Ce billet est un brouillon. Explication à la fin du texte.
C'est le problème constant des responsables politiques quand ils ont pour projet de diriger: être responsable et diriger sont deux fonctions assez peu compatibles. La conduite d'une société a beaucoup en commun avec celle des navires: le pilote, le κύβερνος, le gubernator, le “gouverneur”, est irresponsable; comme tout membre de la société il est responsable de lui-même et de ses actes, mais n'est pas responsable du navire, seulement de sa marche; le capitaine ou commandant fixe le cap, la vigie vérifie que le cap est bien suivi et que nul écueil ne menace, le reste de l'équipage contribue au bon fonctionnement du navire. Le propriétaire du navire est personne et tout le monde. La notion de propriété privée telle que définie en notre temps n'a pas de valeur comme concept social, dans l'espace social tout appartient à la société, quand Proudhon pose que la propriété c'est le vol il ne parle pas de la propriété en général mais de ce concept politico-juridique de propriété privée. Comme nombre de penseurs avant et après lui Proudhon fait le partage entre deux types de propriétés, celles, dit-il, in re et ad rem, la nue-propriété qui est la détention d'un bien sans sa possession, et l'usufruit qui est sa possession sans sa détention. On peut aussi dire propriété en titre et propriété en fait, le nu-propriétaire possède le bien mais non le fruit, l'usufruitier possède le fruit mais non le bien. Ou encore,détention héréditaire et de mainmorte: l'usufruitier a un droit d'usage non transmissible attaché à sa personne, le nu-propriétaire peut transmettre son bien à ses héritiers. Pour continuer avec la comparaison nautique, la société comme ensemble possède le navire mais ses matelots et ses passagers en possèdent l'usage aussi longtemps qu'ils naviguent.
La question de la mainmorte et de la possession en titre, ou de plein droit, est intéressante. De longue date a lieu une lutte entre, disons, les tenants du communalisme et ceux du “privatisme”, ceux qui considèrent que l'espace social est un commun et ceux qui considèrent qu'il peut être divisé en autant de biens privés que de membres de la société, avec toute liberté d'en disposer à son idée, entre autres en s'en défaisant. On peut dire, l'opposition entre la société et l'État ou pour paraphraser Pierre Clastres, La société contre l'État. Tiens ben hasard ou non? Voilà-t-il pas que je vais pêcher mes références chez les philosophes et sociologues anarchistes. Faut dire, si les divers courants de pensées anarchistes et libertaires s'opposent sur bien des points ils se retrouvent sur une chose, leur dépréciation de la notion de propriété privée. Je ne prétends pas anarchiste ou libertaire mais du moins je déprécie aussi ce concept d'où ma référence à des penseurs anarchistes, les rares ayant réfléchi à cette question sans partir du présupposé qu'elle est un “droit naturel” ce qui est assez logique: le droit est d'ordre culturel donc aucun droit n'est proprement naturel. On peut dire qu'il y a une “nature de la société“, laquelle requiert de considérer comme intangibles certains droits, non parce que naturels mais parce que nécessaires pour faire société. Le droit de propriété ne fait pas partie de ces droits inaliénables, en revanche la réalisation d'une société étatique requiert l'existence d'un droit de ce genre.
Le premier mot d'ordre de la République établie lors de la Révolution française fut «Liberté, égalité ou la mort!»; la fraternité n'était plus à l'ordre en ces temps car si nous sommes tous frères, ça implique que nous avons tous un même parent, qui est un père – la fraternité exclut les sœurs, le seul parent de référence dans une société de frères est donc un père. Mais dans une société égale entre tous ses membres même l'alternative à la fraternité, l'adelphie, implique un parent, et dans une société d'égaux il n'y en pas.
