Ces dernières années j'ai fait deux prédictions, on doit en trouver trace dans certains de mes écrits, ici pour la plus récente, sur mon site personnel pour la plus ancienne: le basculement du droit d'exception dans le droit commun. La logique est simple: face à un problème qui n'existe pas il n'y a pas de solution, donc mettre en place une solution à ce problème c'est s'assurer de son inefficacité; de ce fait, renoncer à la solution face au constat que le problème n'est pas résolu se révèlera rapidement impossible, d'où ce basculement du droit d'exception dans le droit commun. N'étant pas devin (et qui peut l'être?) je ne fais jamais sérieusement des prédictions, je me contente de comprendre la logique à l'œuvre dans un contexte donné et d'en tirer les conséquences: ce mouvement de basculement du droit d'exception dans le droit commun est à l'œuvre depuis environ trois décennies, il était donc très prévisible qu'en 2016-2017 d'abord, en 2020-2021 ensuite, on assiste au même phénomène.
Si la France n'est pas la seule entité politique où l'on peut constater que l'exécutif a pris le pas sur les autres pouvoirs, ceux formels, législatif et judiciaire, ceux informels, la presse et l'opinion notamment, c'est en revanche un des rares États dit “avancés” où cette prééminence est inscrite dans la Constitution, depuis le développement des systèmes politiques dits représentatifs où donc la Nation est “représentée” par une ou deux assemblées, la loi est censément dite par le législatif, réalisée par l'exécutif et sanctionnée par le judiciaire, et la Nation a deux autres voies d'expression, directe par l'opinion et indirecte par les médias, la presse. Mais ça ne se passe pas toujours ainsi. Le cas le plus courant est celui où l'exécutif prend le pas et devient à la fois le législateur et le juge de sa propre action. Pour des raisons historiques, dans une entité politique telle celle française ça ne pose pas trop problème, bien sûr ça n'est pas très fonctionnel mais comme dit on ne fait pas semblant que ce ne soit pas le cas, dans les périodes où l'exécutif domine la loi fondamentale le dit clairement, cela depuis au moins cinq ou six siècles; dans d'autres entités ça n'est pas le cas, censément l'exécutif est subordonné au législatif et au judiciaire et pour prendre le pas il doit créer une situation de crise, une situation justifiant la suspension totale ou partielle des droits constitutionnels, se mettre dans les cas d'être “en état de guerre”, ou “en état d'exception”, les seuls cas où l'exécutif peut légitimement prendre le pas. État de guerre ou état d'exception ça peut se dire “état d'insécurité”; une des fonctions essentielles de l'exécutif étant d'assurer la sécurité, si elle est absente ça justifie qu'il soit à la fois législateur et juge, aussi longtemps que l'état d'insécurité ne cesse pas.
De longue date, la Terre est peuplée de trois classes d'humains: les aveugles, les borgnes et les voyants. Les borgnes sont le plus souvent ceux qui ont le plus de réussite car ce sont des malvoyants, ce qui les rapproche à la fois des aveugles puisqu'ils ont un défaut de vision, et des voyants puisque s'ils le font mal, ils voient. On peut aussi parler de myopes, d'hypermétropes et de, que dire? De “bien voyants”? Un truc du genre. De personnes qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, de personnes qui sont incapables de voir ce qu'elles ont sous le nez, et de personnes qui adaptent leur focalisation selon que l'objet se trouve à distance proche ou lointaine et qui le plus souvent fixent leur focale à distance moyenne, parce qu'on n'a pas souvent nécessité à voir ce qu'on a sous le nez et moins souvent encore ce qui est à grande distance. Désolé de le dire vu que j'ai cette déficience visuelle mais la myopie, du moins la myopie intellectuelle, correspond à la connerie, et l"hypermétropie intellectuelle à la saloperie. Brève remarque d'ordre moral, pas si désolé, tant qu'à faire de se tromper il me semble préférable de le faire connement que salopement... Cette description rend compte des deux erreurs de jugement les plus ordinaires, ne pas tenir compte des conséquences à long terme et à court terme de ses actions: la première correspond au lieu commun mentionné, ne pas voir plus loin que son nez, la seconde à cet autre lieu commun, la fin justifie les moyens; dans le premier cas on est incapable de corriger son action car incapable de comprendre la relation entre cette action et ses conséquences lointaines; dans le second cas on ne tient donc pas compte des conséquences immédiates de son action, considérant que seule la fin de la séquence initiée importe. J'ai une sentence: tout con est salaud en devenir, tout salaud est un con qui s'ignore. C'est une vérité assez générale que je commente diversement, ici ça concernera les fins.
Comme dit, connerie et saloperie sont des modes d'action, la première concerne les conséquences immédiates, la seconde celles différées; réaliser une séquence nécessite de varier les anticipations, ce qu'on apprend en faisant de l'algorithmie. Les modèles les plus évidents d'algorithmie sont, de mon point de vue, les recettes de cuisine. Pour exemple, celle-ci.
