L’éclatement du scandale notre Dame de Bétharram la semaine dernière et la mise en cause directe de l’actuel premier ministre a toujours été traitée séparément de la répression douce par l’Etat et certains élus régionaux de l’enseignement privé musulman sous contrat, répression qui s’est accélérée en 2025. D’un côté, on a laissé faire pendant des années des faits de pédo-criminalité qui relèvent du pénal : Bétharram n’a jamais été directement menacé de se voir retirées ses subventions. De l’autre, on menace de fermeture des établissements privés sous contrat musulmans, qui sont déjà en nombre extrêmement restreint dans notre pays. En effet, selon un rapport de la cour des comptes, il existait en 2021 à peine 10 établissements privés sous contrat musulmans sur tout le territoire, pour 134 établissements juifs et 7045 catholiques ! C’était avant les menaces pesant sur les écoles musulmanes de Lille, Nice, Lyon. Ces menaces reposent souvent sur des accusations très légères, et particulièrement contestables dans certains cas, comme celui du lycée Averroès à Lille. Ce deux poids deux mesures post-colonial est le reflet de l’interventionnisme gouvernemental musclé en matière d’islam, interventionnisme qui est la négation même de la laïcité (qui présuppose une séparation entre l’Etat et les cultes). Cet interventionnisme contraste avec le « laissez faire, laissez passer » des gouvernements français avec l’Eglise catholique. Cette attitude a été particulièrement patente sous Macron, où le président s’est souvent gardé de se prononcer face aux scandales de pédo-criminalité. Il faut dire que son électorat, bourgeois, blanc, d’un certain âge, correspond assez souvent au profil sociologique des personnes qui côtoient les bancs des églises.
Dans le cas de l’affaire Bétharram, et même si Bayrou n’est pas, loin s’en faut, un novice en politique, son parcours montre que les élites politiques, mais aussi médiatiques, sont de plus en plus catho-laïques, de plus en plus susceptibles d’être passées par les bancs d’écoles catholiques, qui a façonné, qu’ils et elles le veuillent ou pas, leur itinéraire, leur manière de voir le monde, leur éthos. De ces élites, on ne voit souvent que les têtes de gondole : Emmanuel Macron qui a étudié au lycée privé élitiste de « La Providence » (Amiens), Gabriel Attal passé par la très sélect Ecole Alsacienne de Paris, Jean-Michel Blanquer (comme De Gaulle ou François Baroin) passé par le Collège Stanislas. Il faut donc prendre conscience que M. Blanquer, zélote de la laïcité et pourchasseur d’islamo-gauchistes à l’université, a fait une très grande partir de sa scolarité dans un établissement où l’on a procédé pendant très longtemps à la bénédiction des cartables. S’agissant de Bayrou, l’année 1994 enracine son positionnement catho-laïque, qui suppose de fermer les yeux sur des faits graves liés à l’enseignement catholique, et de ne « pas faire le moindre angélisme » sur l’islam et la laïcité, dans un deux poids deux mesures très français. Retour sur 1994…
Un lourd passé pyrénéen
En 1993 déjà, François Bayrou avait essayé de réformer la loi Falloux, montrant son favoritisme envers le privé, comme vient opportunément de le rappeler Médiapart. En 1994, le fils de François Bayrou était scolarisé au lycée privé sous contrat Notre-Dame-de-Bétharram, dans les Pyrénées-Atlantiques. « Sous contrat », cela veut bien dire payé très largement (plus de 70%) par les contribuables. Au printemps 2024, 78 plaintes avaient été déposées pour des faits imposés à des mineurs scolarisés entre les années 1970 et 1990. Médiapart parle désormais de 112 plaintes, qui montre donc des douzaines de vies brisées, traumatisées, esquintées. Cette école très select a donc vu passer le fils Bayrou, le styliste Jean-Charles de Castelbajac, et Michel Camdessus, qui dirigerait le FMI de 1987 à 2000. L’école, qui a préféré se rebaptiser « ensemble scolaire le beau rameau » en 2009, est englué dans un énorme et assez mystérieux scandale de pédo-criminalité. En lisant une longue enquête du Monde et l’enquête sortie ces derniers jours dans Médiapart, on se surprend à penser que les dysfonctionnements au collège Stanislas, c’est vraiment très, très light par rapport à Notre-Dame-de-Bétharram.