«Pierre, prenant alors la parole, lui dit: Voici, nous avons tout quitté, et nous t’avons suivi; qu’en sera-t-il pour nous? Jésus leur répondit: Je vous le dis en vérité, quand le Fils de l’homme, au renouvellement de toutes choses, sera assis sur le trône de sa gloire, vous qui m’avez suivi, vous serez de même assis sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël. Et quiconque aura quitté, à cause de mon nom, ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, ou ses maisons, recevra le centuple, et héritera la vie éternelle». (Matthieu, 19, 27-29)
«Survinrent sa mère et ses frères, qui, se tenant dehors, l’envoyèrent appeler. La foule était assise autour de lui, et on lui dit : Voici, ta mère et tes frères sont dehors et te demandent. Et il répondit : Qui est ma mère, et qui sont mes frères? Puis, jetant les regards sur ceux qui étaient assis tout autour de lui : Voici, dit-il, ma mère et mes frères. Car, quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, et ma mère». (Marc, 3, 31-35)
«Car vous êtes tous fils de Dieu par la foi en Jésus-Christ; vous tous, qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ. Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme; car tous vous êtes un en Jésus-Christ. Et si vous êtes à Christ, vous êtes donc la postérité d’Abraham, héritiers selon la promesse». (Galates, 3, 26-29)
Comme tout “texte sacré” la Bible est incohérente mais un des messages qu'on y trouve, entre autres, est: pour se réaliser dans la société des égaux libres il faut rompre toutes ses allégeances, notamment les liens familiaux. Dans une telle société, qu'on peut dire démocratique, la propriété privée est un vol, la captation d'un bien public entre des mains privées. La transmission héréditaire aussi, d'ailleurs, car tout usage d'un commun est personnel et incessible, il est concédé au seul membre qui en est détenteur aussi longtemps que la société y consent, et au plus jusqu'à sa mort.
Une principale réflexion des penseurs des XVII° à XIX° siècles concerne la propriété, le “propre de l'homme” – propre de l'humain. Non que les siècles qui précèdent et suivent n'en aient fait une réflexion primordiale, en revanche notre rapport contemporain à cette question se relie en tout premier à ce qui fut élaboré dans ces trois siècles, nonobstant le fait qu'au cours du XX° siècle elle se posa d'autre manière, ce qui est assez logique: quand une réflexion atteint une sorte d'acmé c'est le signe qu'une nouvelle voie de réflexion doit advenir. On peut déterminer cinq sortes de réponses à cette question, celles que l'on peut dire communalistes, celles socialistes, celles libérales, celles autoritaires et celles “charbonnières” – en rapport à ce que l'on nomme “foi du charbonnier”, dit autrement la réponse de ceux qui ne veulent pas trouver de réponse. Les propositions communalistes sont de type anarchiste, celles autoritaires de type totalitaire, celles socialistes et libérales sont intermédiaires, quelque chose comme du communalisme autoritaire et de l'autoritarisme communaliste, sans qu'on sache jamais trop quelle orientation domine. Comme mentionné, le “gouverneur” d'une société est censément subordonné, sans pouvoir effectif. Il faut s'entendre: je parle à partir de mon approche idéologique qui, comme dit, est tendanciellement anarchiste; toute société est un artefact, un objet culturel, un construit, une «production» dirait Pierre Clastres, ma base idéologique me fait privilégier les modes d'élaborations qui vont vers le communalisme et la démocratie, ce qui n'a aucune valeur de nécessité ou de “naturalité”; dire que censément le “gouverneur” est subordonné ne vaut que dans les cas de sociétés démocratiques ou communalistes, dans une société autoritaire il est à la fois gouverneur et commandant et a du pouvoir, les approches libérales et socialistes, comme dit, allient autoritarisme et communalisme, on peut dire que celles socialistes envisagent le communalisme comme fin et l'autoritarisme comme moyen, inversement les libéralismes envisagent l'autoritarisme comme fin et le communalisme comme moyen. Cela posé, toute société est fondamentalement communaliste, la seule différence résidant dans cette question: qui “fait société”?
La société s'appartient, l'espace social est indivisible, la question est donc, qui participe de la société? Et la réponse variable, de tous les vivants et même au-delà présents dans l'espace social jusqu'à un nombre limité d'humains admis comme membres; dans une cité grecque de l'époque où s'élaborèrent des régimes démocratiques, 10% à 20% des humains participaient de la société, dont la moitié environ activement; dans les sociétés qui se sont inventées depuis la fin du XVIII° siècle en Europe et dans ses colonies, jusqu'au début du XX° siècle au plus la moitié des résidents étaient des citoyens de plein droit, puisque les femmes étaient exclues des droits civiques et d'une partie des droits civils, et très souvent une part plus ou moins large des résidents masculins avaient des droits civils et civiques restreints ou nuls. Dans un pays comme la France, ce n'est qu'en 1944 que les citoyennes ont eu accès pleinement à leurs droits civiques, et seulement dans les années 1970 qu'elles ont acquis l'ensemble des droits civils; entre 1946 et 1962 une large part des populations des territoires ultramarins de l'Empire français étaient exclue de la citoyenneté et du droit commun, et jusqu'au début du XXI° siècle une partie de la population métropolitaine avait des droits civils et civiques restreints; et bien sûr, sauf un court moment entre 1789 et 1793, une partie des résidents est exclue de la citoyenneté, ceux qui n'ont pas la nationalité. C'est d'ailleurs le cas courant dans les États actuels, les résidents non nationaux ont des droits civiles et civiques restreints ou nuls. Je n'ai pas évoqué le cas le plus évident d'exclusion, celui de l'esclavage, car en ce cas c'est une autre forme d'exclusion, les esclaves sont réputés ne pas appartenir à la même espèce, sont réputés “hors humanité” tant qu'ils sont asservis, ce sont des biens meubles dont le possesseur peut librement disposer, au même titre que le bétail. L'asservissement montre que l'appartenance à une société n'induit pas qu'on y participe; totémisme et animisme montrent que “ce qui fait société” ne se limite pas à l'espèce sociale concernée. On a donc ces extrêmes, tout fait, tout peut faire société dans le cadre d'un espace social humain, une partie seulement des humains fait société dans cet espace. Et divers cas intermédiaires.