Gâteau de Savoie super moelleux
Pour un gâteau
Préparation : un certain temps...
Cuisson : 40 à 45 mn.
Ingrédients
- 6 jaunes d’œufs
- 7 blancs d’œufs
- 150g de Maïzena
- 180g de sucre en poudre
- Le zeste d’une citron bio
- Une pincée de sel
- 20g de beurre pour le moule
Préparation
- Mélangez 130g de sucre avec le zeste râpé du citron.
- Laissez reposer le temps de peser le reste des ingrédients.
- Tamisez la maïzena.
- Dans un grand bol mettez les jaunes. Dans un autre réservez les 7 blancs et une pincée de sel.
- Ajoutez le sucre citronné dans les jaunes d’œufs et mélangez à vitesse moyenne pendant une bonne dizaine de minutes. Vous devez obtenir un mélange blanchi qui fait ruban.
- Beurrez le moule, poudrez le de sucre glace.
- Préchauffez le four à 220° chaleur tournante.
- Montez les blancs en neige et quand ils commencent à mousser, ajoutez les 50g de sucre en poudre restants en 3 fois tout en continuant de battre. Ils doivent avoir la consistance bec d’oiseau.
- Incorporez alors intimement à la maryse une grosse cuillère de Maïzena et une grosse cuillère de blancs d’œufs. Faites ainsi jusqu’à épuisement des ingrédients. Vous devez terminer par les blancs.
- Versez l’appareil dans le moule.
- Enfournez pour 6 min à 220°C.
- Ramenez ensuite la température du four à 130° et poursuivez la cuisson 35 minutes.
- Vérifiez le bon degré de cuisson à l’aide d’une pique et rajoutez éventuellement 5 minutes de cuisson.
- Démoulez sur une grille et laissez refroidir.
Poudrez de sucre glace au moment de servir si vous aimez.
Une action se situe toujours dans une série, sauf bien sûr la première de toutes les actions mais bon, je le disais, ici pas de morale ni de métaphysique donc on s'en tiendra à la réalité contingente, toute action s'inscrit dans une série: dans cette recette on part d'un présupposé non explicité, la personne qui fera ce gâteau a réalisé toutes les actions nécessaires pour disposer de la liste d'ingrédients mentionnés et possède les ustensiles mentionnés dans la recette, on se passe donc de l'explication pour se munir de ces ingrédients, d'autant qu'on ne peut savoir comment chaque cuisinier le fera – les possesseurs de poules pondeuses ou de citronniers ne se fourniront pas les œufs ou le citron de la même manière que ceux qui n'en possèdent pas – et si une liste d'ustensiles ne serait pas inutile, elle n'est pas non plus obligée (pour certaines recettes on doit mentionner au moins certains ustensiles, et parfois certains processus pour obtenir au moins une partie des ingrédients). Dans l'exposé de cette recette, la pâtissière suppose donc que les impétrants se donnent les moyens d'avoir les ingrédients et disposent des ustensiles mentionnés durant l'exposé détaillé de la recette. Dans celui-ci, chaque séquence numérotée est un processus en soi, une action autonome L'autrice de la recette suppose que son lectorat sait comment réaliser chaque séquence numérotée, par exemple elle suppose que l'on sait comment râper un citron et suppose que cela sera fait quant on mêlera le zeste au sucre, de même elle suppose, dans la séquence 4, que son lectorat sait comment réaliser l'ouverture d'un œuf et la séparation des jaunes et des blancs. Les humains ne sont pas des ordinateurs, de ce fait on n'a pas nécessité de leur expliquer de manière vraiment détaillée les phases de réalisation d'un processus, on les suppose capables de le faire par eux-mêmes.
Chaque séquence numérotée est une action en soi avec un début, un milieu et une fin; certaines sont autonomes, celles numérotées 1, 3, 4, 6 et 7, les autres tributaires de la réalisation d'au moins une séquence précédente; sauf celles numérotées 3 et 6 l'ordre des séquences est impératif dans le cas de cette recette, et en tout cas l'étape 3 doit précéder la 9, et l'étape 6 la 10: un algorithme n'a pas toujours un séquençage impératif mais la réalisation finale, ici le gâteau de Savoie, nécessite celle de toutes les étapes dans un certain ordre, si on peut tamiser la fécule de maïs à n'importe quel moment entre les étapes 1 et 8 on doit nécessairement le faire avant l'étape 9. Un algorithme destiné à des humains peut se permettre l'usage de l'implicite, on fait confiance aux destinataires pour connaître ou comprendre ce qui n'est pas explicite, ou faire le travail nécessaire à l'acquisition de ce savoir. Dans un algorithme tel que celui-ci on a trois niveaux de réalisation, celui primaire, les séquences numérotées, celui tertiaire, la recette dans son ensemble, celui secondaire, l'articulation entre les séquences. Les deux niveaux extrêmes sont avant tout structurels, celui intermédiaire avant tout processuel, le premier concerne les actions à finalité immédiate, le troisième celles à finalité différée, le deuxième s'intéresse assez peu aux fins et concerne les moyens. Les actions tertiaires sont représentées par le nom du processus global, ici «gâteau de Savoie super moelleux», ils sont “une fin sans moyens“, celles primaires par la description de chaque séquence, qui contient sa propre fin et de ce fait est “un moyen sans fin”, c'est-à-dire sans fin autre que l'action réalisée, celles secondaires ne sont pas proprement des actions, plus exactement ces actions sont extérieures à celles primaires et tertiaires, la segmentation du processus global ne s'intéresse pas à la réalisation finale, le gâteau, ni à la réalisation effective de chaque étape, elle se contente d'établir les conditions de faisabilité du gâteau en ordonnant les séquences élémentaires, son action propre étant le contrôle de cette réalisation. Dans le cadre où l'on parle le plus d'algorithmie en ces temps, celui de l'informatique, le niveau secondaire est représenté par ce qu'on nomme l'«algèbre de Boole» et ses extensions ultérieures.
