L'article s'intitule «La gauche s'exaspère: “Emmanuel Macron veut une cohabitation avec lui-même”». Comme c'est censément un “propos rapporté” l'auteur de l'article pourrait censément se réclamer du factuel et de l'objectif si chers aux journalistes, mais cette possibilité se trouve tout de suite invalidée par l'introduction de l'article:
«Le président continue de faire comme si son camp n’avait pas été battu lors des élections législatives et refuse toujours de nommer Lucie Castets à Matignon. Alors que les macronistes tentent de rester au centre du jeu, les forces du NFP dénoncent un déni démocratique».
Clairement, il ne s'agit pas ici de propos factuels mais d'opinions. Le titre même pourrait cependant ressortir du factuel et de l'objectivité si, dans l'introduction puis dans l'article le rédacteur n'adoptait aussi clairement l'analyse de “la gauche”, ou du moins d'une certaine gauche, celle qui se raconte une histoire peu crédible, celle de “la victoire du NFP”. Comme le dit notamment une “macroniste”, Prisca Thévenot:
«“Il n’y a pas eu de gagnants à ces élections législatives. Il y a trois blocs qui se sont mis en place”, a jugé la ministre du Renouveau démocratique. “Pour que les chambres puissent continuer à travailler ensemble”, il est selon elle “nécessaire de mettre en place une coalition qui va de la gauche sociale-démocrate à la droite républicaine”» (Citée par Le Parisien).
Le titre de l'article, «Quel Premier ministre? Prisca Thévenot écarte Lucie Castets et réclame une coalition de “la social-démocratie à la droite républicaine”» est inexact: Thévenot n'écarte pas Lucie Castets, n'exclut pas sa nomination à la fonction, même si (et à raison selon moi) elle indique assez clairement que son “profil” n'est pas franchement du genre souhaitable, citant même une proche de Castets, Anne Hidalgo, très dubitative quant à la qualification de sa subalterne pour cette fonction. Sans vouloir être méchant, le très bref unanimisme apparent du NFP sur son nom reposait essentiellement sur sa transparence, au départ elle convenait à presque tous car elle n'incommodait presque personne, mais dès qu'elle s'est “mise en campagne” les choses ont très vite changé, précisément parce qu'elle est transparente, cette fois d'autre manière: derrière son anodinité première est apparu son positionnement de pure technocrate, molle sur les principes, intransigeante sur les méthodes.
Il est intéressant d'écouter l'ensemble de l'interview de Thévenot sur Sud Radio, d'où ces citations proviennent. Connaissant l'habituelle paresse intellectuelle qui se traduit par une paresse dans l'action des personnes pleines de certitudes, je vous propose de le faire sur cette page même:
Et toujours à propos des personnes pleines de certitudes, je les invite à l'impossible: mettre ces certitudes de côté pour écouter non ce qu'elles croient entendre mais ce qu'elles entendent réellement, une personne sans équivoques, qui dit on ne peut plus clairement: «Il n’y a pas eu de gagnants à ces élections législatives». Je m'adresse autant aux supposés “macronistes” qu'aux avérés “anti-macronistes”: il n'y a pas eu de gagnants, ni aux extrêmes, ni au centre, ni entre les extrêmes et le centre, comme dit la même,donc, «il y a trois blocs qui se sont mis en place» et, à l'évidence, aucun n'est gagnant de l'élection, aucun ne dispose d'une majorité. Comme elle le relève assez cruellement, les mêmes qui nous expliquaient jusqu'au 9 juin 2024 que la coalition “macroniste” élue en 2022 ne disposait pas, avec 258 députés, d'une majorité législative, ne peuvent, avec une coalition comptant 100 députés de moins, prétendre de manière crédible qu'ils constituent “la majorité”.
Malheureusement, une majorité de mes concitoyens semble plutôt du genre du, hem hem!, “journaliste” qui fait semblant de l'interviouver, et qui très clairement ne l'écoute pas ou, l'écoutant, ne la comprend pas ou fait semblant de ne pas la comprendre, alors j'en termine là avec ce billet, qui sera aussi peu utile pour faire comprendre ce qu'est le débat démocratique que semble l'avoir été le discours de Prisca Thévenot. Plus ça va, plus je me demande si je ne devrais pas mobiliser mes moyens intellectuels et argumentatifs à mon seul profit: si mes concitoyens préfèrent avoir des maîtres plutôt qu'être leur propres maîtres autant respecter leur choix et devenir un de leurs maîtres, ça sera moins fatiguant et beaucoup plus profitable que de tenter de leur expliquer comment devenir son propre maître, comment devenir démocrate.