Conditionnements et apprentissages.
Les espèces sociales sont des objets complexes, bien plus que les autres formes de communautés, elles organisent délibérément leur espace de vie; toute entité vivante modifie son écosystème par le simple fait d'exister et d'avoir une certaine autonomie mais les espèces sociales interviennent sur leur habitat de telle manière que l'ensemble de leur espace de vie favorise leur seule espèce et les espèces commensales qui contribuent à cette organisation ou qui en tirent parti, les espèces qui dans d'autres contextes n'auraient pas la même réussite. J'en parle assez par ailleurs, j'ai quelques doutes quant aux notions d'inné et d'acquis, reste que certaines capacités des individus, des groupes, des espèces, se développent dans n'importe quel contexte faute de quoi les individus et groupes ne persistent pas, les espèces voient leur continuation compromise, tandis que d'autres ne se développent que dans certains contextes et ne mettent pas en cause la continuation des individus, des groupes, des espèces, mais faute de leur développement empêchent la mise en œuvre de certaines capacités. De ce point de vue, chez les humains la socialisation est de l'ordre de l'acquis alors qu'elle est plutôt de l'ordre de l'inné chez les autres espèces sociales. Bien sûr, le partage entre l'inné et l'acquis est délicat, comme toute espèce les humains ont des capacités propres que nulle autre espèce ne met en œuvre, ou ne le fait de la même manière, on peut donc dire que la capacité de socialisation propre aux humains est de l'ordre de l'inné puisque nul membre d'une autre espèce ne se socialisera de cette manière propre à l'espèce; de l'autre bord, cette capacité ne se réalisera que si les individus ont des caractéristiques anatomiques dans un certain écart-type et se développent, au cours de leurs cinq à sept premières années, dans des contextes précis, ce qui induit que la capacité est innée mais sa réalisation acquise. Ce caractère mixte, à la fois inné et acquis, de la socialisation humaine, est la source de problèmes récurrents. Dans une société “innéiste”, c'est-à-dire où le processus de socialisation est principalement d'ordre génétique, type de sociétés que l'on trouve chez les invertébrés (notamment fourmis, termites, abeilles) les individus adultes n'apprennent pas à se comporter en êtres sociaux même si au cours de leur parcours de vie ils font des apprentissages lés à leur situation d'êtres sociaux, soit ils vivent dans un contexte social, soit ils meurent, car leur survie n'est possible que dans un espace social; les humains n'ont pas nécessité à vivre dans un contexte social pour survivre et vivre si du moins ils doivent vivre dans un contexte grégaire, en revanche ils ne développeront leurs capacités de socialisation que dans un espace social humain.
Dans divers billets je discute plus précisément de la question, entre sa naissance et ce qu'on peut nommer son âge adulte un humain subit plusieurs phases de socialisation; les deux premières sont plutôt des phases de grégarisation, il s'agit d'apprendre aux individus à se comporter selon les règles du groupe; la socialisation proprement dite commence quand l'individu est en capacité de comprendre qu'il s'inscrit dans un “groupe invisible”, l'ensemble des humains qui agissent dans le cadre de l'espace social, de comprendre que, à la fois, la qualité d'être humain ne suffit pas pour “faire partie du groupe” mais que les humains du même groupe social que soi ne se limitent pas aux individus connus. Pour un insecte social c'est assez facile, tous les individus du même groupe social ont, peut-on dire, le même parfum – ce qu'exploitent certains commensaux ou parasites pour se faire reconnaître comme membres de la société –; pour les humains c'est plus complexe, on peut dire qu'ils apprennent à ne pas se fier aux apparences pour déterminer qui fait partie de la société ou non; en tous les cas, un humain peut devenir grégaire sans jamais devenir social. Les cas extrêmes sont chacun à sa manière des socialisations défectueuses, une société est à la fois un espace et un temps, ceux très inclusifs sont “hors temporalité”, ceux très exclusifs “hors spatialité”. Manière de dire, si on peut discuter longuement de ce qu'est exactement une société on peut au moins s'entendre sur une chose, c'est un objet de cet univers et tout objet dans cet univers est un fragment d'espace-temps, ces deux aspects sont inséparables, considérer qu'une société est hors espace ou hors temps est donc une illusion mais une illusion effective.
