Ce qui suit n'est pas une critique de Mediapart mais à travers une critique mineure une mise en évidence de l'intérêt de médias de ce genre, de médias participatifs, donc à la fois média dans sa part professionnelle, qui trouve son assise financière sur le financement de ses seuls abonnés, et participatif par la libre participation de ses abonnés, non pas de simples commentateurs mais des créateurs de contenus.
Ce qui bien sûr ne sera pas le cas de mon point de vue mais, il m'est arrivé plus d'une fois de l'écrire ou le dire, je suis assez mauvais juge de moi-même, et des autres aussi. Récemment j'ai traité dans un fil de commentaires un contributeur de Mediapart de sophiste creux et de “LOListe” usant d'une rhétorique de cour de récréation (genre «c'est çui qui dit qui y est-eu!»), ce qui n'est pas très aimable, pour le moins. Ne souhaitant pas, dans ce cas, que mes propos soient susceptibles de censure après réclamation dudit contributeur, j'ai flirté avec les limites des règles de la Charte en usant de tous mes outils de rhéteur combinés avec une analyse dialectique de nos échanges pour ne pas lui ouvrir la possibilité d'une demande de censure. Je ne suis pas certain que mon contradicteur soit proprement “troll”, c'est difficile à déterminer dans des échanges à distance – en interaction directe c'est plus facile, sauf dans des circonstances où ce genre de personnes sont juges et parties, mènent la discussion, des “arbitres” dans un débat à plusieurs, et se protègent de mises en causes par l'instrument du “rappel à la règle” –, cela dit dans le cas que j'évoque mon contradicteur usait de procédés de sophiste, mais ça ne signifie pas qu'il l'ait fait consciemment, comme je le lui écrivis dans mon dernier commentaire, «Pire qu'être malveillant, l'être sans même en avoir conscience». Ce qui arrive assez souvent: les “croyants” (en religion ou en idéologie) sont souvent sincères et répètent des slogans et des schémas discursifs avec la conviction de “dire la vérité”. C'est ainsi.
Donc, une collaboratrice “professionnelle” de Mediapart. Je Finalement je ne la nommerai pas sauf si, ultérieurement, lisant ce billet et se reconnaissant, elle m'autorise à le faire. Ce n'est pas proprement nécessaire mais partir d'un exemple concret facilite souvent la compréhension d'un processus en l'illustrant d'éléments pris dans la réalité observable.
Les participants de Mediapart se répartissent en deux groupes distincts, les “pros” et les “amateurs”. Leur classe est spécifiée immédiatement par la couleur de leur pseudo, bleu pour les amateurs, jaune pour les pros – j'admire ce code: les amateurs sont des “bleus”, les pros ont la couleur des casseurs de grève et des syndicats patronaux, des “jaunes”; je me demande si c'est volontaire ou inconscient... Je ne connais pas le fonctionnement interne de Mediapart donc je ne certifierai pas que les “jaunes” sont tous des professionnels rémunérés, possibles que certains soient des bénévoles, leur statut de pros correspond à leur statut dans le cadre de la partie visible de Mediapart, les “jaunes” ont des droits étendus et la possibilité de publier dans la partie payante du site, les “bleus” n'ont pas d'autres droits que de publier des billets dans sa partie gratuite et dans les fils de commentaires, et bien sûr de pouvoir à l'occasion supprimer leurs propres contributions.
J'ai découvert Mediapart récemment, il y a moins d'un mois, avant je n'en percevais que la partie “professionnelle” par les seuls billets les plus attirants pour les médias “professionnels”, ceux qui révèlent des scandales ou peuvent en eux-mêmes faire scandale (entre autres les éditos). N'étant pas trop attiré par le scandale ça ne m'incitait pas à venir sur ce site. Il y a deux ou trois mois – je viens de vérifier: environ deux mois puisque je suis abonné depuis le 10 janvier 2019 – je viens sur une page du site suite à une recherche sur Internet, et découvre alors qu'il m'est possible de m'abonner gratuitement pour un mois et si je le souhaite, continuer avec un abonnement payant facilement résiliable. Je me dis, autant essayer, je verrai par après si ça vaut le coup de continuer. Mediapart m'intéressait si peu que durant la période gratuite je n'y revins pas. C'est pour cette raison que j'allais basculer dans la non gratuité qu'au bout d'un mois j'ai décidé d'aller voir à quoi ça ressemblait pour décider si ça valait le coup de poursuivre mon abonnement. D'un côté ça ne me posait pas de problème de “payer pour rien” au sens de “payer sans utiliser”, Mediapart me semblait un médium utile par son travail d'investigation, comme c'est un abonnement pour pauvre à 5€ – ce qui est logique, je suis pauvre –, je me disais qu'il aurait au moins l'utilité de soutenir financièrement ce site pour un faible coût. De l'autre bord je voulais vérifier si au-delà de cette partie qui a l'attention des médias dits classiques le reste des contenus du site n'allait pas contre certains de mes principes. J'explore. Et je découvre alors un tout autre objet que celui qui apparaît par le filtre de ces médias dits classiques, soit par leur propre discours, soit par celui d'acteurs sociaux qui ont la possibilité continue ou circonstancielle de s'y exprimer.
