La clé vient de m'en être donnée à l'instant par un enseignant de lycée agricole causant sur France Culture, émission La Série documentaire (LSD) qui explique que dans son établissement, après avoir dit à son interviouveuse qui relevait que sa perception était de voir un établissement orienté agriculture supposément intensive (dit autrement, mécanisée et dépendante de la chimie) que non, pas du tout, on fait aussi de l'agro-machintruc (je ne sais plus quel terme synonyme de green washing, vous savez, avec emballage vert donc «dedans c'est écolo»), il ajoute – ce n'est pas verbatim – que l'enseignement est “moderne”, que faut savoir évoluer avec son temps donc maintenant il faut savoir faire de la gestion, de la compta, des z'outils z'informatiques et tout et tout et ne pas faire «comme tous ses prédécesseurs, des simples conducteurs de tracteurs de père en fils». Ce qui en peu de mots résume presque tout de l'illusion rétrospective, qui induit bien sûr l'illusion prospective.
Premier point, “de père en fils”, ce qui élimine cette évidence pour qui connaît comme observateur: j'en ai vu beaucoup, des conductrices de tracteurs “de mère en fille”. Deuxième point, les pratiquants “du passé” de beaucoup d'activités sont vus par ceux “du présent” comme pas très dégourdis du cerveau, comme on peut dire, d'une intelligence limitée et simple reproducteurs d'une pratique héritée, or de tous temps les pratiques changent, de tout temps les pratiquants s'adaptent, et de tous temps un fermier ou un propriétaire d'exploitation a su gérer et compter, une chose nécessaire pour que son exploitation puisse durer. Troisième point, “conducteurs de tracteurs de père en fils”. Sa manière de le dire exprimait encore plus que ses mots que pour lui c'était quasi “de tout temps” ou en tout cas depuis beaucoup de générations. Or cette agriculture faussement dite traditionnelle existe en France pour l'essentiel depuis le milieu des années 1950 et ne se développa que dans les années 1960, donc depuis trois générations ou au plus quatre pour les tous premiers. Il y eut bien une première modernisation des pratiques mais plus du côté des animaux et des plantes, une normalisation qui commença pour l'essentiel à la fin du XIX° siècles, en gros trois générations avant cette seconde modernisation. Bref, l'agriculture dominante en France en 2019 est à la fois récente et peu répandue dans le monde – une grande part des agriculteurs et éleveurs dans le monde fait son travail à l'ancienne, à force d'humain ou d'animal et sans intrants, avec des animaux et plantes pas très normalisés.
Conclusion: vu que les pratiques évoluent toutes les trois à quatre générations et cela depuis un bon moment, m'est avis qu'en 2019 une prospective partant sur l'hypothèse «la même chose en plus gros» sera très vite invalidée, parce que ça fait quatre générations qu'on a (plus ou moins) cette “même chose”, donc pour la génération actuelle ça sera une autre chose, et à coup sûr sans de la technologie et de la normalisation “en plus gros”, ça c'est fini.