On peut associer les idéologies “atemporelles” et “aspatiales” à des étapes du processus de socialisation: la toute première est “hors du temps” en ce sens qu'il s'agit d'un conditionnement primaire basé sur la répétition, sur l'identification de contextes et sur l'association de réflexes conditionnels associés à ces contextes; l'étape suivante est “hors de l'espace” en ce sens qu'on y apprend à dissocier la réalisation des conditionnements de contextes définis, l'individu devient son propre instructeur et agira d'une certaine manière non parce qu'un certain stimulus l'y incite mais par décision inconditionnelle, parce que “c'est ce qu'il faut faire”, quel que soit le contexte. C'est ce qu'en psychologie et en éthologie on nomme respectivement le conditionnement classique ou répondant ou de type I, et le conditionnement opérant ou instrumental ou de type II; comme le spécifient les articles sur ces conditionnements, les deux principales différences résident dans la décision, non volontaire pour le type I, volontaire pour le type II, et sur l'attente, dans le type I la réponse causée par le stimulus est indépendante du résultat prévisible, dans le type II elle en dépend, elle repose sur «le fait que la conduite humaine est conditionnée par les conséquences du comportement, avant que celui-ci n'intervienne». L'étape suivante, qui est proprement celle de la socialisation, est une sorte de déconditionnement, ou plus exactement de conditionnement volontaire et librement consenti. Dans l'article «Les catégories de l'apprentissage et de la communication» Gregory Bateson propose cette typologie des “apprentissages”:
«L'apprentissage zéro se caractérise par la spécificité de la réponse, qui – juste ou fausse – n'est pas susceptible de correction.
L'apprentissage I correspond à un changement dans la spécificité de la réponse, à travers une correction des erreurs de choix à l'intérieur d'un ensemble de possibilités.
L'apprentissage II est un changement dans le processus de l'Apprentissage I : soit un changement correcteur dans l'ensemble des possibilités où s'effectue le choix, soit un changement qui se produit dans la façon dont la séquence de l'expérience est ponctuée.
L'apprentissage III est un changement dans le processus de l'Apprentissage II : un changement correcteur dans le système des ensembles de possibilités dans lequel s'effectue le choix. (Nous verrons par la suite qu'exiger ce niveau de performance de certains hommes et mammifères entraîne parfois des conséquences pathogéniques).
L'apprentissage IV correspondrait à un changement dans l'Apprentissage III, mais il est néanmoins fort improbable que l'on puisse l'enregistrer dans un organisme adulte vivant actuellement. Cependant, le processus évolutif a créé des organismes dont l'ontogenèse est telle qu'elle les amène au Niveau III. En réalité, ce n'est que la combinaison de la phylogenèse et de l'ontogenèse qui fait parvenir au Niveau IV».