Fermer les yeux sur la pédo-criminalité catholique mais réprimer l’islam
On est toujours en 1994. L’alors ministre de l’éducation François Bayrou publiait une circulaire appelant les établissements scolaires à interdire, dans leurs règlements intérieurs, les signes religieux ostentatoires. Aucune référence explicite au hijab, au foulard, au voile dans ce texte, bien sûr. Mais c’est lui qu’on vise : les élèves juifs portant kippa vont très majoritairement dans des écoles privées juives.
Bayrou souhaitait pourtant que le foulard soit clairement qualifié de « signe ostentatoire », et donc prohibé. 1994, en quelque sorte, était l’antichambre de la loi de 2004, une circulaire souvent oubliée dans la mémoire collective, coincée entre le premier scandale du voile dans un collège de Creil (1989) et la très importante loi de 2004, donc, qui faisait suite aux travaux de la commission Stasi, nommée par Chirac. Au moment même où Charles Pasqua bombait le torse en voulant « terroriser les terroristes », M. Bayrou convoquait « l’idée française de la nation et de la République » qui, pour être « respectueuse de toutes les convictions », ne peut laisser des signes supposément discriminatoires et prosélytes infiltrer l’École de la République. Le contexte international faisait le reste, et des responsables syndicaux voyaient « le voile » à travers le prisme de la guerre civile algérienne, qui charriait son lot de morts quotidiens.
Sur le terrain, malgré l’absence de critique massive, la situation était très tendue, et donnait un avant-goût des déscolarisations massives de 2004. C’est bien connu : pour « émanciper » des filles « opprimées » par l’islam, rien de mieux que de décider de les déscolariser ! Les proviseurs avaient le sale boulot de mettre en place des conseils de discipline débouchant sur des exclusions….définitives…sauf si « les élèves concernées changent d’attitude » par rapport à leur voile, pour citer l’un de ces proviseurs. Rien qu’au lycée Faidherbe de Lille, 17 élèves furent exclues, pour ne jamais revenir, et devaient travailler avec des cours du CNED.
Pour la première fois dans l'histoire, le principe de neutralité religieuse incombait aux usagers des services publics et non plus aux agents publics. Dans le même temps, comme il sied à une république catho-laïque, l'enseignement privé faisait ce qu'il voulait, comme à Bétharram.
Valeurs de la république vs principes de la démocratie
La circulaire de 1994 (ouvrant la voie à la loi de 2004) et la scolarisation du fils du ministre dans un établissement où a été dénoncé « un régime de la terreur » ayant fermé les yeux sur de nombreux faits pédo-criminels sont la face islamophobe et la face catho-laïque d’une même pièce française : une pièce où on l’on fait comprendre aux enfants et petits-enfants d’immigrés du Maghreb qu’ils et elles n’appartiennent pas vraiment à la nation, puisqu’on menace les très, très rares écoles qu’ils ont de fermeture (à Lille, à Lyon par exemple), et une pièce où la haute-bourgeoisie « de souche » pourra toujours envoyer, aux frais de tous les contribuables, leurs enfants dans des établissements dont les manquements sont parfois graves, et qui mériteraient des vraies enquêtes administratives, voire pénales dans les pires des cas. Cette république catho-laïque (qui ne peut être qu’islamophobe, car c’est l’autre côté de la pièce) était balbutiante en 1994 avec Bayrou ministre de l’éducation, elle est triomphante en 2025 avec Macron président, Bayrou premier ministre et Retailleau le « catho tradi », politiquement fabriqué par Philippe De Villiers, installé à la Place Beauvau. Il est grand temps de s’éloigner de l’écran de fumée des « valeurs de la république » pour mettre -enfin- à l’agenda politique les principes de la démocratie, de la justice et de l’égalité scolaire.