Apparemment, d'un seul évangile, celui dit de Matthieu:
«Lorsque Jésus eut achevé ces paraboles, il partit de là.
S'étant rendu dans sa patrie, il enseignait dans la synagogue, de sorte que ceux qui l'entendirent étaient étonnés et disaient: D'où lui viennent cette sagesse et ces miracles? N'est-ce pas le fils du charpentier? n'est-ce pas Marie qui est sa mère? Jacques, Joseph, Simon et Jude, ne sont-ils pas ses frères? Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous? D'où lui viennent donc toutes ces choses? Et il était pour eux une occasion de chute. Mais Jésus leur dit: Un prophète n'est méprisé que dans sa patrie et dans sa maison. Et il ne fit pas beaucoup de miracles dans ce lieu, à cause de leur incrédulité» (Matthieu, 13, 53-58, trad. Segond 1910).
De ce passage dérive la sentence «Nul n'est prophète en son pays». Ce qui précède dans ce chapitre raconte une suite de miracles et de paroles prophétiques, et presque tous ceux qui assistent à cela y croient sans restriction, c'est un Maître (un rabbi), un Prophète et un Faiseur de miracles pour tous pendant 52 verset, et les cinq derniers, il fait face à l'incrédulité. Pourquoi? Pour cette raison, il est le fils du charpentier, lui-même charpentier comme ses frères, le fils de Marie qui s'est mariée “parmi nous” ainsi que ses filles, bref, le petit gars du coin qui ne paie pas de mine et qui à coup sûr ne peut pas être un maître et un faiseur de miracles. On peut décrire ça comme l'opposition entre les singularités et les régularités: hors de sa patrie, sa “régularité” est maître, prophète et faiseur de miracles, de ce fait quand on annonce sa venue en un lieu il est précédé de cette réputation et, ne ferait-il et ne dirait-il que des banalités que chacun y “verrait des signes”, ceux qui confirment sa réputation; chez lui, dans sa patrie, sa régularité est autre, le voisin, le fils du charpentier, le fils de Marie, le frère des ses frères et sœurs, un type d'un telle banalité que, fut-il maître ultime de la parole, fut-il ultime faiseur de miracles, en le voyant on (ses compatriotes) ne pourrait y croire, et ils n'y croient pas, tant l'écart est grand entre leur représentation du fils du charpentier et son nouvel état de prophète.
Étant à mon humble manière une sorte de prophète je connais la chose: je puis être très convaincant avec les personnes qui ne me connaissent pas autrement que par mon aspect “artiste” et “magicien”, et comme j'ai du bagout et une certaine prestance, ils me perçoivent, quand j'active mes aspects “prophète” et “magicien” un peu “mage” (un “vrai magicien” en quelque sorte), en tant que tel – à un tout petit niveau, je le répète.
Pour qui me connaît sous tous mes aspects c'est différent, ceux “prophète” et “mage” étant la moindre part de tous ceux qui me constituent, dans l'ordinaire des choses une fraction minime et en plus, sans rien de spectaculaire, il en va là comme pour le personnage Jésus, ma réputation me précède et pour le peu d'interactions que j'ai avec ces “non compatriotes” ce sont ces aspects qu'ils anticipent et qu'ils “constatent” y compris quand je fais et dis des banalités, aspects peu ou non perceptibles pour mes proches, famille, amis, connaissances, voisins... Les miracles je n'y crois guère (en fait, pas du tout). Quelle importance si mes vis-à-vis y croient? Me supposant “prophète” et “mage” ils “cherchent les signes”, ceux qui démontrent ces aspects, et ils les trouvent. Et c'est l'inverse pour mes proches, ne les cherchant pas ils ne les trouvent pas, les auraient-ils sous les yeux, dans les oreilles.
Le truc pour devenir “prophète en son pays” est somme toute assez simple, ce qui ne signifie pas facile: devenir prophète hors de sa patrie. On a vu ça par exemple avec la “french theory”, une appellation pas très exacte mais très utile car les promoteurs étasuniens «des études culturelles, études de genre et études postcoloniales» n'étaient pas non plus prophètes en leur pays, d'où cette convocation d'une supposée théorie avec une étiquette exotique donc attractive; et par un juste retour des choses les “french Theorists”, pas tous confidentiels avant cela cependant (je pense surtout à Deleuze, Guattari et Foucault), eurent une audience plus forte avec ce vernis prestigieux de la reconnaissance étasunienne.
De l'autre bord il y en a, comme Ma Pomme par exemple, qui préfèrent rester «le fils du charpentier», rapport au fait que la notoriété n'amène que des emmerdes, on devient beaucoup trop visible à cause de l'éclairage médiatique et les naïfs croient que la lumière émane de soi, ce qui ne peut que susciter les envies, les adorations, les rancœurs, les détestations, bref, tout ce qu'il y a de plus faux dans la Société du Spectacle. Pour vivre heureux restons pépère loin de la fureur médiatique. Un truc que j'apprécierais: que les quelques bribes intéressantes dans le fatras de choses négligeables dans mes billets devienne l'objet propre de quiconque les trouve utiles. Dans le contexte de Mediapart je suis soumis à un droit qui ne me convient pas, le droit d'auteur, le seul réel auteur d'un texte est sa lectrice, son lecteur, raison pourquoi dans mes propres sites tout ce que je publie est dans le domaine public à parution. De l'autre bord on m'informe que «ce blog est personnel [et que] la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus», un truisme pour ce qui suit «personnel», donc considérez que c'est dans le domaine public.
Salutations.
Le fils du charpentier alias Ma Pomme.