D'un sens ça ne m'a pas spécialement étonné, par exemple si on parle de Facebook dans les mêmes médias ça sera presque toujours pour ses aspects les plus critiquables, alors qu'une large part de ce supposé réseau supposé social est assez anodine ou au contraire à louer. C'est un autre trait des médias dits classiques, outre ce biais de ne considérer comme informations recevables que celles produites par des “professionnels de la profession”: ils ne mettent en avant que les accidents et négligent les régularités. La “face sombre de Facebook” n'est qu'une part assez limitée de l'ensemble, accidentelle, les médias dits classiques n'en retiennent donc que cet aspect, l'autre n'y apparaissant qu'accidentellement quand des personnes en ayant une connaissance plus exacte ont l'opportunité d'en parler. Ce tropisme qui leur fait privilégier l'accidentel au régulier les amène à inviter principalement des commentateurs de l'accident, d'où la rareté des commentateurs de la régularité. On peut dire que dans leur majorité les médias dits classiques sont l'image inversée de la société, l'accident y est régulier, la régularité accidentelle. Dire de Mediapart qu'on n'en voit dans les médias dits classiques que, selon la comparaison courante, “la partie émergée de l'iceberg”, serait inexact: on n'en voit que la partie émergée de son versant “pro” qui n'est que la partie saillante du site. Pour poursuivre la comparaison, si ce que retiennent les médias dits classiques de Mediapart en représente environ un dixième, alors ils en relaient au plus un centième et quand on y ajoute les commentaires, peut-être un cinq-centième.
Avant de poursuivre, pourquoi «les médias dits classiques»? Parce que dans leur plus grande part ils sont contemporains: hormis la presse, tous les médias dits classiques apparurent entre la toute fin du XIX° siècle et le début de la décennie 1960, bien après la période classique, et même la presse dans sa forme actuelle d'industrie est post-romantique (milieu du XIX° siècle), avant cela elle est artisanale. Les médias actuellement considérés “classiques” étaient presque tous considérés non classiques ou “en voie de classicisation” à la fin de la décennie 1960, et ne changèrent vraiment de statut qu'après l'apparition d'un ensemble de médias d'une autre nature: jusqu'au début des années 1960 ils sont “analogiques”, à partir de ce moment commencent à se développer des médias “numériques”. Non que ça change grand chose au début, jusqu'au début des années 1990 cette “numérisation” résulte pour sa plus grande en une transformation des vecteurs et supports des médias dits classiques, et ce n'est que par après, significativement après 1995, qu'ils vont prendre leur autonomie et faire émerger des médias autres que ceux dits classiques, regroupés assez inexactement sous l'étiquette “Internet” ou sous celle “téléphonie mobile” – pour Internet c'est moins sensible mais du moins, continuer à nommer “téléphone” un smartphone, ça serait comme si on nommait “radiophonie illustrée” la télévision, la téléphonie actuelle est un sous-ensemble de l'ensemble “Internet”. Bref, les médias dits classiques n'ont acquis ce statut que par contraste avec les médias encore plus contemporains qu'eux mais n'en restent pas moins contemporains – certes pour une bonne part assez obsolètes dans, comme on dit en novlangue actuelle, leur “modèle économique”, mais contemporains car pour l'essentiel ayant moins d'un siècle. Même le plus ancien de ces “médias classiques”, le cinéma, a moins d'un siècle dans sa forme actuelle, le cinéma sonore.