La logique booléenne ne s'intéresse pas aux présupposés ni aux conséquences mais aux conditions de vérification des propositions logiques; c'est le cas de toutes les algèbres d'ailleurs. Pour citer Wikipédia, «l'algèbre est une branche des mathématiques qui permet d'exprimer les propriétés des opérations et le traitement des équations et aboutit à l'étude des structures algébriques», elle ne s'intéresse donc pas aux valeurs ni aux résultats, aux opérations élémentaires ni aux opérations globales en tant que fins mais en tant que moyens. C'est d'ailleurs une pratique ancienne que de séparer les deux parties d'une opération logique, la forme et le fond, le processus et la structure. Comme souvent, on désigne ce qui n'intéresse pas l'observation, dans le passage cité de l'article de Wikipédia on mentionne le fait que l'algèbre a pour but «l'étude des structures algébriques», ce qui est à la fois vrai et faux: vrai au sens où les algébristes doivent définir les types de structures en état de permettre la vérification de la validité des équations, faux au sens où quand on effectue une opération algébrique ces structures n'ont aucune importance, ce qui importe est la validité du processus. L'article sur l'algèbre de Boole donne quelques exemples de structures d'équations, entre autres:
( a + b ) + c = a + (b + c) = a + b + c
a . ( b + c ) = a . b + a . c
Le premier exemple est précédé de cette remarque, «comme avec les opérations habituelles, certaines parenthèses sont inutiles». Je ne sais pas trop pourquoi le rédacteur de cette remarque considère que les opérations de l'algèbre de Boole sont inhabituelles, elles sont habituelles et utilisent les formes de n'importe quelle autre algèbre pour les mêmes raisons, permettre la vérification de la validité d'une proposition. Toujours est-il, on peut constater avec ces exemples que la structure a moins d'importance que le processus puisqu'une même opération peut avoir plusieurs structures sans que l'opération soit différente. La signification des opérateurs en logique booléenne diffère de celle en logique arithmétique mais le type de processus est similaire, ici les signes “.” et “+” ne signifient pas “fois” (multiplication) et “plus” (addition) mais “et” et “ou”, ce qui ne change rien à leur signification formelle.
L'algèbre et l'algorithmie ne rendent pas compte de la réalité mais du rapport des humains, et plus largement des êtres vivants, à la réalité. Ces méthodes rendent cependant compte de la réalité en ce sens que pour tout objet de l'univers la rencontre avec un autre objet se fait sous deux aspects, “matière” et “énergie”: les structures correspondent à la perception matérielle, l'objet dans l'espace, les processus à la perception énergétique, l'objet dans le temps. Les développements récents de la physique, au cours des deux derniers siècles environ, ont mis en évidence que matière et énergie d'une part, espace et temps d'autre part, sont deux aspects d'un même objet: l'espace est l'univers vu comme matière, le temps l'univers vu comme énergie; comme en algèbre et en arithmétique c'est à partir d'un des aspects qu'on perçoit l'autre: l'algèbre ne s'intéresse pas aux structures mais doit définir les structures pour mettre en évidence les processus; l'arithmétique ne s'intéresse pas aux processus, c'est, comme le dit l'article de Wikipédia, «une branche des mathématiques qui correspond à la science des nombres», donc des éléments “matériels”, concrets, mais c'est aussi la branche qui définit les opérations discrètes, donc les processus, qui permettent de mettre en évidence les propriétés des nombres. Dans la réalité effective il n'y a pas de distinction entre les structures et les processus, c'est ce que nous ont démontré quatre branches du savoir développées pour l'essentiel dans la première moitié du XX° siècle, la relativité einstennienne, la mécanique quantique, la cybernétique et le “structuralisme” qui comme son nom ne l'indique pas est une approche des faits linguistiques et par après, sociaux, qui ne s'intéresse pas aux seules structures mais à l'intime relation entre structures et processus. L'algorithmie comme la cybernétique sont largement reliées à l'informatique et ordinairement reliées à elle seule, alors que l'informatique dans son usage ordinaire n'a qu'un rapport distant avec ces deux domaines, précisément parce