvelle génération musulmane, une « hypersensibilité aux blasphèmes et aux caricatures" : « c'est une jeunesse braquée, en perte d’identité, mais ce n’est pas un problème d’Islam, c’est un problème de société, (Héloïse de Neuville, journal La Croix)
Ce malaise des nouvelles générations issues de l'immigration est identifié encore dans une enquête du CNRS, 45% d'entre eux, d'après cette enquête, condamnent le blasphème, considéré comme une offense à leur religion, "c'est comme se moquer d'un handicapé" (J.F. Mignot, CNRS diffusé par la revue Telos)
Les extrémistes ont bien compris cette fragilité et ciblent prioritairement cet angle d'attaque, de ce point de vue ils agissent avec un fort sens politique.
La victoire de la République et de ses valeurs passe nécessairement par la prise en compte de ce malaise or elle ne sait pas comment s'y prendre
Sa politique de la ville a, en partie, "perdu ses territoires", et certains quartiers sensibles restent désinvestis, malgré quarante ans de ciblage
Exemples :
- il n'y a actuellement que deux postes de médecins occupés sur 10 en PMI à St Denis (93);
- 60% des enseignants ont désertés tout contact avec les élèves pendant le confinement depuis mars dans le quartier du chemin de l'Isle, le quartier le plus pauvre des Hauts de Seine, pourtant dans la géographie prioritaire.
Cette reconquête-là, est prioritaire, au nom d'une réponse équilibrée, complémentaire de la répression
La République, au travers de ses enseignants, ne parvient pas à ouvrir le débat avec les jeunes, Régis Debré n'a pas été suivi qui demandait que le débat soit ouvert à l'école sur l'enseignement du "fait religieux", pas plus que n' a été introduite la vision interculturelle et universaliste d'Edgar Morin alors qu'elle était adoptée par 30 pays au monde et par l' l'Unesco.
Le problème est tout autant culturel que matériel : les enseignants sont démunis pour dialoguer, enfermés dans la stricte neutralité du service public laïc. Le débat entre rationalité et croyance n'a pas lieu et est largement perdu de vue en milieu scolaire musulman,
La République vacille sur ses valeurs fragilisées par d'incessantes polémiques, par les politiques néo libérales qui s'attaquent depuis 30 ans au pacte républicain, aux acquis du conseil national de la résistance. Elle est perçue largement comme globalement injuste, discriminante,
La mouvance catholique a mis quatre siècles à s'acclimater à la sécularisation moderne, à l'offensive des lumières, les jeunes croyants musulmans peuvent-ils refaire ce chemin en une génération.
Jaurès, Briand nous ont mis sur la voie mais c'est une ligne de crête encore peu suivie, pire parfois l'incompréhension est telle qu'on s'éloigne des solutions : la posture adoptée par les tenants d'une laïcité stricte ne prépare pas les esprits a ce défi essentiel de la transition de société ou nous nous trouvons, la mise en cause récente de l'observatoire de la laïcité, présidée par Jean Louis Bianco qui a adopté une posture ouverte de dialogue profond avec la société civile en est une nouvelle démonstration. Certes il est soutenu par la ligue de l'enseignement, par la ligue des droits de l'homme, mais il manque encore à notre société la compréhension d'une laïcité de dialogue offensive, ouverte, respectueuse, intelligente, seule en mesure de relever ce défi
On n'est pas sorti d'affaire.
deux femmes musulmanes venant rendre hommage à Samuel Paty
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