Mediapart est un, comme on dit en français de 2019, “pure player”, ce qui signifie simplement qu'il n'est pas lié à un medium “classique” et ne se déploie pour sa plus grande part que sur le Web, ses productions “classiques” (imprimerie, CD, DVD...) étant secondaires. Importantes mais secondaires. Il a une autre singularité, c'est un rare medium du Web dont le contenu professionnel est entièrement payant, et une troisième singularité, les seuls intervenants non professionnels sur son site sont obligatoirement des abonnés. Vu de l'extérieur et quand on ne s'intéresse pas vraiment (pas du tout) au fonctionnement réel des médias du Web (oui: le web n'est pas plus “un média” que l'ensemble des médias audiovisuels, radio, ciné, télé, disques audio et vidéo, ne sont “un média”, c'est une structure de diffusion qui regroupe une multitude de médias assez différents et d'entreprises de médias aux caractéristiques multiples), Mediapart apparaît comme un bloc, une sorte de chapelle, presque de secte avec un dogme unique; vu de l'intérieur c'est un médium comme un autre, et comme tout les médias, les options politiques, philosophiques et autres des abonnés sont très diverses. D'ailleurs, la critique la plus pointue et la plus exacte vient précisément de ses abonnés, comme pour tous les médias – le courrier des lecteurs / auditeurs / spectateurs n'est assez souvent pas des plus tendres envers le media qu'ils fréquentent et auquel ils écrivent. Comme on dit, qui aime bien châtie bien...
Mediapart, de par ses trois particularités, et un des rares médias (au sens d'entreprise de média) réellement contemporain sur le Web, les sites de médias sont pour leur plus grande part des extensions de médias “classiques” et tentent assez maladroitement de transformer le Web en objet “classique”, ce qui ne leur réussit pas trop. Entre autre erreur, ils diffusent gratuitement des contenus qui leurs coûtent, et comme les ressources qui étaient devenues les plus significatives pour les médias privés, celles de la publicité, rapportent très peu sur Internet, ça n'amortit pas leurs frais; comme en outre les ressources publicitaires dans leurs vecteurs “classiques” sont en chute libre, ils augmentent leurs rentrées alors qu'ils voient leurs sorties augmenter sans fin. Mediapart a donc opté pour le seul “modèle économique” cohérent sur Internet, l'accès payant à tout leur contenu professionnel, ce qui a deux avantages, ils peuvent planifier leur développement en s'appuyant sur un niveau de ressources assez stable et en progression régulière, et ils n'ont pas besoin des ressources de la publicité, devenues trop volatiles pour qu'on puisse faire de plan de progression ou même de stabilisation à moyen ou long terme. Actuellement, les médias dits classiques qui n'ont pas un apport de ressources pérenne et stable, tels les médias publics, ne peuvent que voir leurs disponibilités fondre de plus en plus et leurs coûts progresser de plus en plus, notamment parce qu'ils ont perdu une grande part de leurs ressources publicitaires. Opter pour un “modèle économique” qui n'a aucune ressource publicitaire ou dont cette ressource est marginale est le seul qui permette à tout média, Web ou classique – Le Canard Enchaîné est le seul organe de presse dont le prix est le même aujourd'hui qu'en 1998, et seuls ceux qui n'ont jamais compté sur la publicité comme ressource principale ont vu leur prix augmenter très modérément.
Après la carotte, le bâton. Je suis un abonné de Mediapart et donc, j'en vois les défauts de l'intérieur. Il y en a beaucoup mais pas différents de ceux que l'on constate dans les médias dits classiques ou dans ceux faussement non classiques, mais ces défauts sont de bien moindre intensité et assez vite régulés ou résolus de par une double vigilance, celle des pros et des amateurs, critiques interne et externe mais dans les deux cas, critique informée, alors que les critiques externes strictement externes, celle des non abonnés, sont peu ou mal informées sinon désinformées, donc sans validité et sans portée effective. Mais du moins en ai-je pointé un et comme ils s'agit d'un critique externe informée, je ne désespère pas qu'elle porte, et la suppose valide mais ça c'est une opinion: la modération.