Les apprentissages zéro et I correspondent largement aux conditionnements classique et opérant, l'apprentissage II à ce que je nomme déconditionnement ou conditionnement volontaire: dans l'apprentissage I la réaction n'est pas incorrectible mais reste conditionnelle en ce sens que l'individu peut corriger sa réponse mais dans un spectre restreint et stéréotypé de réactions; dans l'apprentissage II il peut donc corriger et étendre le spectre de ses réactions, c'est un déconditionnement au sens où il n'est plus tributaire de réponses apprises et stéréotypées, un conditionnement volontaire au sens où pour agir il faut disposer d'un stock de réponses qu'on suppose adaptées à tel ou tel contexte mais qu'on peut restructurer au cours du temps. On peut dire que dans les apprentissages zéro et I on n'a pas la possibilité de réagir de manière adaptée dans des contextes inconnus, ce qui n'est plus le cas dans les apprentissages de niveau II où on a en outre la possibilité de réagir de manière inédite dans des contextes connus. Je ne m'intéresserai pas ici aux apprentissages III et IV, si ça vous intéresse je vous conseille donc la lecture de l'article mentionné – je vous le conseille même si ça ne vous intéresse pas, d'ailleurs, parce que lire Bateson vaut toujours le le coup. On peut dire que l'apprentissage III est un niveau strictement non conditionnel d'où les risques de pathogénie car vivre nécessite un niveau élevé de conditionnement. Les niveaux zéro à II sont ceux de la construction du “soi”, le niveau III celui de sa déconstruction, d'où les risques de pathogénie: je ne sais pas pour vous mais pour moi ce qui me permet de vivre au jour le jour est ma “conscience de soi”; bien sûr je sais que c'est une construction, que le “soi” n'a pas de consistance, ce qui n'empêche que ma capacité d'action dépend de ma capacité de discernement, et que le discernement est entre autres la distinction entre “soi” et “non soi”, d'où la nécessité de préserver les conditionnements acquis durant les trois premiers niveaux d'apprentissage. L'apprentissage III n'a pas de nécessité pour les individus et ne vaut que dans le cadre d'un collectif. L'apprentissage II n'a guère plus d'intérêt pour les individus, factuellement seuls les niveaux zéro et I valent nécessairement pour eux, celui zéro pour tous les êtres vivants, celui I pour les individus complexes ou les collectifs d'individus peu ou non complexes.
Qu'est le niveau zéro d'apprentissage? Ce qui fait la différence entre le vivant, et l'artificiel, d'avec le non vivant, l'artificiel étant une conséquence du vivant. Dans un autre ouvrage, coécrit avec le psychiatre Jurgen Ruesch, Communication et société, précisément dans la partie VII, «Information et codage», Bateson aborde la question sous un autre aspect, celui précisément de la communication. Dans ce cadre le codage minimal, de niveau zéro, qu'il nomme “tropisme” selon l'acception biologique de «réaction d'orientation ou de locomotion orientée d'un organisme végétal ou de certains animaux, causée par des agents physiques ou chimiques», correspond à l'apprentissage zéro en ce sens qu'un tropisme est une réaction simple et incorrectible, mais nécessite une sorte d'apprentissage qu'on peut déterminer comme entièrement inné: certaines parcelles de l'univers ont appris “quelque chose”, cette chose ont peut la nommer vie, elle différencie le vivant et ses productions du non vivant par le fait même que ces parcelles ont une autonomie d'action qui leur permet de maintenir une certaine structure et un certain mouvement qui les constitue en un “soi”. L'article cité du TLF, du Trésor de la langue française, mentionne le «tropisme positif [...] qui se traduit par une réaction d'orientation en direction du stimulus [et le] tropisme négatif [...] qui se traduit par une réaction d'éloignement», mais comme le relève Bateson,
«L'une des caractéristiques de l'information codée [est que] chaque élément d'information a pour caractéristique qu'il fait une assertion positive et qu'en même temps il fait une dénégation de l'opposé de cette assertion. La perception la plus simple que l'on puisse imaginer, sur laquelle on peut présumer que reposent, par exemple, les tropismes des protozoaires, dira obligatoirement à l'organisme qu'il y a de la lumière dans telle direction et pas de lumière dans telle autre direction».
Bref, un tropisme est toujours à la fois positif et négatif, ou pour le dire autrement, tout tropisme est une réponse polarisée, orientée, on ne peut pas dire que l'individu est attiré par la lumière ou repoussé par l'ombre mais incité à se mouvoir dans une direction allant vers l'ombre ou la lumière. Ce n'est bien sûr pas aussi simple, on peut plus exactement dire que l'individu recherche une position favorable au maintien de son autonomie; dans le cas proposé, tend à rechercher un certain niveau de luminosité et de température qui l'incite à se déplacer sur un axe tantôt vers un plus de lumière et/ou de chaleur, ou vers un moins de lumière et/ou de chaleur. On nomme ce type d'action “homéostasie”, qui est la «tendance de l'organisme à maintenir ou à ramener les différentes constantes physiologiques [...] à des degrés qui ne s'écartent pas de la normale». Sous un aspect l'univers entier est homéostatique, il “tend vers la normale“, vers l'homogénéité et la stabilité, le vivant a la particularité de, peut-on dire, [...].
Par nécessité je publie ce billet en l'état, il est incomplet et probablement imparfait (plus imparfait que la moyenne de mes billets) mais j'en ai besoin pour compléter un billet en cours de rédaction, «Entropie systémique».