Mediapart a encore une particularité, moins significative que les trois autres parce qu'il s'agit d'un choix parmi des options déjà disponibles, la régulation des publications. Ce site a opté pour la régulation a posteriori. Bien sûr, les billets rédigés par les pros font l'objet d'une régulation a priori mais c'est en lien au projet même de Mediapart, qui ne veut publier que des informations fiables, ils s'agit donc d'une régulation sur la validité factuelle des articles autres que ceux de type éditorial ou d'opinion, non sur la forme ou le point de vue des rédacteurs. Les billets des abonnés et tous les commentaires sont libres et ne font censément l'objet d'une censure que dans deux cas, si un propos est en infraction à la législation française sur les limites à la liberté d'expression (Mediapart est une société de droit français dont le siège est en France), et si des propos ne respectent pas la Charte de participation. Le présupposé qui a fait opter Mediapart pour cette forme de régulation découle de sa forme même, du fait que toute personne qui s'y exprime n'est pas la part hasard, et se sent de ce fait libre de se laisser aller à exprimer des propos illicites ou offensants, et sur l'idée confirmée par les faits que les cas où un propos n'est pas très recevable sans être irrecevable recevra des critiques qui amèneront leurs auteurs à préciser leurs propos ou sinon, qui apporteront des points de vue divers sur le propos initial. Un débat libre mais régulé d'autre manière que par la censure dès lors qu'il ne sont pas contradictoires au limites claires posées par la loi française et les règles de la Charte de Mediapart.
Ma critique: les modérateurs sont des pros. De ce fait, ils intègrent un type d'analyse des propos à la limite du corporatisme. Et quand une contestation de telle censure particulière s'est exercée alors que le propos n'est en infraction ni avec les lois, ni avec la Charte, ils tendent à développer une rhétorique pas très dialectique pour défendre leur action. Je trouve ça très normal, mais ça ne m'empêche pas de ne pas l'accepter. Pour le dire simplement, si on ne peut pas contester qu'une censure ne peut se légitimer des règles autorisant une censure, on doit revenir dessus et ne pas se chercher une fausse légitimité qui n'est que rhétorique, d'autant plus quand on pointe que dans d'autres circonstances similaires il n'y eut pas censure. Je pense notamment à un cas qui me concerne, un commentaire censuré parce que lié à un autre commentaire censuré car ne respectant pas les règles: la légitimation était, censuré parce que en tant que réponse au précédent il perdait toute signification, ce à quoi j'ai répondu que l'on peut voir beaucoup de commentaires qui sont dans le même cas mais qui n'ont pas pour cela été censurés, et j'ai pointé le fait que le motif réel était la mention comme citation d'un segment “socialement incorrect”, «sale sioniste», alors même que cette mention apparaissait clairement comme une critique de l'expression, puisque je demandais: «Qu'est-ce qui est pire, être un sale sioniste ou un sale antisioniste?», en critique à un commentaire où “sale sioniste” était un propos non critique, l'expression d'une opinion. Intéressant de voir que même des personnes honnêtes et bien intentionnées peuvent, quand on pointe une erreur manifeste de leur part, trouver la voie d'une rhétorique de type sophistique: répondre à une question sur un point précis par un argument sans rapport avec la question.
Amie lectrice, ami lecteur, vous l'aurez compris je suppose, ma critique ne porte pas réellement sur Mediapart et sa modération, même s'il ne me semble pas inutile de solliciter ses modérateurs pour qu'ils s'interrogent sur leur possible conformisme quant à ce qu'on peut ou non écrire à un instant donné non dans le fond mais dans la forme, factuellement les “dépublications”, comme on dit en interne, par la rédaction sont assez rares et celles contestables en sont une infime partie, la grande majorité des dépublications est le fait des auteurs des commentaires suite à débats ou critiques, mais sur la tendance très massive dans les médias dits classiques à exercer une censure sur leurs propres productions par conformisme d'ordre corporatiste, très liée à ces biais relevés plus haut, «ne considérer comme information recevable que celles produite par des “professionnels de la profession”: [et] ne mett[re] en avant que les accidents [ne] néglig[a]nt les régularités». Si un propos “sort des clous” ou s'il n'est pas de l'ordre des accidents acceptable, il aura peu de chances d'être médiatisé, sinon en en extrayant ce qui est “professionnellement recevable” et “accidentellement acceptable”, qui contribue beaucoup à l'écart toujours plus grand entre la représentation de la société par les médias et par elle-même.
Je renvoie à la partie «Le projet», qui vaut de ne pas être manquée.